La Jeunesse a Gagné, mais le SystèMe Résiste

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La Jeunesse a Gagné, mais le SystèMe Résiste
La Jeunesse a Gagné, mais le SystèMe Résiste

Sylvie Rantrua

Africa-Press – Madagascar. La révolution a été récupérée », se désole déjà Elie Ramanankavana, jeune poète, journaliste culturel et proche du mouvement Gen Z. La nomination d’un Premier ministre et la formation d’un gouvernement sans aucune consultation des jeunes à l’origine du soulèvement illustrent la reprise en main par les anciennes élites. Parmi les 29 membres de ce gouvernement, quelques nouvelles têtes émergent, notamment des experts, mais l’ensemble reste un savant dosage de figures politiques, d’opposants et de représentants du régime déchu. L’annonce, reportée à deux reprises pour finalement être diffusée le 28 octobre, témoigne des longues négociations et de la difficulté de composer un pouvoir capable de légitimer ce basculement.

Entre le 25 septembre et le 14 octobre, Madagascar a pourtant connu un basculement historique. Le mouvement de la génération Z, né sur les réseaux sociaux, a fait tomber le régime d’Andry Rajoelina. Cette jeunesse, urbaine, connectée et déterminée, se demande aujourd’hui comment ne pas se faire confisquer son rêve de refondation. C’est un ras-le-bol immense qui l’a fait descendre dans la rue, malgré la répression des forces de l’ordre. Elle dénonçait les coupures d’eau et d’électricité incessantes, mais aussi la corruption qui gangrène le pays, et réclame des changements concrets. « Nous portons l’exigence d’un changement total, d’une transformation radicale qui dépasse les seules questions d’eau et d’électricité », peut-on lire sur leur site Web.

Entre dialogue et méfiance

Pour Sariaka Senecal, une de ses porte-parole, le rapport avec les nouvelles autorités oscille entre ouverture et résistance de l’ancien monde. « Nous avons été reçus à la présidence et au ministère de la Jeunesse. Des discussions sont en cours autour de notre feuille de route. De ce point de vue, il y a de l’écoute. Mais pour les nominations politiques, aucune concertation n’a été menée », souligne-t-elle.

Le constat est partagé par Elliot Randriamandrato, autre figure du mouvement et porte-parole: « L’attitude de la présidence relève du mépris. Du choix du Premier ministre à celui des ministres, nous n’avons jamais été consultés. » La Gen Z observe donc le gouvernement avec prudence. « Nous gardons un œil sur les ministres. La présidence a donné un ultimatum de deux mois pour afficher des résultats, nous avons le même », glisse Sariaka. Sur le fond, les attentes de changements profonds restent en suspens. « On assiste à une refondation superficielle », juge Elie Ramanankavana. Aucune révision constitutionnelle n’est envisagée, aucun chantier de réforme structurelle n’est ouvert. « Les têtes changent, pas les logiques », constate-t-il.

Comment la Gen Z se transforme en force politique

La confiscation de cette révolution n’a rien de surprenant. Née spontanée et horizontale, la mobilisation s’est heurtée à la question de la représentativité. « C’était prévisible, mais cette génération n’a pas disparu. Elle se structure. Elle apprend », insiste Elie Ramanankavana. Consultations régionales, charte et feuille de route: la Gen Z esquisse désormais une stratégie politique solide.

Pour peser davantage, il faut sortir de l’horizontalité pure. « Il faut une structure traditionnelle: bureau, comités, leaders identifiés », explique Elliot Randriamandrato. Un dossier a été déposé mais reste bloqué à la préfecture. L’enjeu est clair: passer d’une politique de rue à une politique de table pour réellement changer les choses.

Face à l’Histoire, la leçon est amère mais formatrice. 1972, 2009… chaque soulèvement s’était soldé par l’échec. Aujourd’hui, la génération Z dispose de réseaux et d’outils qui lui donnent un poids inédit. Mais attention: « Si rien ne change, le cycle se reproduira », prévient Elie Ramanankavana. Une transformation culturelle est nécessaire: créer le citoyen malgache plutôt que de continuer à définir l’individu par son origine.

Le mouvement hésite encore entre parti politique et organe consultatif. Les deux voies coexistent, mais la finalité reste la même: peser sur les décisions, surveiller le pouvoir et imposer une véritable refondation. « Nous voulons être des garde-fous et force de propositions », insiste Sariaka.

Des divergences apparaissent dans la lecture des événements du 14 octobre. Pour Elie Ramanankavana, « chronologiquement, c’est un coup d’État ». L’armée a pris le pouvoir avant même la décision officielle de la Haute Cour constitutionnelle, rappelle-t-il. Mais Sariaka et Elliot considèrent qu’il n’y a pas eu de coup d’État: « Rajoelina avait fui le pays, laissant un vide institutionnel. La HCC a simplement comblé ce vide en confiant la présidence au colonel Michaël Randrianirina », argue Sariaka. Elliot renchérit: « Nous sommes restés dans la légalité. Ce n’est pas comme en 2009. Cette fois, il y a eu destitution et adoubement constitutionnel. »

La question dépasse la chronologie: elle touche au regard que porte la communauté internationale sur Madagascar et à la légitimité de la transition. L’Union africaine a tranché dès le 15 octobre, qualifiant la situation de coup d’État et suspendant Madagascar de ses instances.

La génération Z, elle, oscille entre revendications et volonté de légitimer la transition tout en dénonçant sa récupération. Pour peser politiquement, elle devra clarifier son fonctionnement, organiser des élections à l’échelle nationale et régionale, probablement via les réseaux sociaux, pour désigner les responsables qui porteront le mouvement.

Si cette jeunesse a réussi à faire tomber le pouvoir, le vrai défi commence maintenant: bâtir une république citoyenne, débarrassée des réflexes de concentration du pouvoir autour d’un homme fort et de ses loyautés ethniques. Une révolution politique, mais aussi culturelle, dont cette génération entend être l’auteure.

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