Africa-Press – Niger. La bande du Sahel africain, constituée principalement de l’Est à l’Ouest du Tchad, du Niger, du Mali, de la Mauritanie et du Burkina Faso, a toujours été une région très mouvementée et sujette, par moments, à des coups d’Etat dans certains des pays, en plus d’être visée par les organisations extrémistes et les groupes de rebelles armés.
Parmi ces pays du G5 Sahel, trois font toujours la UNE des évènements et retiennent continuellement l’attention de l’opinion publique nationale et internationale aussi bien des organisations des droits humains, à savoir le Mali, en premier lieu, le Tchad, ainsi que le Niger.
De cette situation a émergé, semble-t-il, une sorte de « bras de fer » entre les deux présidents Mohamed Bazoum (Niger) et Assimi Goïta (Mali), notamment onze mois après la mise en place d’un régime militaire au Mali, et à peine deux mois après le second coup d’État mené par le colonel Goïta et son équipe d’officiers, envers qui le président nigérien n’a pas caché d’être particulièrement virulent à l’égard des nouvelles autorités de Bamako.
Présence militaire française au Sahel
En effet, et ce n’est point un secret pour personne, le Niger serait en passe de devenir le « pilier central de la stratégie militaire française au Sahel », et son président en a profité pour se montrer particulièrement offensif à l’égard de son homologue malien, ce à quoi Bamako a protesté officiellement, sauf que les autorités maliennes, redoutant l’isolement, ont appelé à unir plutôt les efforts contre le terrorisme.
Cette situation nous ramène jusqu’au début du mois de décembre 2021, précisément les 6 et 7 décembre, date à laquelle s’était tenu au Sénégal le Forum international de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique, organisé par le ministère sénégalais des Affaires étrangères et auquel participaient des centaines de décideurs du continent africain, dont des officiels, des hommes politiques, des experts et des universitaires, ainsi que le ministre français de la Défense et plusieurs partenaires internationaux.
Ce jour-là, Mohamed Bazoum, qui s’exprimait à l’ouverture de la septième Edition du Forum international, tenu sous le thème « Défis pour la stabilité et le décollage en Afrique dans le monde post-Covid 19 », avait déclaré que les organisations « terroristes » opérant dans la région du Sahel sont « supérieures » à certains égards aux armées nationales, mais elles ont des « faiblesses importantes », notamment l’absence d’un « projet politique réel».
Dans son discours d’ouverture, le président du Niger s’est concentré sur la sécurité dans la région du Sahel et a fait une comparaison entre les organisations armées actuellement actives dans la région, et les mouvements rebelles dans les années 1960.
Aperçu sur les capacités des groupes armés
Bazoum a souligné que les organisations actuelles « ont bénéficié des moyens fournis par la technologie, et sont devenues plus aptes à affronter les armées régulières », notant que la chute du régime du colonel Mouammar Kadhafi et le déclenchement de la guerre civile en Libye « a facilité aux organisations terroristes d’obtenir de grandes quantités d’armes ».
Selon lui : « Jamais auparavant dans aucune partie du monde, les groupes rebelles n’ont été aussi en mesure d’accéder aux mêmes armes que celles des armées régulières qui les combattent, comme cela existe aujourd’hui dans la région du Sahel », soulignant dans ce contexte que « les terroristes surpassent les armées nationales en possession de certaines armes, surtout les canons RBG et M80, qui sont les armes les plus importantes dans cette guerre ».
D’autant plus que l’utilisation des motos reste un « élément important » de cette guerre en offrant un « avantage tactique » aux groupes armés face aux armées nationales, en raison de leur agilité, a-t-il indiqué.
Concernant les sources de financement des groupes armés au Sahel, le président nigérien a déclaré qu’ils dépendent principalement des « réseaux de trafic de drogue vers l’Europe et l’Asie, qui sont actifs dans le nord du Mali depuis plus de deux décennies ».
Ils perçoivent également :
• des fonds importants provenant « des rançons payées par certains pays pour libérer leurs otages au Sahel », selon les propos du président du Niger,
• s’appuient davantage sur le vol de bétail et l’imposition de redevances à la population locale pour financer leurs activités,
• contrôlent de nombreuses mines d’or dans la région tout en encourageant la reprise de la prospection civile de l’or.
En revenant sur la situation au Mali, en particulier, Mohamed Bazoum a déclaré quelques temps auparavant : « Ce n’est pas raisonnable qu’à chaque fois qu’une armée dans nos pays essuie des échecs sur le terrain, elle vienne prendre le pouvoir des mains des civils… C’est ce qui s’est passé par deux fois au Mali… Ce ne sont pas des choses acceptables et nous avons d’ailleurs pris les mesures de sanctions prévues par les traités de la CEDEAO ».
Le Ministre malien des Affaires étrangères Abdoulaye Diop
À Bamako, la déclaration de Bazoum a été vivement critiquée, tant du côté des partisans du pouvoir que de celui de ses opposants.
La réaction du Mali a pointé du doigt le président nigérien, qui avait tenu ces propos à Paris, et aux côtés d’Emmanuel Macron, qui plus est, il avait répondu à une question qui ne lui était pas adressée, selon l’analyste sur les questions de sécurité au Sahel, Ibrahim Maïga.
Néanmoins, en tenant ses propos aux côtés du président français, Mohamed Bazoum voulait-il montrer à Emmanuel Macron qu’il était capable d’endosser un rôle pivot au Sahel, à un moment où Niamey est appelé à jouer un rôle encore plus central dans la stratégie militaire de la France.
C’est d’ailleurs pourquoi, qu’à la suite des déclarations du président nigérien, le ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, avait « convoqué » l’ambassadeur du Niger à Bamako, à qui il avait fait part de l’étonnement du gouvernement malien face à de tels propos et a en conséquence élevé, au nom du gouvernement de la République du Mali, une vive protestation auprès du gouvernement de la République du Niger.
Revenant sur l’initiative du Chef de la diplomatie malienne, Ibrahim Maïga a laissé entendre que : « Les propos peuvent être blessants, mais les autorités maliennes se sont montrées pragmatiques. Elles savent qu’elles doivent à tout prix éviter une forme d’isolement diplomatique et sécuritaire parce qu’aujourd’hui l’on constate que les défis sont plus que jamais transnationaux ».
Rivalités nigéro-maliennes
Il importe de rappeler que Bamako et Niamey n’en sont pas à leur premier bras de fer. Si Mohamed Bazoum a suivi la lignée de son prédécesseur, Mahamadou Issoufou, c’est parce qu’en 2019, ce dernier avait tenu des propos similaires qui avaient crispé son homologue malien, Ibrahim Boubacar Keïta, dans une interview accordée à Jeune Afrique, lors de laquelle il avait déclaré : « Le statut de Kidal, au Mali, nous pose problème, avait- il déclaré. Kidal est un sanctuaire pour les terroristes, et ceux qui nous attaquent s’y replient souvent. Kidal est une menace pour le Niger et il faut impérativement que l’État malien y reprenne ses droits. »
Autre point culminant de cette rivalité, c’est la question de la frontière entre le Mali et le Niger, qui a longtemps été un point de discorde entre les deux pays voisins.
« En partie pour expliquer les échecs qu’ils pouvaient avoir de leur côté, les militaires nigériens accusent l’armée malienne d’avoir déserté la frontière. Ils considèrent que cette absence a permis aux terroristes de se développer dans la zone », avait alors confié un ancien ministre.
A quel genre de scénario allons-nous assister dans cette région « chaude » du Sahel africain ?
Anouar CHENNOUFI
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