Africa-Press – Niger. En 2015, le gouvernement colombien annonçait avoir retrouvé l’épave du San José, galion coulé en 1708 au large de Carthagène des Indes, en Colombie, dans la mer des Caraïbes. Le navire qui transportait vers l’Espagne un trésor estimé à plusieurs milliards d’euros excite bien des appétits, mais l’état colombien entend fonder son droit sur le site, désormais classé « zone archéologique protégée », en prenant en main les fouilles sur le terrain. Or l’épave gît par 600 mètres de profondeur, là où aucun humain ne peut plonger. Une équipe de chercheurs de l’École navale de Cadets Almirante Padilla et de l’Institut Colombien d’Anthropologie et d’Histoire (ICANH) a donc entrepris de mener une étude non invasive réalisée par un véhicule télécommandé (ROV, pour Remotively Operated Vehicle). En se basant sur l’observation de pièces d’or colonial, appelées « cobs », ils confirment aujourd’hui dans la revue Antiquity qu’il s’agirait bien du San José.
Premières fouilles au cœur du galion San José: ce que révèlent les pièces d’or trouvées dans l’épave la plus riche du monde
Depuis 2021, la marine colombienne et l’ICANH étudient l’épave du San José avec un véhicule sous-marin télécommandé Lynx de la société Saab Seaeye dans le cadre du projet « Jusqu’au cœur du galion San José ». Ce travail non invasif leur a permis de reconstituer l’épave en trois dimensions grâce à la photogrammétrie et à l’orthophotographie – en combinant des milliers de prises de vue pour recréer le site en relief. Les chercheurs ont ainsi repéré sur le fonds marin trois zones de dépôts de pièces de monnaie à l’arrière de l’épave. Il s’agit de cobs (en anglais) ou macuquinas (en espagnol), des pièces grossières, produites et frappées à la va-vite pour rapporter le plus rapidement possible en Espagne l’or et l’argent extraits des mines d’Amérique du Sud. Ce mode de fabrication implique que la taille, la forme et l’impression étaient assez irrégulières, tout en respectant le poids approprié, correspondant à 27 g chacune.
Des pièces frappées à Lima pour le compte de la couronne espagnole
Les chercheurs colombiens ne présentent qu’un modèle de pièce dont ils décrivent les deux faces: « L’avers présente une variante de la croix de Jérusalem avec les armoiries en écartelés de châteaux et de lions (symbole de la Castille et du Léon) à l’intérieur d’une bordure pointillée, détaillent-ils dans la revue Antiquity. Au revers, le motif central est constitué des piliers d’Hercule surmontés d’une couronne et surplombant les vagues de la mer. Le motif des vagues sert d’élément d’identification pour les pièces de la Monnaie de Lima ».
Ils analysent également les autres symboles représentés sur la pièce: un « L », qui indique que la pièce émane de l’Hôtel des monnaies de Lima, le chiffre 8 qui donne sa valeur en escudos – c’était alors la plus élevée. Au centre, on distingue également les trois lettres « P.V.A. », pour le latin Plus ultra (« Au-delà ») ; « cette devise utilisée sur les pièces faisait référence à l’expansion de la monarchie espagnole dans l’Atlantique », expliquent les auteurs. Autre confirmation qu’il s’agit de pièces espagnoles: le nom du roi Philippe V (1683-1746), petit-fils de Louis XIV et premier Bourbon d’Espagne, est écrit sur le pourtour des pièces. Enfin, l’année de frappe est clairement indiquée par les chiffres 707. Ces pièces ont donc été frappées à Lima en 1707 à partir d’or extrait au Pérou.
Les pièces permettent de déterminer un cadre spatio-temporel
Dans le cadre de ces observations préliminaires, la valeur archéologique de ces pièces, même si elles restent in situ, consiste à circonscrire un contexte spatio-temporel. Elles indiquent en premier lieu que le naufrage est postérieur à 1707, ce qui corrobore la datation d’autres types d’artefacts archéologiques identifiés dans l’épave, comme la porcelaine chinoise datant de l’époque Kangxi (1662-1722), ou les inscriptions lisibles sur les canons, sur lesquels la date de 1665 est mentionnée. Du point de vue spatial, les pièces permettent de retracer le parcours du navire. Les chercheurs présument ainsi que l’or aurait pu être extrait des principales mines péruviennes, celles de Puno et Huamanga, avant d’être acheminé à l’Hôtel des monnaies de Lima, qui a commencé à frapper de l’or en 1696.
Le San José commandait la flotte de la Tierra Firme
Les chercheurs relient ainsi ces pièces au trésor que devait expédier depuis le Pérou vers l’Espagne le vice-roi Manuel de Oms y de Santa Pau, marquis de Castelldosríus (1651-1710). Arrivé à Lima en 1706 pour réactiver la foire de Portobelo (aujourd’hui au Panama), où se vendaient les produits importés d’Espagne, il devait également rapatrier les impôts capitalisés dans la vice-royauté au cours de la décennie précédente. Comme le San José était à la tête du convoi qui « détenait le monopole exclusif du transport des trésors royaux entre l’Amérique du Sud et la péninsule ibérique », la flotte de la Tierra Firme, il est logique de penser que les cobs de l’épave gisant au large de Carthagène sont bien ceux qui ont été chargés à bord du San José.
En effet, les richesses rassemblées par le marquis de Castelldosríus ont été acheminées par voie terrestre depuis la côte pacifique jusqu’à Portobelo, sur la côte caraïbe, à la fin de l’année 1707, afin d’être embarquées sur le San José. Après avoir appareillé vers Carthagène, ce dernier a été coulé par un navire anglais au niveau de la péninsule de Baru, à quelques kilomètres seulement de sa destination.
C’est la Colombie qui procède aux fouilles
Comme le concluent les chercheurs, « la découverte de cobs créés en 1707 à l’Hôtel des monnaies de Lima indique qu’un navire naviguait sur la route de la Tierra Firme au début du XVIIIe siècle. Or le galion San José est le seul navire qui réponde à ces caractéristiques ». Sans indiquer en elles-mêmes le nom du navire, les pièces de monnaie viennent donc étayer l’identification de l’épave comme étant celle du San José. Mais, dans le contexte des revendications conflictuelles entourant le navire chargé de trésors – dont Sciences et Avenir s’est déjà largement fait l’écho –, elles servent surtout à montrer que les fouilles sont en cours, et que, même avec des moyens limités, c’est la Colombie qui y procède.
Pour plus d’informations et d’analyses sur la Niger, suivez Africa-Press