« Il y a une forme d’eurocentrisme, voire de racisme, dans la répartition de l’aide internationale »

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« Il y a une forme d’eurocentrisme, voire de racisme, dans la répartition de l’aide internationale »
« Il y a une forme d’eurocentrisme, voire de racisme, dans la répartition de l’aide internationale »

Africa-Press – Niger. Loin d’Europe, loin d’Ukraine, la guerre continue de tuer chaque jour en Afrique. Pour la première fois, le classement annuel des « dix crises les plus négligées », publié mercredi 1er juin par le Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC), est entièrement composé de pays du continent.

En tête, la République démocratique du Congo (RDC), le Burkina Faso et le Cameroun. Outre les conflits, les « crises » sont aussi alimentaires, comme au Sahel et en Afrique de l’Ouest, où 27 millions de personnes souffrent de la faim. Une situation d’une sévérité inédite depuis dix ans, aggravée par les effets cumulés de la guerre en Ukraine, du changement climatique et de la pandémie de Covid-19.

Tom Peyre-Costa, porte-parole de l’ONG en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, regrette « une forme d’eurocentrisme, voire de racisme, dans la répartition de l’aide internationale ». Il plaide pour que la rapidité de la réponse de la communauté internationale face à la guerre en Ukraine soit dupliquée ailleurs.

Pourquoi les dix crises « les plus négligées » à travers le monde, d’après vos critères, sont-elles toutes en Afrique ?
Tom Peyre-Costa

Nous avons réalisé ce classement selon trois facteurs : le manque de financement, d’implication politique et d’attention médiatique. Il y a d’abord la loi du « mort-kilomètre ». Plus ces crises sont éloignées de l’Occident, moins elles y suscitent d’intérêt et d’empathie. On peut ainsi regretter une forme d’eurocentrisme, voire de racisme, dans la répartition de l’aide internationale.

La guerre en Syrie a fait les gros titres lorsque les réfugiés syriens ont commencé à arriver en Europe. Les crises en Amérique latine retiennent l’attention lorsque les migrants tentent de franchir la frontière américaine. Mais la plupart des déplacés touchés par les conflits sur le continent africain ne se présentent pas à « nos » portes et n’ont pas d’autre choix que de fuir dans leur propre pays ou dans un pays voisin.

A cela s’ajoute une fatigue des bailleurs de fonds et des médias pour ces crises qui durent parfois depuis plus d’une décennie, comme en RDC, où les groupes armés attaquent sans relâche des civils, souvent à l’intérieur même des camps de déplacés, qui sont pourtant censés être des espaces protégés par le droit international humanitaire. Il faut être un monstre pour tuer des femmes et des enfants innocents ; mais regarder des monstres les tuer encore et encore, sans rien faire, c’est aussi inhumain.

La guerre en Ukraine a-t-elle contribué à éclipser ces crises ?

Ce conflit a en tout cas démontré l’immense fossé entre ce qui est possible lorsque la communauté internationale se mobilise et la réalité quotidienne de millions d’Africains qui souffrent dans l’ombre.

A titre de comparaison, l’appel humanitaire pour l’Ukraine a été financé à 100 % le jour même, soit plus de 6 milliards d’euros récoltés [lors d’une conférence internationale des donateurs à Varsovie, le 5 mai], alors qu’en RDC, où près d’un tiers de la population souffre de la faim, plus de la moitié des fonds du plan d’urgence humanitaire manquait en 2021 : 876 millions de dollars [environ 816 millions d’euros] ont été versés sur 1,98 milliard de dollars demandés.

Concernant la couverture médiatique, on compte en moyenne trois fois plus d’articles publiés chaque jour pendant les premiers mois de la guerre en Ukraine que pour tout 2021 sur la crise au Burkina Faso, qui a pourtant connu un pic des déplacements cette année-là. Pourtant ce sont les mêmes regards terrifiés que l’on voit fuir à Boutcha, à Marioupol et au Sahel.

Quelles sont les conséquences du conflit en Ukraine dans ces pays ?

La flambée des prix des denrées alimentaires et du carburant touche des populations vulnérables qui le deviennent encore plus. En RDC, le prix du sucre et de l’huile de cuisson a doublé, tandis que le pain a augmenté de 20 %. Imaginez l’impact de ces hausses dans un pays où 27 millions de personnes souffrent déjà de la faim. Les opérations humanitaires coûtent aussi plus cher, alors que plusieurs pays bailleurs ont annoncé une réduction de leur aide en Afrique pour rediriger des fonds vers l’Ukraine. Comme au Mali, où le Danemark a décidé de réduire son financement de 40 %.

La situation était déjà alarmante, mais nous sommes de plus en plus inquiets. Les chiffres de la faim battent des records. Si on additionne ceux pour l’Afrique de l’Ouest, la RDC et la Centrafrique, cela donne 65 millions de personnes qui se trouvent désormais en situation d’insécurité alimentaire, soit la taille de la population française.

Comment la réduction de l’aide internationale affecte vos activités sur le terrain ?

Nous sommes contraints de faire des choix impossibles, entre ceux qu’on pourra aider et les autres. En RDC, c’est très compliqué. A peine 10 % du plan de réponse de l’année 2022 est financé à ce jour. L’an dernier, l’aide fournie équivalait à moins d’un dollar par semaine et par personne dans le besoin.

Cette négligence internationale a un coût énorme. Des vies qui auraient pu être sauvées sont perdues. On laisse les conflits se transformer en crises prolongées et anéantir les espoirs de générations entières en quête d’un avenir meilleur. C’est un cercle vicieux. Car c’est aussi la faim qui pousse les gens à prendre les armes. Sans nourriture, pas de paix ; sans paix, pas de nourriture.

Quand on voit la rapidité avec laquelle les décideurs et les médias ont agi en réponse à la guerre en Ukraine, on aimerait que cela inspire la même urgence face aux crises les plus négligées de notre époque. Nous devons surmonter la lassitude des donateurs, trouver des solutions politiques durables et veiller à ce que l’aide humanitaire soit fournie en fonction des besoins et non de la couverture médiatique ou des intérêts géopolitiques.

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