Flore Monteau
Africa-Press – Mali. Le conflit qui oppose l’armée et les mouvements de l’ancienne rébellion indépendantiste risque d’aggraver encore la situation sécuritaire au Mali. De quoi susciter des inquiétudes, tant à Bamako que dans les pays voisins.
Le 19 septembre, au journal de 20 heures, des scènes de bombardement aériens sont montrées aux Maliens. Selon le présentateur de la télévision nationale, il s’agit de la « riposte » des Forces armées maliennes (Fama) à une « attaque terroriste complexe » dans la zone de Léré, à environ 1 000 km au nord de Bamako.
Après des mois de tensions, et onze ans après celle de 2012, le constat est là : la guerre a bel et bien repris dans le nord du Mali. Depuis le 7 août et la bataille de Ber, les Fama et les mouvements indépendantistes à dominante touarègue, jusqu’alors liés par l’accord de paix signé en 2015 à Alger, se rendent coup pour coup. Après l’attaque de Bourem, le 12 septembre, c’est la base militaire de Léré, dans la région de Tombouctou, qui a été reprise le 17 septembre pendant quelques heures par les anciens rebelles.
Des dizaines de morts dans les deux camps, des avions abattus, des camps ou colonnes attaqués… La guerre est ouverte et aucun des belligérants ne semble prêt à baisser les armes. Le Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (CSP-PSD), qui regroupe les différents mouvements armés du Nord, a récemment déclaré se préparer à se défendre militairement contre la junte au pouvoir. Quant à Assimi Goïta, il a assuré, jeudi 21 septembre, à l’occasion de son discours pour la fête de l’indépendance, que « les attaques dirigées contre les populations civiles et contre les Fama ne resteront pas impunies ».
Retrait de la Minusma
Depuis le mois de juin et le début du désengagement de la Minusma, la mission de l’ONU pour la stabilisation au Mali, poussée vers la sortie par le gouvernement malien, les deux parties se disputent la rétrocession des différentes bases onusiennes dans le septentrion.
Bien qu’aucune publication officielle n’a encore déclaré l’accord d’Alger caduque du côté de Bamako, la hache de guerre a bien été déterrée. « Le gouvernement malien ne fait pas la distinction entre les attentats jihadistes et les attaques des anciens rebelles, il les considère donc comme des terroristes », explique Andrew Lebovich, chercheur au programme Sahel du Clingendael Institute.
Un amalgame assumé par le gouvernement et largement repris sur les réseaux sociaux, entretenu par l’alliance formée en 2012 par les mouvements rebelles et les groupes jihadistes. « Il est pourtant difficile d’imaginer une telle alliance aujourd’hui », poursuit Lebovich. Selon lui, le CSP-PSD aurait tout à perdre d’une telle coalition qui « nuirait à sa légitimité ».
Risque politique pour Goïta
Pour Assimi Goïta et sa junte, censés quitter le pouvoir à l’issue d’une élection présidentielle prévue dans moins de six mois, reconnaître une reprise de la guerre n’est pas sans risque. « Si les violences continuent, certaines voix peuvent commencer à s’exprimer contre la stratégie militaire et enclencher un mouvement au sein des Forces de sécurité », reprend Andrew Lebovich.
Le Premier ministre Choguel Maïga l’a bien compris. « L’armée malienne peut perdre des batailles mais va gagner la guerre », rappelait-il, le 19 septembre. Question de fierté, « d’indépendance et de souveraineté », avait-il ajouté, sans toutefois faire mention des mouvements signataires de l’accord de paix.
Mais « gagner la guerre », comme le dit le Premier ministre, est loin d’être une mission facile pour l’armée malienne même si le nombre de soldats – aidés par leurs supplétifs russes de Wagner – dépasse le nombre de combattants dans le Nord. « Il y a un manque de capacité militaire, combiné à une quasi absence de la présence administrative de l’État dans les régions du Nord. Comment Bamako pourrait arriver à contrôler le territoire ? », questionne Bruno Charbonneau, professeur titulaire au Collège militaire royal de Saint-Jean (Canada) et directeur du Centre FrancoPaix, un observatoire de la Chaire Raoul-Dandurand.
Isolement sur la scène internationale
Nul doute que les groupes jihadistes, déjà largement implantés dans le Nord, profiteront de cette nouvelle instabilité pour étendre encore leur influence et leur contrôle dans la région. « Des combats entre Fama et groupes signataires retirent des éléments militaires maliens des autres fronts de bataille », explique Bruno Charbonneau.
Ayant coupé les liens avec plusieurs de ses anciens partenaires depuis le coup d’État de 2020 qui a porté Assimi Goïta au pouvoir, le Mali est de plus en plus isolé sur la scène internationale. « L’alliance russe a montré ses limites », affirme Andrew Lebovich. Quant à l’Alliance des États du Sahel, qui a récemment établi une alliance défensive entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger, beaucoup doutent de sa réalité opérationnelle tant chacun de ses membres est confronté à d’importants défis internes.
Ces pays, qui éprouvent déjà des difficultés à contrôler leurs propres territoires, pourraient « garder leurs troupes le long des frontières », explique Bruno Charbonneau. « Les dernières années de coopération entre les trois pays, via le G5 Sahel ou les tentatives Liptako-Gourma, suggèrent les limites de ce type de coopération », conclut le chercheur.
Inquiétudes à Bamako
Quant à la Mauritanie, frontalière de la région de Tombouctou en proie à un blocus jihadiste depuis plus d’un mois, elle pourrait faire face à un afflux croissant de réfugiés. « La population manque déjà de biens essentiels et de ressources alimentaires », prévient le Comité international de la Croix rouge (CICR), qui déplore déjà un grand nombre de déplacés. D’après un rapport du bureau de la coordination humanitaire de l’ONU ( l’Ocha), plus de 30 000 personnes se sont déjà déplacées à travers la région.
À Bamako, la situation préoccupe certains acteurs politiques. Face à la guerre ouverte que se livrent désormais la junte au pouvoir et les mouvements armés du Nord, de nombreux partis expriment leurs inquiétudes. Plus d’une vingtaine ont signé, le 18 septembre, un « appel pour la paix et la stabilité au Mali » appelant les mouvements signataires de l’accord d’Alger à la réconciliation.
source: Jeune Afrique
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