Pétrole : Perenco s’offre une cure de jouvence en Afrique, mais à quel prix ?

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Pétrole : Perenco s’offre une cure de jouvence en Afrique, mais à quel prix ?
Pétrole : Perenco s’offre une cure de jouvence en Afrique, mais à quel prix ?

Maher Hajbi

Africa-Press – Niger. Côté face, le pétrolier franco-britannique investit à tour de bras au Gabon, au Cameroun, en RDC ou encore au Congo. Côté pile, son modus operandi est empêtré dans la controverse. Décryptage.

Propriété de la famille Perrodo, l’une des plus grosses fortunes françaises en Afrique, Perenco (Perrodo Energy Company) enchaîne les transactions sur le continent, à l’inverse de la tendance générale du secteur qui fait face à l’asséchement des investissements étrangers. Présent en Tunisie et au Tchad, avec une modeste production de 18 000 barils de pétrole par jour, le pétrolier franco-britannique, qui mise essentiellement sur les gisements mâtures – devenus peu rentables pour les majors – a fait de l’Afrique centrale son fief.

Gabon, Cameroun, Congo, RDC… Sur son terrain de jeu privilégié, Perenco tire 325 000 barils d’équivalent pétrole par jour (bep/j), correspondant à 65 % de sa production globale à travers le monde. Si le groupe figure parmi les rares opérateurs qui ne publient pas leurs résultats financiers, il a profité – à l’image des majors du pétrole et du gaz – de la forte hausse des cours au lendemain de la guerre en Ukraine pour engranger des bénéfices records.

Pétrole, GNL, gaz butane…

Après des années difficiles, marquées par l’exode forcé de la quasi-totalité de l’état-major et près de 20 % des employés, le spécialiste du pétrole low cost retrouve des couleurs avec le rachat des champs pétroliers en déclin pour prolonger leur durée de vie. Premier producteur d’or noir au Gabon (115 000 bep/j) – à la suite du rachat de plusieurs actifs de Shell et de TotalEnergies, tous deux engagés à réduire la voilure dans le pays – Perenco se veut un partenaire incontournable à l’État.

Pour réduire de plus de 50 % les importations de gaz butane de Libreville, qui importe presque la totalité des quantités consommées dans les ménages, le groupe a inauguré, en début d’année, une usine disposant d’une capacité de production de 15 000 tonnes par an. Dans la foulée, le pétrolier franco-britannique se lance dans la construction d’une unité de production de gaz naturel liquéfié (GNL) sur le terminal pétrolier de Cap Lopez pour 1 milliard de dollars.

Unique compagnie pétrolière en service en RDC, où elle exploite une dizaine de gisements sur la façade maritime de Muanda, Perenco s’est également positionné sur deux blocs au Kongo central lors des appels d’offres lancés par les autorités. À l’heure où le processus met encore du temps à se décanter, le groupe poursuit son développement dans la région. Au Cameroun, il s’est associé à l’armateur gazier norvégien Golar LNG pour doper ses opérations offshore, tandis qu’au Congo, il a mis la main sur des actifs de la major italienne ENI contre 300 millions de dollars.

En dépit des investissements planifiés pour doper sa production avec de nouveaux forages, « Perenco n’a jamais été particulièrement spécialisé sur les découvertes, car sa stratégie repose sur l’exploitation des champs existants », souligne Philippe Sébille-Lopez, directeur du cabinet Géopolia. Selon le spécialiste des enjeux pétroliers et gaziers, l’opérateur tire avantage de trois éléments clés: « l’existence de ressources avérées, les prétentions exceptionnellement basses des majors pour céder les actifs et l’expertise des compagnies auxquelles ils rachètent leurs gisements ».

Réitérant son engagement de favoriser le développement local et d’aider les États africains à relever les défis de la transition énergétique, Perenco confirme son virage gazier sur le continent. « Avec notre stratégie Gas to power, nous aidons nos activités à passer du carburant au gaz pour les centrales électriques, mais aussi pour répondre à la demande locale avec la production de GPL, de gaz pour l’industrie et de GNL », explique la direction à Jeune Afrique.

Pots-de-vin, pollution, impunité…

Fondé par l’entrepreneur breton Hubert Perrodo, mort en 2006 dans un accident de randonnée à ski à l’âge de 62 ans, Perenco a d’abord fait affaire avec Elf, en lui achetant ses gisements en fin de vie au Gabon, avant de dupliquer sa stratégie low cost au Cameroun et au Congo. Cependant, le mode opératoire de l’entreprise – dont le siège opérationnel a été déplacé à Londres, en 2005, après des bisbilles avec le fisc français, où il garde un bureau d’études et d’expertise – est très critiqué pour ses pratiques environnementales et surtout son manque de transparence.

Très connecté aux cercles et lieux du pouvoir, « Perenco reste intouchable », glisse un ex-officiel gabonais, selon lequel « la famille Perrodo gérait directement ses opérations avec le Palais du bord de mer, sous Ali Bongo Ondimba, sans même discuter avec le ministre du Pétrole ». Un rituel préservé de père en fils. Après le coup d’État de l’armée gabonaise en 2023, l’héritier, François Perrodo, propulsé à 29 ans à la tête de Perenco après le décès du fondateur, a veillé à maintenir une relation solide avec le chef de la transition, Brice Clotaire Oligui Nguema.

Poursuivi en justice pour pollution de l’environnement, « l’opérateur, soutenu par le pouvoir, n’a rien fait pour indemniser les populations sinistrées », regrette notre source. Plusieurs actions en justice existent, mais aucune condamnation n’a eu lieu au Gabon pour l’instant. Pire, le groupe – qui se dit déterminé à « répondre aux enjeux climatiques, et protéger les personnes et la nature », – enchaîne les drames sur ses plateformes de production sans rendre des comptes. Placé en garde à vue à la suite de la mort, en mars, de cinq travailleurs sur une installation pétrolière à Port-Gentil, Adrien Broche, le patron de la filiale gabonaise, a été libéré dans la foulée, tandis que le procureur ayant ordonné son arrestation a été temporairement suspendu de ses fonctions.

Au regard du nombre d’incidents récurrents sur ses installations de production, Perenco doit revoir en urgence sa politique de sécurité et environnementale, estiment les spécialistes du secteur. « Certes le risque zéro n’existe pas. Toutefois, les enquêtes menées par les autorités dans le cas Perenco manquent de transparence et finalement, ça n’aboutit à aucune sanction », insiste l’ex-officiel gabonais. « La sécurité des employés n’est pas négociable et demeure notre priorité », rétorque la direction du pétrolier, qui révèle avoir investi 10 millions de dollars dans un centre de formation « innovant » destiné à former 40 personnes par semaine dans tous les pays d’Afrique centrale où opère le groupe dans le but de répondre aux normes de sécurité les plus strictes.

Aussi directe que controversée, l’entreprise ne publie presque jamais ses comptes. « Quand une entreprise n’est pas cotée en Bourse, elle n’a aucune obligation de publication des résultats. Cette opacité arrange les États africains pour rester aussi discrets que possible sur les revenus qu’ils vont percevoir des accords conclus avec Perenco », juge Philippe Sébille-Lopez. Perenco souscrit pourtant à l’Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE). Mais l’entreprise, dont la politique est de s’engager activement avec toutes les parties prenantes concernées, réaffirme être « un groupe privé indépendant qui n’a aucun lien avec les décideurs ».

Cependant, d’après une enquête menée par Investigate Europe, une coalition de journalistes d’investigation, et Disclose, un média « à but non lucratif » de journalisme d’investigation, la famille Perrodo est impliquée dans plusieurs affaires de corruption: virements suspects au premier cercle de l’ex-président de la RDC Joseph Kabila, don de quatre jeeps au ministère des hydrocarbures congolais après le lancement des appels d’offres sur les 30 blocs pétroliers et gaziers, ou encore des intérêts cachés de Julienne Sassou-Nguesso, la fille du président du Congo, pour entrer anonymement au capital de Hepco une coentreprise que Perenco a créée avec Hemla, un partenaire norvégien. Interrogé, un porte-parole du groupe élude la question, assurant se conformer « aux normes les plus élevées et aux meilleures pratiques en matière de lutte contre la corruption », et renvoyant vers l’État congolais en ce qui concerne le choix des titulaires du permis pétrolier.

En août, le parquet national financier en France a ouvert deux enquêtes préliminaires à l’encontre de Perenco dans le cadre des activités du groupe au Congo, alors qu’une troisième procédure judiciaire est en cours pour les activités du groupe en RDC et leur incidence sur l’environnement.

Source: JeuneAfrique

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