Mathieu Galtier – Envoyé spécial à Lomé
Africa-Press – Niger. Pour poursuivre sa croissance, le groupe bancaire panafricain veut devenir la banque de référence du commerce continental, s’appuyant sur une digitalisation accrue. Une stratégie qui n’est pas sans risque.
Miser sur un commerce panafricain digitalisé et fleurissant, c’est la stratégie d’Ecobank Transnational Incorporated (ETI) pour renforcer sa croissance. Lors de la dernière assemblée générale du groupe à Lomé, au début de juin, son directeur général, Jeremy Awori, a incité ses équipes à être plus présent dans les services aux particuliers et dans ceux à la banque commerciale afin de capter et booster les échanges de fonds sur le continent. Quelques mois plus tôt, en mars, les activités des deux secteurs ont d’ailleurs fusionné, désormais regroupés sous la direction d’Anup Suri.
« Les transactions bancaires en Afrique subsaharienne, hors Afrique du Sud, représentent 20 à 30 milliards de dollars, dont la moitié au Nigeria, constate la direction du groupe. En tant que banque panafricaine, nous devons donc accélérer sur ce secteur », constate la direction du groupe.
En 2023, la valeur des échanges commerciaux intra-africains a ainsi progressé de 2,3 % pour atteindre 189,3 milliards de dollars, grâce notamment à la mise en place de l’accord de la Zone de libre échange africaine (Zlecaf), selon un récent rapport d’Afreximbank, bras commercial de la Banque africaine de développement.
« Nous misons sur l’intégration financière du continent »
Pour la banque cofondée en 1985 par le Togolais Gervais Koffi Djondo et le Nigerian Adeyemi Lawson, il s’agirait d’une petite révolution, alors qu’elle a basé son succès sur sa branche dédiée aux grandes entreprises et à l’investissement (CIB), son secteur le plus performant. En 2023, celle-ci a représenté 49 % des revenus et 44 % des bénéfices du groupe.
Il ne s’agit pas pour Ecobank, qui a dépassé les 2 milliards de dollars (1,87 milliard d’euros) de revenus en 2023, de délaisser ce pourvoyeur de cash, mais de l’intégrer dans un cercle que la banque veut vertueux, comprenant le secteur commercial et, in fine, celui des particuliers.
« Nous misons sur l’intégration financière du continent, indique-t-on à Ecobank. Cela viendrait en soutien à nos champions régionaux, comme Dangote, qui a besoin de payer rapidement et à moindre coût ses distributeurs partout sur le continent. » D’où la décision en juin 2023 d’intégrer le système de paiement et de règlement panafricain (Papss) devant faciliter le règlement des transactions transfrontalières.
Ecobank agit dorénavant comme un agent de règlement interbancaire au nom de banques centrales qui n’ont pas encore intégré ce système dans les pays où la banque opère. Un levier de croissance important, et sur-mesure, car, grâce à son maillage unique dans le secteur bancaire africain, Ecobank devient instantanément un agent de règlement de référence.
Intelligence artificielle et diasporas
Pour accomplir sa quête, la banque doit retrouver le statut de locomotive, qu’elle a perdu depuis quelque temps, sur le terrain du digital. Un retard que la plateforme Ecobank Single Market Hub, lancée récemment, doit contribuer à combler. Celle-ci vise à faciliter les transactions entre acheteurs et vendeurs à travers le continent, et à mettre à disposition des sociétés tous les services d’Ecobank.
Pour cibler au mieux, le conseil d’administration – présidé depuis le 6 juin par le capital-investisseur sénégalais Papa Madiaw Ndiaye, qui succède ainsi au financier camerounais Alain Nkontchou –, a décidé d’investir dans l’intelligence artificielle afin d’optimiser les procédures, de mieux connaître les clients et de proposer des meilleurs services à la diaspora. Concernant cette dernière clientèle, Ecobank envisage une meilleure coopération entre les services commerciaux et de distribution de la filiale bancaire localisée à Paris, Ecobank International, et des agences africaines, dans l’objectif de générer davantage de revenus.
Si la barre des 100 millions d’utilisateurs digitaux – la banque compte aujourd’hui 32,4 millions de clients – demeure encore à franchir, la direction ne donne pas de calendrier. Et préfère insister sur « le ciblage des clients les plus influents, les plus actifs ». Boulevard du Mono, à Lomé, au siège, on n’exclut pas de racheter des sociétés de la fintech pour monter en gamme plus rapidement. On se montre, en revanche, beaucoup plus prudent sur la reprise d’autres banques. Par principe, Jeremy Awori, interrogé sur un éventuel rachat des filiales africaines de la Société générale lors de l’assemblée générale, a affirmé que rien n’était fermé, mais pour ajouter que le potentiel de croissance existe déjà en interne.
Dans les petits marchés où Ecobank n’est pas leader ou présent dans le top 3, la direction envisage de transformer les filiales en les spécialisant dans les secteurs les plus rentables. Les agences au Cap-Vert, au Mozambique, au Malawi, en Guinée équatoriale, et au Gabon pourraient ainsi être concernées.
Instabilité politique
Reste à savoir si l’hypothèse de départ, celle d’un développement du commerce africain, se matérialisera assez rapidement au goût des investisseurs. Les échanges continentaux progressent certes, mais la part du commerce intra-africain dans le monde, elle, baisse, passant de 14,5 % à 13,7 %. La Commission économique pour l’Afrique de l’ONU déplore qu’« en dépit du lancement de l’Accord de zone libre échange sur le continent africain le 1er janvier 2021, les changements envisagés dans le commerce intra-africain ne se sont pas encore fait sentir ».
De son côté, l’agence de notation Fitch Ratings salue chez Ecobank « une rentabilité opérationnelle saine et un solide profil de financement et de liquidité », mais pointe encore et toujours une « exposition élevée » aux dettes souveraines dans des pays clés comme le Nigeria (qui représente à lui seul 3 % des profits avant impôts du groupe) et le Ghana.
L’instabilité politique actuelle dans plusieurs pays de l’Afrique de l’Ouest pourrait ralentir l’intégration économique et le développement d’Ecobank. La zone Uemoa représente par exemple 35,4 % des profits avant impôts du groupe. Fitch note également qu’à la fin du troisième trimestre de 2023, le ratio Tier 1 des fonds propres baisse (9,2%) et se rapproche du minimum réglementaire (8,5 %).
Pour se prémunir d’un scénario catastrophe, le conseil d’administration vient de faire voter, à une très large majorité, un endettement à hauteur de 600 millions de dollars et l’absence de versement de dividendes pour la deuxième année consécutive. Les petits actionnaires suivent, non sans récrimination. Les actionnaires plus importants que sont les sud-africains Nedbank (21,22 %), Arise BV (14,10 %), et le qatari QNB (20,10 %), eux, adhèrent. « Les petits actionnaires grognent. Mais nous sommes les premiers à vouloir des dividendes rapidement », glisse un représentant de l’un des principaux actionnaires, sans préciser s’il signifiait une impatience envers les petits porteurs ou envers la direction.
Source: JeuneAfrique
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