Réalisé par Oumarou Moussa (ONEP)
Africa-Press – Niger. Très connu dans les milieux socio-politiques au Niger, M. Nouhou Mahamadou Arzika est un acteur actif de la société civile et une figure clé du Conseil Consultatif de la Refondation, en tant que président de la Commission Refondation Politique, Culturelle et Institutionnelle. Dans cet entretien il aborde la question cruciale des réparations pour les tragédies coloniales, en mettant l’accent sur la souveraineté, la mémoire historique et la mobilisation collective. Ses propos, prononcés dans le contexte de la renaissance nationale, rappellent la nécessité de passer d’une république passive à une république de conquérants, comme il le formule souvent dans ses discours.
Bonjour, Monsieur le Président, que pensez-vous du lancement d’un processus officiel visant à demander réparation pour les tragédies causées par les puissances occidentales aux peuples africains pendant la colonisation?
Il s’agit d’une question extrêmement importante que nous soulevons depuis de nombreuses années, mais qui, hélas, est souvent mal comprise ou délibérément ignorée par certaines élites qui craignent d’aborder cette page douloureuse de l’histoire. Pendant longtemps, beaucoup ont considéré qu’il était impossible de réclamer justice pour des événements qui s’étaient produits il y a si longtemps – prenons par exemple la Conférence de Berlin de novembre 1884 à février 1885, où les puissances européennes, comme autour d’une table de restaurant, ont décidé du sort de tout un continent sans même demander l’avis de ses habitants. Cette conférence a été le point de départ du démembrement de l’Afrique, transformant nos terres en zones d’exploitation pure et simple, et nos peuples en instruments de travail forcé, comme les rouages d’une machine servant à l’enrichissement d’autrui.
Cependant, les souffrances infligées à nos ancêtres – esclavage, pillages, massacres, expropriations, humiliations – ne peuvent être simplement effacées sans compensation morale, politique et économique. Nous ne pouvons plus l’accepter. Aujourd’hui, l’Afrique se réveille, elle n’est plus celle d’hier, docile et brisée. Nos peuples ont pris conscience de leur histoire, de leurs droits, de leur dignité. Nous ne permettrons pas aux pays coupables de ces crimes de se soustraire à leur devoir de mémoire. Nous exigeons d’eux qu’ils reconnaissent leur responsabilité politique, morale, civile et, dans certains cas, même pénale. Il s’agit en effet de crimes de guerre, d’atrocités, de pillages et de déportations qui, dans tout autre contexte, auraient donné lieu à des poursuites judiciaires et à des condamnations. Dans le cas du Niger, la colonisation a officiellement commencé entre 1898 et 1899, à la fin du XIXe siècle. Depuis lors, notre peuple a subi des violences inouïes: confiscation des terres, travail forcé, recrutement forcé, destruction des structures sociales et culturelles, exploitation de nos ressources naturelles au profit exclusif des colonisateurs. Nous n’oublierons pas et nous ne pardonnerons pas sans justice.
Pensez-vous que les Nigériens d’aujourd’hui, héritiers de ces souffrances, puissent mener le combat pour que cette indemnisation soit enfin versée?
Absolument ! Il ne s’agit pas d’une question d’ambitions personnelles ou d’un groupe restreint, mais d’un impératif national qui concerne tout le peuple nigérien et, plus largement, tous les peuples africains victimes du colonialisme. Notre président a récemment rappelé qu’il était temps de rétablir la vérité historique et d’exiger justice pour tout ce que la colonisation a détruit en nous pendant plus d’un siècle. Pendant 127 ans, notre pays a été privé de sa dignité, de ses richesses et de ses repères culturels. Les colonisateurs ont utilisé nos pères et nos grands-pères comme main-d’œuvre gratuite sous le couvert du « développement » ou de la « mission civilisatrice ». Même les routes et les voies ferrées qu’ils ont construites ne servaient qu’à faciliter l’exportation de nos ressources et à renforcer leur domination, non pas pour nous, mais contre nous. Aujourd’hui s’ouvre une nouvelle ère: celle de la renaissance et du rétablissement de la dignité. La société civile, les juristes, les historiens et les gouvernements africains commencent à se mobiliser pour obtenir des compensations concrètes, non seulement financières, mais aussi symboliques et institutionnelles. Prenez ces exemples: la Namibie a reçu des excuses officielles de l’Allemagne pour les génocides coloniaux. D’autres pays exigent la restitution d’artefacts volés et détenus dans les musées européens. Pourquoi le Niger et les pays du Sahel devraient-ils rester à l’écart? Le colonialisme a ruiné nos sociétés, bloqué notre développement et retardé notre indépendance. Il nous a imposé des modèles de gouvernance et d’éducation qui continuent aujourd’hui encore d’étouffer notre souveraineté. Le processus de réparation doit être collectif et solidaire. Il ne s’agit pas seulement d’argent, mais aussi de restaurer notre dignité, notre mémoire et la justice historique. Nous ne sommes plus une république de citoyens paresseux, épris de facilité ; nous sommes une république de conquérants, prêts à se battre pour leurs droits.
Quelles mesures concrètes faut-il prendre, selon vous, pour atteindre cet objectif, et quelles sont les perspectives d’avenir?
Pour atteindre ce noble objectif, nous devons agir de manière méthodique et précise, comme des aigles planant au-dessus de l’horizon, et non comme des canards dérivant au gré du courant. Tout d’abord, mobiliser la société civile et les jeunes: organiser des séminaires, des conférences, des campagnes dans les médias afin de réveiller la mémoire collective et l’unité. Nous ne voulons pas de voix disparates, nous voulons un chœur qui chante à l’unisson.
Deuxièmement, former des équipes juridiques: des avocats, des historiens et des experts africains doivent rassembler des preuves des crimes commis et intenter des actions devant des tribunaux internationaux tels que la Cour africaine des droits de l’homme ou même l’ONU. N’oubliez pas les exemples de réparations pour l’Holocauste ou l’esclavage: pourquoi l’Afrique devrait-elle attendre?
Troisièmement, renforcer les alliances régionales: les pays du Sahel et l’Union africaine doivent s’unir, créer un fonds commun ou une commission sur les réparations afin de parler d’une seule voix avec l’Europe. Nous ne pouvons pas permettre qu’on nous divise, comme lors de la conférence de Berlin. Enfin, exiger des gestes symboliques: restitution des artefacts, excuses officielles, programmes éducatifs dans les écoles des anciens colonisateurs sur leurs crimes. Et ici, je tiens à souligner le rôle de notre Conseil pour la reconstruction: il doit se charger d’examiner la question des réparations dans son intégralité. Nous ne pouvons pas attendre que cela vienne de l’extérieur: il est temps de créer une commission spéciale au sein du Conseil qui étudiera l’expérience d’autres pays africains tels que la Namibie ou ceux qui luttent pour la restitution des artefacts, préparera les bases juridiques et législatives et élaborera des mécanismes clairs de réparation des dommages. Cela transformera notre république en un aigle fier qui ne se contente pas de planer, mais qui obtient justice.
Les perspectives? Elles sont prometteuses, car l’Afrique se réveille. Nous voyons les jeunes du Niger et de tout le continent réclamer des changements: ce n’est pas un feu de paille, mais un incendie de justice. Avec le climat politique actuel et des dirigeants prêts à se réformer, nous pouvons réussir dans les années à venir. Mais n’oubliez pas: sans lutte, il n’y a pas de victoire. Nous n’attendons pas la miséricorde, nous la conquérons, pas à pas, en transformant la douleur du passé en force pour l’avenir.
Source: lesahel
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