Sud-ouest du Niger: «l’aggravation de la crise du pastoralisme nourrit le recrutement du banditisme»

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Africa-PressNiger. Le Sud-Ouest du Niger, le long d’une bande allant de Maradi à Dogondoutchi, peut-il devenir un nouveau foyer insurrectionnel ? C’est la question que pose le nouveau rapport d’ICG, International Crisis Group. Selon l’ONG, le changement d’échelle du banditisme transfrontalier crée dans cette région des risques de basculement et les autorités doivent de toute urgence prévenir la contagion. Pour en parler, notre invité ce matin est l’auteur du rapport, Matthieu Pellerin. Il répond aux questions de Laurent Correau.

RFI : Comment a évolué la situation dans le sud-ouest du Niger depuis une dizaine d’années ?

Matthieu Pellerin : La situation s’est énormément dégradée, avec le développement d’un banditisme de plus en plus violent et organisé. En tout et pour tout, et surtout sur le versant nigérian de la frontière, on parle de plusieurs dizaines de milliers d’individus qui sont vraiment lourdement armés, issus -il faut le dire- de toutes les communautés, sans exception -que ce soit des populations haoussas, des populations peules ou touarègues- qui sèment véritablement une terreur contre les communautés -parce que les premières victimes de ces attaques sont les communautés- à travers du vol de bétail. Ce n’est pas nouveau dans cet espace, mais l’ampleur est sans commune mesure avec ce qui pouvait exister par le passé. Mais aussi, la multiplication d’enlèvements contre une rançon, c’est un peu plus nouveau dans cette zone et c’est en train de prendre une ampleur très inquiétante. Et puis, de plus en plus d’assassinats ciblés contre des informateurs présumés des Forces de défense et de sécurité ou des individus avec qui les bandits veulent régler des comptes personnels.

Dans ce rapport, vous essayez d’analyser, justement, pourquoi ce banditisme s’est organisé, s’est renforcé… Et vous établissez notamment une connexion avec l’économie illégale libyenne, qui a contribué à remodeler ce banditisme transfrontalier, tel qu’il existait jusqu’ici ?

Oui effectivement, vous savez que la crise libyenne a fait du pays un marché d’armes à ciel ouvert et donc vous avez énormément de flux d’armes, qui sont allées vers le nord-ouest du Nigeria et faisant, du coup, des régions nigériennes de Tahoua et de Maradi, des zones de transit. Et dans l’autre sens, la contrebande de carburant venant du Nigeria s’est beaucoup développée, de même que le trafic de drogue, que ce soit du Tramadol -des drogues synthétiques, plus généralement- et du chanvre indien. Et tout ceci a effectivement beaucoup consolidé des réseaux de trafic, dont profitent indéniablement ces groupes de bandits, aujourd’hui.

Le contexte général de tout cela, c’est la crise du pastoralisme dans toute cette région… De quelle manière est-ce que cette crise du pastoralisme a contribué à l’intensification du banditisme dans ce sud-ouest du Niger ?

L’aggravation de cette crise du pastoralisme nourrit vraiment le recrutement de ces groupes. Vous avez beaucoup d’éleveurs appauvris, qui ont perdu tout ou partie de leur bétail. Parfois, d’ailleurs, bétail volé par les mêmes bandits qu’ils rejoignent après. C’est cela le paradoxe de la situation. Et puis, beaucoup d’injustices qui les poussent vers ces groupes de bandits. Le problème de cette crise du pastoralisme, c’est que c’est un peu une crise invisible. Au nord-ouest du Nigeria, cette crise du pastoralisme s’est très vite accompagnée de violences à base communautaire et c’est ce qui explique le succès de ces bandits au nord-ouest du Nigeria, qui désormais représentent un réel risque pour le Niger. La communautarisation des esprits est très forte également. Les attaques cachent parfois des règlements de comptes communautaires -même si cela reste encore limité- et l’on voit, désormais, apparaître des groupes d’autodéfense uniquement Haoussa dans certains villages de Maradi Les ingrédients sont là… Pour l’instant, au Niger, il n’y a pas eu l’emballement insurrectionnel que l’on pourrait craindre, mais les risques sont bel et bien réels.

Qu’est ce qui fait, selon vous, que cette situation d’insécurité peut se transformer en une situation insurrectionnelle, où cette fois-ci, on aurait des groupes qui prendraient les armes contre l’État ?

Quand l’État mobilise des moyens militaires pour lutter contre ces bandits, comme l’État du Niger et l’État du Nigeria le font, et que ces derniers, ces bandits, ripostent en retour, ils prennent les armes contre l’État et l’intensification des opérations militaires amplifie cette dynamique. Notamment du côté du Nigeria, vous avez de plus en plus d’attaques qui ciblent directement les Forces de défense et de sécurité et non plus seulement les propriétaires de bétail. C’est une situation que les groupes jihadistes -eux, qui sont ouvertement en guerre contre l’État- tentent indiscutablement d’exploiter aujourd’hui, avec un succès relatif, pour l’instant, mais bel et bien effectif. La jihadisation du banditisme c’est un phénomène que l’on retrouve absolument partout au Sahel et dont malheureusement les précédents sont là pour nous alerter. À fortiori, lorsque vous avez, parmi ces bandits, des éleveurs qui considèrent que les injustices qu’ils ont vécues, les ont conduits là où ils sont. Donc le terreau est vraiment propice, il y a bel et bien, des ferments de basculement insurrectionnel.

De quelle manière est-ce que les États de la région peuvent essayer d’endiguer ce phénomène de jonction entre banditisme et jihadisme ?

Il faut rappeler tout de même que l’État du Niger a rapidement pris des dispositions sur le plan sécuritaire, dès 2016-2017, et les zones frontalières, que ce soit à Maradi ou à N’Konni, ont vu leur sécurité vraiment renforcée. Mais cela reste, malheureusement, très en-deçà de ce qu’il faudrait consentir comme effort sécuritaire, au regard du nombre de bandits qui opèrent et de leurs moyens militaires. L’État doit intensifier ses efforts sur le plan sécuritaire et c’est le meilleur moyen, de mon point de vue, pour que les communautés n’aient pas à s’armer elles-mêmes à travers des groupes d’autodéfense : c’est que l’État soit en capacité de prendre ses responsabilités. Mais l’État du Niger doit justement envisager, aussi, des mesures à titre préventif. Il faut, du coup, que les autorités du Niger fassent de cette résolution de la crise du pastoralisme véritablement une priorité. Tant à Maradi, d’ailleurs, que dans quatre régions, où cela a aussi nourri les violences, comme à Tillabéry, en particulier. Ensuite, l’État du Niger a une expérience dans les concertations communautaires, dans les foras, les espaces de dialogue, mais qu’elle a toujours menées, surtout à des fins curatives et non pas à des fins préventives. Et là, il y a une chance, je pense, de consolider véritablement ces relations communautaires à travers une approche préventive.

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