Recrutement : la chasse aux talents est ouverte

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Recrutement : la chasse aux talents est ouverte
Recrutement : la chasse aux talents est ouverte

Africa-Press – Niger. Quand chaque année 10 à 12 millions de jeunes Africains entrent sur le marché du travail, seuls 3 millions d’emplois formels sont créés sur le continent. Et pourtant, dans les métiers qualifiés, a fortiori pour les postes exécutifs, les grandes entreprises régionales, panafricaines et internationales se mènent une guerre des talents sans merci, dans laquelle « les candidats font la loi », assure Deffa Ka, manager au cabinet de recrutement Fed Africa.

« Le marché est plus concurrentiel qu’il y a quelques années, et les candidats beaucoup plus volatils », abonde Marion Navarre, directrice conseil en capital humain chez Deloitte. Durement touchée par les effets économiques de la pandémie de Covid-19, la croissance africaine a rebondi pour atteindre 3,7 % en 2021 et devrait avoisiner les 3,8 % en 2022, d’après les estimations du FMI. De quoi attirer l’attention. Ainsi, des télécoms à l’énergie, en passant par la finance, l’assurance et l’agriculture, les quelques géants d’hier, qui se partageaient souvent les différents pays africains, voient aujourd’hui leurs plates-bandes foulées par de nouveaux acteurs.

Orange contre Wave

Dans les secteurs qui exploitent les outils numériques, cette nouvelle compétition est surtout le fait de start-up en pleine croissance. « Un ingénieur en développement mobile au Sénégal ou en Côte d’Ivoire, qui, il y a quelques années, aurait d’office choisi de travailler chez Orange, peut aujourd’hui trouver le même poste chez Wave« , illustre Samba Lo, fondateur et PDG de Socium, une start-up de recrutement. Et avec l’émergence du travail hybride, ce même ingénieur pourra « être débauché au-delà des frontières africaines » en tant que consultant ou bien comme employé à distance, renchérit Marion Navarre.

Mais d’autres secteurs, comme les hydrocarbures, la logistique ou l’agro-alimentaire – « moins visibles, mais qui alimentent encore la majeure partie du PIB africain », insiste Marion Navarre – sont aussi en plein bouleversement, « car de nouveaux groupes européens, chinois, indiens ou du Moyen-Orient s’installent sur le continent, séduits par la croissance de certaines économies », complète Samba Lo. La création de la zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), si elle devient une réalité pour les entreprises, renforcera encore ce mouvement.

Que leur rôle nécessite une présence physique – chef de projet dans le bâtiment, cadre de l’hôtellerie, deux secteurs en pleine explosion dans des métropoles comme Abidjan, Accra ou Dakar, ou encore commerciaux – ou qu’il s’appuie sur de nouvelles compétences numériques (développeur, designer, expert en cybersécurité…), les candidats que s’arrachent le plus les entreprises en Afrique « ont désormais besoin d’être séduits », eux aussi, tranche Deffa Ka. Cela peut se faire par un package salarial alléchant, des conditions avantageuses et une évolution de carrière, certes, mais surtout par un projet d’entreprise et des valeurs.

Personnifier son image sur tous les canaux

D’où le nouveau leitmotiv dans toutes les bouches des recruteurs : les entreprises africaines doivent développer leur marque employeur. L’une des premières stratégies pour ce faire ne date pas d’hier : associer son image à des personnalités. Si les grands groupes ont presque toujours sponsorisé, voire même organisé, des événements culturels en Afrique, Joël-Éric Missainhoun, directeur du cabinet AfricSearch à Abidjan, remarque que la compétition entre Orange et MTN sur l’événementiel en Côte d’Ivoire n’a jamais été aussi rude. « C’est à qui fera venir le plus grand chanteur », résume ce dernier. Au Cameroun, le groupe de télécoms français va même plus loin : il s’est choisi l’ex-footballeur Samuel Eto’o comme égérie, à l’image de ce qu’ont fait les fintechs Flutterwave et Chipper Cash avec les stars nigérianes de l’afrobeats, Wizkid et Burna Boy.

Mais ces coups de pub souvent exorbitants ne sont plus suffisants. « Les entreprises se doivent désormais d’être présentes sur tous les canaux numériques, leur site web et les réseaux sociaux en tête, d’y publier du contenu et d’y partager le quotidien de leurs collaborateurs », détaille Samba Lo. « Parfois, le dirigeant lui-même prend les rênes du compte LinkedIn de l’entreprise », témoigne Joël-Éric Missainhoun. Cette transition de l’image d’entreprise globale à celle d’une grande famille dépasse de loin les frontières de l’Afrique. En un sens, cette tendance rappelle le modèle d’entreprise « à la papa » qui a dominé l’Europe au XXe siècle, où le patron paternaliste est supplanté par l’entrepreneur ultra-connecté qui joue le grand-frère.

anticolonialiste

Mais en Afrique, cette personnification 2.0 de l’entreprise a notamment un but : attirer des « profils assez seniors pour prendre des responsabilités, se faire respecter dans des sociétés où la révérence envers les aînés prime encore et être au parfum des contextes économiques et réglementaires parfois complexes, mais assez jeunes pour conserver une certaine agilité, une flexibilité dans le travail » », développe Joël-Éric Missainhoun. Ces « juniors + », avec cinq ou six ans d’expérience, sont le Graal actuel pour les grands groupes africains, notamment pour des postes numériques, confirment Samba Lo et Deffa Ka.

La formation continue plutôt que les repatriés

Malheureusement, la solution toute trouvée qu’incarnaient les « repats » ou « returnees », ces Africains partis à l’étranger pour étudier et parfois commencer leur carrière, qui sont candidats au retour, est quelque peu retombée ces dernières années. « Il y a dix ans, les repats étaient très séduisants mais la greffe n’a pas toujours pris et certains sont aussi vite partis qu’ils étaient arrivés », expose Marion Navarre. D’après son témoignage, mais aussi ceux de Samba Lo et de Joël-Éric Missainhoun, qui se sont tous déjà cassés les dents en recrutant des repats, ces derniers doivent être rassurés, sont parfois déconnectés des marchés domestiques ou de la réalité de la vie dans les pays africains et sont deux à trois fois plus chers que d’autres profils pour certains postes.

« L’arrivée de certains repats a aussi engendré une grogne de la part d’autres candidats, qui avaient effectué leur cursus sur le continent et qui se sentaient déconsidérés », indique Marion Navarre. Autant de raisons qui font qu’aujourd’hui, les entreprises africaines embauchent ces profils au compte-goutte, souvent pour des postes de direction, assure-t-elle. « Cette tendance a eu la vertu d’obliger les entreprises africaines à s’aligner sur les pratiques européennes en matière de couvertures sociales (retraite, maladie, naissance…) », souligne la conseillère.

Pour Joël-Eric Missainhoun, la vraie solution est de « parier sur la jeunesse et de la former en interne ». Et pour cause, déplore ce dernier, nous assistons à « un effondrement du système global d’enseignement supérieur en Afrique, notamment pour former les profils intermédiaires », où seules une poignée d’écoles de commerce, de management et d’ingénieurs en Afrique, comme l’École supérieure polytechnique (ESP) de Dakar, s’illustrent encore par la qualité de leur formation. Pour les profils plus opérationnels dans la tech, Yann Hazoume, qui dirige le cabinet de recrutement éponyme, basé en France, voit, lui, d’un très bon œil l’arrivée sur le continent de ce qu’il appelle « des formations alternatives », ne requérant pas de diplômes pour apprendre la programmation informatique (l’école 42, l’association 10 000 codeurs…) ou développer des compétences en cybersécurité (Institut africain de cybersécurité et de sécurité des infrastructures…).

Des entreprises familiales à la traîne

À l’heure où le package salarial offert par certaines licornes africaines commencent à tutoyer celui des grands groupes, les promesses de formation pourraient être l’atout principal de ces derniers pour garder leurs talents. Sur toutes ces évolutions, les groupes familiaux apparaissent souvent à la traîne, constate Joël-Éric Missainhoun, surtout lorsque les fondateurs sont encore aux commandes. Ceux-ci considèrent encore fréquemment que proposer un emploi est déjà un privilège accordé aux candidats. Par ailleurs, ces entreprises ne peuvent, le plus souvent, pas s’aligner sur les avantages offerts par les multinationales à leurs cadres dirigeants.

Pour contourner cet écueil, leurs patrons recrutent d’autant plus volontiers au sein de leur cercle familial. Si cette méthode permet de préparer la succession, elle peut aussi se révéler désastreuse lorsque la nouvelle génération ne présente pas les compétences requises.

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