
Africa-Press – Niger. Au cours de la dernière ère glaciaire, l’Amérique du Nord abritait une faune diversifiée, en partie constituée de grands mammifères aujourd’hui disparus : des mastodontes, des mammouths, des bisons et des ours géants, mais aussi d’anciens chevaux, des chameaux, ou des chats à dents sabre. Une des raisons invoquées pour expliquer leur brusque extinction à la fin de l’ère glaciaire, il y a environ 12.800 ans, serait la chasse intensive pratiquée par les peuples paléo-américains. Il existe certes des preuves de chasse sur des sites archéologiques de l’ouest des États-Unis, mais il n’en existe aucune dans l’est du pays, où le sol, très acide, détruit rapidement les matières organiques. Une étude publiée dans Scientific Reports vient donc combler cette lacune en apportant les premières preuves de chasse de la mégafaune à l’ère glaciaire en Caroline du Nord et du Sud. En l’absence d’ossements exploitables, l’équipe dirigée par Christopher R. Moore, archéologue à l’université de Caroline du Sud, se fonde sur une méthode empruntée à la médecine légale, qui consiste à analyser les résidus sanguins encore présents sur des armes et des outils lithiques, avec pour objectif de confirmer une « scène de crime » datant de presque 13.000 ans !
Les anciens peuples de l’est de l’Amérique du Nord chassaient les mammouths, les chevaux et les bisons il y a 13.000 ans
Pendant la dernière ère glaciaire, le nord du continent américain était recouvert d’un immense glacier qui s’étendait, dans sa partie orientale, jusqu’à la hauteur de New York. Les éventuelles traces d’anciens habitants ne peuvent donc se trouver que plus au sud. Or, dans de nombreuses régions du sud-est des États-Unis, la terre sableuse est particulièrement acide, ce qui explique (en partie) pourquoi aucun site de l’ère glaciaire réunissant des os d’animaux et des outils lithiques n’a pour l’instant été retrouvé. Mais les artefacts paléo-américains sont bien présents ; ils constituent donc l’élément essentiel sur lequel l’équipe de Christopher Moore a décidé de se baser pour chercher des preuves de chasse à la fin du Pléistocène. L’archéologue a ainsi réuni un large échantillon de 120 outils réalisés dans différentes sortes de pierres (dont la chaille, la rhyolite, le quartz, le tuf et le jaspe), retrouvés dans les deux États de Caroline du Nord et du Sud. Il s’agit aussi bien de pointes de projectiles que d’outils de découpe ou de nettoyage de la peau : couteaux (bifaces), grattoirs ou racloirs. Ces artefacts datent essentiellement de la période des chasseurs-cueilleurs de la culture Clovis, mais aussi de la période antérieure – relevant toutes deux du Paléo-indien précoce –, et de la période suivante, dite du Paléo-indien moyen.
Les microfissures des outils contiennent toujours des protéines sanguines des espèces disparues
Pour trouver des preuves que des animaux ont été touchés, et peut-être même découpés et préparés, avec les outils dont il dispose, Christopher Moore a emprunté une méthode utilisée depuis une cinquantaine d’années en médecine légale, consistant à rechercher des traces de protéines sanguines sur des objets relevant d’une scène de crime. Cette technique, qui s’appelle l’immunoélectrophorèse croisée (CIEP), permet d’identifier des morceaux de protéines que les chercheurs présument conservés dans les microfissures et autres reliefs microscopiques des outils lithiques : « En effet, les résidus de protéines sanguines des espèces animales préhistoriques sont préservés sous forme d’épitopes linéaires [des acides aminés situés dans une zone particulière d’une protéine, ndlr] dans les microfractures de la pierre qui sont scellées par l’accumulation de sédiments et de lipides lors de l’utilisation de l’artefact dans des activités de boucherie ou de chasse », spécifient-ils.
L’équipe de Christopher Moore avait déjà recouru à cette méthode dans une étude antérieure, réussissant à démontrer la présence de sang de bison, de cerf, d’ours et de lapin sur une vingtaine d’artefacts, mais échouant à mettre en évidence que les Paléo-Américains de la région auraient pu chasser des animaux plus massifs. Preuve que ce n’est pas la méthode, mais le nombre et la diversité d’outils qui étaient en cause, les présentes analyses sont formelles et montrent sans aucune ambiguïté que les anciens peuples de la région ont tué, ou dépecé, de grands mammifères présents dans la région.
Mammouth, cheval et bison étaient bien au menu des Paléo-Américains à l’ère glaciaire
Les analyses ont en effet mis en évidence la présence de sang d’espèces éteintes – Proboscidiens (mammouth, mastodonte), Équidés (chevaux du Pléistocène) et Bovidés (bison) –, mais aussi d’espèces toujours existantes : cervidés, canidés et ursidés. Comme Christopher Moore le résume dans un article publié en ligne, « ces résultats comprennent la première preuve directe, sur d’anciens outils en pierre, de la présence de sang de mammouths ou de mastodontes (Proboscidea) et de chevaux nord-américains (Equidæ) éteints sur des artefacts paléo-américains de l’est de l’Amérique du Nord. Ces éléments sont importants, car ils prouvent que ces animaux étaient présents dans les Carolines et qu’ils étaient chassés par les premiers Paléo-Américains ou que ces derniers exploitaient la viande d’animaux morts ». Par ailleurs, il apparaît que l’animal le plus présent sur les outils analysés est le bison, signe que la culture de Clovis et les autres peuples de la région chassaient abondamment cet animal.
Des outils à tout faire
En plus des traces de sang, les chercheurs ont également examiné les preuves de micro-usure des outils testés positifs pour les grands mammifères afin de préciser leur mode d’utilisation. Ces examens réalisés à l’aide de la microscopie dite à « haute puissance » « sont cohérents avec l’utilisation de projectiles, la boucherie, le grattage de peaux fraîches et sèches, l’utilisation de peaux sèches enduites d’ocre pour la fixation, et l’usure de fourreaux en peaux sèches », écrivent les chercheurs. En effet, les diverses traces d’usure présentes sur la plupart de ces outils montrent qu’ils étaient utilisés à diverses fins tout au long de leur existence ; ainsi les pointes de lances, initialement fabriquées pour servir de projectiles, étaient dans le même temps utilisées pour la boucherie (découpe), avant d’être transformées en grattoirs (pour nettoyer les peaux) ou en burins.
Mieux comprendre les raisons de l’extinction des grands mammifères
Les résultats obtenus sont également intéressants car ils permettent de nuancer le peu que l’on sait à propos de l’extinction des grands mammifères en Amérique du Nord. Dans la région qui a été retenue pour l’étude, les chercheurs ont en effet décelé du sang d’anciens chevaux sur des artefacts de la période Clovis, mais également sur des pointes de lances de la période ultérieure, tandis que le sang de Proboscidiens n’apparaît que sur des pointes Clovis. « Cela pourrait suggérer que l’extinction des Proboscidiens était terminée dans les Carolines à la fin de la période Clovis, et que l’extinction des espèces de chevaux de l’ère glaciaire a pris plus de temps », en conclut Christopher Moore. Pour en savoir plus, le chercheur préconise d’augmenter le nombre d’armes et d’outils, et d’élargir le champ d’investigation à d’autres régions nord-américaines. Ceci permettrait sans nul doute de mieux comprendre les raisons de l’extinction des grands animaux sur le continent et d’en déterminer les lieux et les moments précis. Car les preuves de chasse apportées tant dans l’ouest qu’à présent dans l’est de la zone septentrionale du continent américain ne sauraient à elles seules expliquer la disparition massive, et pas forcément concomitante, de tant d’espèces différentes.
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