Par Hadil Al-Zeer
Africa-Press – Mali. En 2009, cinq Kényans âgés ont adressé une demande officielle au Premier ministre britannique Gordon Brown, réclamant la reconnaissance des graves abus subis pendant la colonisation britannique du Kenya dans les années 1950.
Malgré des preuves initiales limitées, l’affaire parvint à la Haute Cour britannique en 2011, révélant une découverte choquante: la Grande-Bretagne avait délibérément dissimulé et détruit des milliers de documents prouvant des actes répressifs commis à cette époque, pour préserver sa réputation et éviter d’éventuelles poursuites.
Ce qui avait commencé comme un dossier judiciaire restreint ouvrit la voie à une réexamination du passé colonial répressif de la Grande-Bretagne à travers le monde, une puissance qui, pendant des siècles, étendit son influence sur d’immenses territoires, laissant un héritage de violence et de conflits.
De la compagnie commerciale à l’empire
L’Empire britannique prit racine avec la Compagnie des Indes orientales, devenue une force impériale engageant des guerres et imposant sa domination sur une grande partie de l’Asie du Sud. Après l’occupation de l’Égypte en 1882 et le contrôle du canal de Suez, l’Afrique devint un nouvel objectif impérial.
Malgré une résistance acharnée, notamment en Afrique australe, la Grande-Bretagne établit un contrôle quasi total à la fin du XIXe siècle, avec pour ambition un empire allant « du Cap au Caire ».
Au sommet de sa puissance, l’empire couvrait près d’un quart des terres émergées et de la population mondiale, imposant son influence sur des régions clés comme la Chine, à travers des traités inégaux imposés après les guerres de l’opium.
Mais avec l’émergence de nouvelles puissances, l’hégémonie britannique déclina. En 1931, elle créa le Commonwealth pour maintenir un lien symbolique avec ses ex-colonies. Hong Kong en fut le dernier vestige, restituée à la Chine en 1997.
Un long cycle de répressions
L’idée que l’Empire britannique aurait exercé une domination plus « douce » que d’autres puissances coloniales est largement réfutée par des historiens. L’utilisation systématique de la force, justifiée par un discours de « civilisation », a mené à des massacres massifs comme à Omdurman (1898), où les troupes de Kitchener tuèrent jusqu’à 26 000 Soudanais.
Des armes modernes furent utilisées contre des combattants armés d’armes rudimentaires. Les survivants furent exécutés, les blessés achevés, suscitant l’indignation même dans la presse britannique.
D’autres atrocités suivirent, comme le massacre d’Amritsar en Inde en 1919, où près de 400 manifestants furent tués, et où les blessés furent laissés sans secours.
La politique britannique recourut aussi à des punitions collectives, des destructions de villages, des exécutions, des viols, des tortures, des travaux forcés, comme en Inde et au Kenya.
L’armée utilisa même des méthodes atroces comme faire exploser les prisonniers avec des canons, violant les rites religieux. À Malawie, entre 1948 et 1960, les opérations coloniales tuèrent plus de 9 000 personnes.
Tortures et camps au Kenya
Pendant la révolte des Kikuyus au Kenya, des centaines de milliers de civils furent internés dans des camps où ils subirent tortures, faim, abus sexuels et humiliations. Plus d’un million furent déplacés de force, selon des études. Le grand-père de Barack Obama fut l’une des victimes.
L’armée britannique largua plus de 6 millions de bombes sur les forêts kényanes. Le chiffre officiel de 11 000 morts est contesté: certains historiens parlent de 25 000 voire plus de 300 000 victimes.
Discriminations et spoliation
Les lois coloniales imposaient des taxes injustes et dépossédaient les autochtones. En 1913, un texte interdisait la propriété foncière aux Noirs. En 1919, les Kényans durent porter des disques d’identification en métal, un système comparé aux pratiques nazies ou à l’apartheid.
Déportations forcées
Dans les années 1960, Londres et Washington orchestrèrent l’expulsion des habitants de Chagos pour y établir une base militaire à Diego Garcia. Malgré des condamnations de l’ONU et de la Cour internationale de justice, Londres refusa de les rapatrier.
En 2023, Human Rights Watch qualifia ce déplacement de « crime contre l’humanité », réclamant justice et réparations.
Exploitation économique et esclavage
La politique britannique visait le profit. Au Bengale, des impôts écrasants menèrent à une famine en 1770 qui tua 10 millions de personnes. Entre 1765 et 1938, Londres pilla l’Inde de 9 milliards de livres.
L’Empire britannique participa activement à la traite transatlantique, réduisant en esclavage plus de 3 millions d’Africains. Malgré l’abolition de la traite en 1807, l’esclavage se poursuivit jusqu’en 1833.
Trahisons au Moyen-Orient
Pendant la Première Guerre mondiale, Londres promit l’indépendance aux Arabes tout en concluant l’accord Sykes-Picot avec la France. En 1917, la Déclaration Balfour ouvrit la voie au mandat britannique sur la Palestine (1920–1948) et à la fondation d’Israël.
En 2017, Londres refusa de s’excuser, malgré une pétition signée par 11 000 citoyens britanniques.
Procès et révélations
En 2012, la Haute Cour de Londres entendit les témoignages de Kényans torturés dans les années 1950. Une femme raconta avoir été violée avec un outil métallique.
Le juge força le Foreign Office à dévoiler plus de 8 800 documents stockés à Hanslope Park. Ils révélèrent l’ampleur des abus, y compris à Chypre, où des femmes furent violées par les forces coloniales. Londres offrit des compensations financières sans reconnaître sa responsabilité légale.
Destruction systématique des archives
Après le procès de 2012, une enquête officielle montra que Londres avait détruit des milliers de documents sensibles pour empêcher leur divulgation. Ceux qui restèrent furent cachés près de 50 ans.
Parmi les rares documents révélés figuraient des preuves de tortures, d’expulsions, et d’un centre secret de torture à Aden. À la demande d’un ministre, les documents compromettants furent brûlés ou coulés en mer.
Des excuses tardives et ambiguës
La perception positive de l’empire s’est effritée. Selon des sondages récents, 6 Britanniques sur 10 réclament des excuses pour l’esclavage.
En 2023, Charles III exprima ses « profonds regrets » lors d’une visite au Kenya, qualifiant les abus de « violences atroces ». Le président William Ruto parla d’un « geste courageux » mais insuffisant.
La Commission kényane des droits humains jugea ces propos insuffisants et exigea des excuses publiques. Juridiquement, les excuses n’impliquent aucune obligation de réparation, d’où leur rareté.
L’influence britannique continue aujourd’hui sous des formes plus discrètes, à travers des institutions comme le Commonwealth ou l’ONU, où les anciennes puissances conservent un poids décisif.
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