Africa-Press – Madagascar. La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) s’apprête à fêter ses 50 ans en mai 2025. Elle a été créée en 1975 par 16 États membres. Bien que sept des dirigeants fondateurs aient accédé au pouvoir à la suite de coups d’État, l’accent était initialement mis sur la croissance économique, le commerce et la coopération régionale.
Toutefois, en l’espace de trois ans, ses mandats ont été élargis pour englober des objectifs politiques, sécuritaires et autres. Ce glissement était nécessaire, car les gouvernements d’Afrique de l’Ouest post-indépendance cherchaient à répondre à des défis socio-économiques et sécuritaires en pleine mutation. Parmi ceux-ci figuraient les coups d’État au Niger, au Nigeria, au Ghana et en Mauritanie. D’autres menaces pesaient également sur l’état de droit, l’intégrité des élections et la bonne gouvernance.
Afin de répondre à l’élargissement de son mandat, les traités de la Cedeao ont été révisés en 1993 afin de transférer davantage de pouvoirs au bloc régional.
Ces changements ont perturbé les relations entre les États membres. Agir de concert ou respecter les règles n’a pas toujours correspondu aux agendas nationaux. Cela explique en partie la décision du Mali, du Niger et du Burkina Faso de se retirer de la Cedeao en 2024.
Plus récemment, le gouvernement de Guinée-Bissau et la dynastie Gnassingbé au Togo ont tous résisté à la pression de la Cedeao. Leurs programmes politiques nationaux sont en contradiction avec les normes et les principes de l’organisation.
Nous menons depuis des années des recherches sur la politique, la citoyenneté, relations internationales et les conflits civils.
Il est vrai que le retrait du Mali, du Niger et du Burkina Faso, qui ont formé l’Alliance des États du Sahel (AES), jette une ombre inquiétante sur l’anniversaire de la Cedeao. Nous estimons toutefois que malgré les bouleversements inévitables survenus au cours des cinq décennies qui ont suivi la construction de la nation postcoloniale, la Cedeao peut se prévaloir de succès en matière d’intégration, de paix et de sécurité, ainsi que de bonne gouvernance.
Parmi ceux-ci figurent l’accent mis sur la bonne gouvernance ; son Cadre de prévention des conflits et la responsabilité des États membres de protéger leurs populations contre les violations graves des droits de l’homme.
Un défi sans précédent
Les conséquences du retrait des trois pays de la Cedeao ne doivent pas être surestimées. Il n’en reste pas moins que c’est un coup dur pour l’organisation. Cela remet directement en cause le principe de l’intégration et de la coopération régionales.
Les trois juntes militaires considèrent manifestement la Cedeao comme un club dysfonctionnel de chefs d’État égoïstes qui s’inclinent devant l’Europe.
L’opinion publique africaine s’est ralliée en faveur d’un populisme promettant des solutions militaires rapides. Elle y voit l’antidote à l’échec des tentatives nationales et multilatérales visant à endiguer la violence djihadiste au Sahel.
Dans la pratique, les juntes ont recouru à l’état d’urgence pour couvrir couvrir des pratiques systématiques d’abu à l’encontre des populations civiles.
Même si l’on accepte le compromis entre sécurité et démocratie, les nouveaux dirigeants militaires n’ont jusqu’à présent pas été en mesure d’endiguer la violence djihadiste dans leur pays. Au contraire, ils ont commis des violences contre leur propre population. C’est particulièrement le cas au Mali et au Burkina Faso.
Ces actes comprennent l’exécution sommaire de plusieurs centaines de civils au Burkina Faso en 2024.
Malgré ces abus, les juntes militaires ont réussi à présenter la Cedeao comme faisant partie du problème du contrôle extérieur sur la souveraineté nationale. C’est là le cœur de la crise de légitimité qui émerge au sein de la Cedeao. Cette crise sape bon nombre de leviers de diplomatie douce qui ont relativement bien fonctionné dans le passé pour unir ses membres.
Ces leviers de soft power comprennent:
– le Conseil des sages – déployé dans le cadre de la médiation et de la négociation dans plusieurs crises politiques dans la région, notamment au Liberia, en Sierra Leone, au Niger, en Guinée, en Guinée-Bissau et au Togo
– les bureaux des représentants spéciaux et médiateurs spéciaux, chargés de la médiation des conflits et de la surveillance des élections
– les autorités et chefs traditionnels, qui sont envoyés lorsque les autres mécanismes échouent.
Ces outils diplomatiques sont moins visibles que les délégations de haut niveau, les déclarations officielles ou les sanctions. Mais ils ont été utilisés dans de nombreuses crises politiques dans la sous-région au cours des deux dernières décennies.
Ils ont sans doute tempéré les conséquences de crises constitutionnelles, comme celle déclenchée par un soulèvement populaire au Burkina Faso en 2014. Ils ont également désamorcé la crise politique en Guinée-Bissau entre 2015 et 2019.
Les petites victoires de la diplomatie douce ne débouchent pas toujours sur des succès retentissants. Mais elles ont permis à la Cedeao de s’impliquer dans les efforts de médiation. Elles ont assuré la pertinence et la légitimité globales de l’organisation face à des changements de gouvernement anticonstitutionnels.
L’échec des mécanismes de diplomatie douce dans la plus grande crise à laquelle la Cedeao ait été confrontée met à l’épreuve la capacité de l’organisation à résister à de futures crises.
L’avenir de la Cedeao
La prochaine phase pour la Cedeao intervient dans un contexte de fortes critiques émanant des opinions publiques** dans un contexte de perception critique des États membres par l’opinion publique. Des critiques ont été formulées à l’encontre de la Cedeao, qualifiée de « syndicat de chefs d’État » privilégiant leurs intérêts au détriment de ceux des populations.
Néanmoins, la plupart des citoyens continuent de préférer la démocratie comme système politique. Même les juntes militaires adhèrent (du moins sur le papier) à ces principes fondamentaux comme aspiration à long terme.
La Cedeao a défendu les valeurs démocratiques d’égalité, de liberté, de justice, de pluralisme, de tolérance, de respect et de participation publique. Celles-ci restent la clé pour inverser les récents changements anticonstitutionnels de gouvernement dans la sous-région. La Cedeao doit renforcer sa voix pour appeler au retour à un régime civil et au respect de ses principes démocratiques fondamentaux.
Les représentants de l’organisation doivent articuler ces valeurs fondamentales comme l’expression de la volonté de ses citoyens.
D’autre part, la Cedeao doit maintenir le dialogue ouvert avec les juntes militaires. Cela pourrait faciliter la transition vers un régime civil et marquer un nouveau départ pour la collaboration régionale. Ses outils de diplomatie douce seront essentiels pour améliorer le dialogue et parvenir à des compromis viables.
La Cedeao doit s’efforcer d’améliorer sa légitimité aux yeux des populations de ses États membres. Elle peut y parvenir en appliquant ses propres valeurs démocratiques de manière cohérente et objective dans toute la région. Cet anniversaire offre une occasion importante d’introspection et de véritable réforme institutionnelle.
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