par Abdul Qader Muhammad Ali
Africa-Press – Mali. Dans ce qu’il a qualifié de « journée de la libération », le président américain Donald Trump a annoncé le deux avril une refonte radicale de la politique commerciale américaine, instaurant une nouvelle formule tarifaire qui dépasse celle précédemment appliquée par Washington en tant que membre de l’Organisation mondiale du commerce, laquelle imposait un taux douanier uniforme à tous ses partenaires, indépendamment de leurs propres pratiques tarifaires.
La nouvelle formule américaine fixe les droits de douane sur les importations d’un pays en fonction du déficit commercial américain avec ce pays, divisé par ses importations, ou à dix pour cent, selon le taux le plus élevé, provoquant un séisme sur les marchés financiers mondiaux.
Selon une analyse de Renaissance Capital Africa, institution d’investissement présente dans les économies émergentes et frontières, les États-Unis ne représentent pas un marché d’exportation majeur pour la majorité des pays africains, en comparaison avec le Canada et le Mexique, dont les exportations vers les États-Unis en vingt-quatre heures dépassent celles de quarante pays africains sur une année.
Cependant, l’impact de ces nouveaux tarifs ne peut être pleinement mesuré sans les replacer dans un contexte plus large, incluant la décision de Trump de geler les aides internationales et les répercussions potentielles de ces mesures sur l’économie mondiale, notamment le risque de récession qui pèserait lourdement sur les économies les plus fragiles, en premier lieu celles du continent africain.
Lesotho en tête de liste
D’après le site d’information américain Semaphore, le Lesotho figure parmi les pays les plus touchés par l’« ouragan douanier de Trump », avec des droits de douane américains fixés à cinquante pour cent, le plaçant au deuxième rang mondial après la Chine parmi les pays les plus affectés.
La situation est d’autant plus critique pour ce petit pays du sud de l’Afrique qu’il souffre de taux élevés de VIH/SIDA, aggravés par la décision précédente de l’administration Trump de geler les aides internationales, menaçant sérieusement les capacités du Lesotho à lutter contre cette épidémie et à assurer un minimum de soins à sa population.
En 2024, les exportations du Lesotho vers les États-Unis représentaient environ dix pour cent de son produit intérieur brut, incluant textiles, pièces automobiles et diamants, pour une valeur de deux cent trente-sept millions de dollars. Mais les faibles importations américaines du Lesotho entraînent un déséquilibre commercial important, justifiant les mesures américaines selon leurs propres critères.
Un impact élargi
D’autres pays africains seront également affectés par ces nouvelles politiques tarifaires: Madagascar (quarante-sept pour cent), Maurice (quarante pour cent), le Botswana (trente-sept pour cent), l’Angola (trente-deux pour cent), la Libye (trente et un pour cent), l’Algérie et l’Afrique du Sud (trente pour cent), Sao Tomé-et-Principe (vingt-neuf pour cent), la Tunisie (vingt-huit pour cent), la Côte d’Ivoire et la Namibie (vingt-et-un pour cent), le Zimbabwe (dix-huit pour cent), la Zambie et le Malawi (dix-sept pour cent), le Mozambique (seize pour cent), le Nigeria (quatorze pour cent), la Guinée équatoriale et le Tchad (treize pour cent), la République démocratique du Congo et le Cameroun (onze pour cent).
Un tarif uniforme de dix pour cent a été appliqué à l’Égypte, le Maroc, le Kenya, la Tanzanie, le Sénégal, l’Ouganda, l’Éthiopie, le Ghana, le Gabon, le Togo, la République du Congo, Djibouti, le Rwanda, la Sierra Leone, la Guinée, le Mali, l’Eswatini, le Libéria, le Soudan du Sud, les Comores, le Cap-Vert, le Burundi, la Mauritanie, la Gambie, la République centrafricaine, l’Érythrée et la Guinée-Bissau.
Comment l’augmentation des tarifs affecte-t-elle les économies africaines ?
Selon le Center for Strategic and International Studies (CSIS), un think tank américain, l’Afrique sera relativement plus touchée que d’autres régions par les tarifs douaniers de Trump, en raison de la baisse potentielle de la demande américaine, entraînant une réduction de la production et des pertes d’emplois.
En outre, ces mesures pourraient inciter d’autres grandes puissances économiques à adopter des politiques protectionnistes en réponse, freinant les exportations et la croissance économique mondiale. Les tarifs plus élevés entraîneraient aussi une hausse des prix, réduisant la demande des consommateurs et ralentissant l’économie mondiale, avec des répercussions attendues sur les prix en Afrique, similaires à celles observées après la pandémie de Covid-19.
D’après le New York Times, si l’inflation pousse les banques centrales à relever leurs taux, les pays africains lourdement endettés subiront une pression accrue, car la majorité de leurs dettes sont libellées en dollars, au moment même où leurs revenus en devises étrangères déclineront à cause de la baisse des exportations.
Ces pressions inflationnistes menacent gravement la stabilité macroéconomique, notamment au Ghana et en Zambie, déjà en défaut de paiement. Les conséquences en cascade incluent des taux d’intérêt plus élevés, la dévaluation monétaire et la réduction des dépenses publiques dans des secteurs clés comme la santé et les infrastructures.
Secteurs vulnérables
Certaines économies africaines sont particulièrement vulnérables à ces hausses tarifaires en raison de leur dépendance à des secteurs spécifiques. L’Afrique du Sud, par exemple, exporte environ dix pour cent de ses véhicules vers les États-Unis. Le secteur automobile risque de connaître des pertes d’emplois importantes.
Les exportations agricoles sont également menacées. L’association sud-africaine des producteurs d’agrumes a averti que les nouveaux droits pourraient mettre en péril environ trente-cinq mille emplois liés à la filière.
De nombreux analystes estiment que la dépendance de plusieurs pays africains aux matières premières les expose aux fluctuations des marchés et au ralentissement de la demande mondiale.
Loi AGOA en danger
Les nouvelles taxes américaines mettent en péril l’AGOA (African Growth and Opportunity Act), un programme qui permettait aux pays d’Afrique subsaharienne admissibles d’exporter vers les États-Unis sans droits de douane. Bien que son efficacité fasse débat, il a favorisé l’industrialisation et créé des centaines de milliers d’emplois dans certains secteurs.
En 2023, les importations américaines au titre de l’AGOA ont dépassé neuf milliards sept cents millions de dollars, en baisse d’un milliard et demi par rapport à l’année précédente. Elles étaient dominées par le pétrole brut (quatre milliards deux cents millions), les vêtements (un milliard cent millions) et les produits agricoles (plus de neuf cents millions). L’Afrique du Sud était le principal exportateur (quatorze milliards), suivie du Nigeria (cinq milliards sept cents millions), du Ghana (un milliard sept cents millions), de l’Angola (un milliard deux cents millions) et de la Côte d’Ivoire (neuf cent quarante-huit millions), parmi trente-deux pays bénéficiaires en 2023.
L’AGOA expirera en septembre deux mille vingt-cinq. Alors que des doutes persistent sur son renouvellement par le Congrès, les récentes décisions de l’administration Trump ont sapé ses avantages, menaçant les moyens de subsistance de centaines de milliers de travailleurs dépendant de l’accès au marché américain.
Et maintenant, l’Afrique ?
La politique de Trump impose une nouvelle réalité aux économies africaines, les obligeant à relever le défi et à forger de nouveaux équilibres au bénéfice des peuples africains.
Des chercheurs du CSIS recommandent une réponse continentale coordonnée via l’Union africaine, en s’appuyant sur la mise en œuvre accélérée de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), afin de renforcer le commerce intra-africain et de réduire la vulnérabilité externe.
À l’échelle internationale, la diversification des marchés d’exportation devient essentielle. Le partenariat avec des blocs comme les BRICS, qui représentaient en deux mille vingt-deux près de vingt-trois pour cent des exportations africaines, doit être renforcé. L’Union européenne et d’autres partenaires doivent également élargir leurs accords préférentiels avec le continent, y compris la reconnaissance pleine de la ZLECAf.
Quant à l’AGOA, de nombreux observateurs estiment que son affaiblissement, combiné à la fermeture de l’agence américaine de développement international, nuira gravement aux relations afro-américaines tout en ouvrant la voie à des concurrents comme la Chine. Mais cette rupture offre aussi l’occasion de réinventer un cadre de coopération plus équilibré et bénéfique pour les économies africaines.
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