Afrique de l’Ouest : le G5 Sahel est-il en état de mort clinique ?

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Afrique de l’Ouest : le G5 Sahel est-il en état de mort clinique ?
Afrique de l’Ouest : le G5 Sahel est-il en état de mort clinique ?

Fatoumata Diallo et Bokar Sangaré

Africa-Press – Niger. C’était l’une des organisations régionales qui échappaient encore à la critique des colonels putschistes. Mais, dimanche 15 mai, le Mali a annoncé son retrait, car on lui en refusait la présidence.

« Avec le départ du Mali, le G5 Sahel n’existe plus. Il n’y aura pas de G4 Sahel », déplore un haut responsable de la région. Ce dimanche 15 mai, sanglé dans un uniforme militaire, le colonel Abdoulaye Maïga a annoncé, avec sa tête des mauvais jours, le retrait du Mali « de tous les organes et instances du G5 Sahel, y compris la force conjointe ». Bamako se plaint d’avoir été empêché de prendre la tête de l’organisation en février dernier et dénonce « des manœuvres d’un État extrarégional visant désespérément à [l’]isoler ». Une accusation qui vise sans nul doute la France, avec laquelle les relations se distendent profondément depuis plusieurs mois, conduisant même à un retrait des forces de l’opération Barkhane du Mali.

La rupture s’est en effet jouée autour de la question de la présidence du G5 Sahel. Attribuée selon les statuts de façon tournante, elle devait revenir au Mali après avoir été assurée par le président tchadien Mahamat Idriss Déby Itno. Mais, depuis l’arrivée des colonels putschistes au pouvoir, le Mali n’était plus le bienvenu au sein du G5 Sahel. Par conséquent, la conférence des chefs d’État prévue en terre malienne en février n’a jamais eu lieu.

Et pour cause, l’arrivée du président Goïta à la tête de l’organisation aurait amené certains partenaires à se braquer, la France en tête. Personne ne comptait non plus sur le déplacement à Bamako du président nigérien Mohamed Bazoum, qui n’a pas manqué de tirer plusieurs fois à boulets rouges sur les militaires au pouvoir dans la capitale malienne. Ces derniers, de leur côté, considèrent le Niger comme une courroie de transmission utilisée par la France pour les contraindre.

Ambition française

Ainsi, le retrait malien du G5 Sahel n’a surpris personne, cela faisait des mois que la crise couvait. Constitué en 2014 par le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad, le G5 Sahel est doté d’une force conjointe, lancée en 2017, pour lutter contre le terrorisme et la criminalité organisée dans le Sahel. Signe que le Mali occupait une place de rang dans ce dispositif, c’est à Sévaré, dans le centre du pays, que le premier poste de commandement de la force anti-jihadisme du G5 Sahel a été inauguré. Celui-ci a vu se constituer le premier bataillon de la force, devenu opérationnel en 2017.

Dans les instances internationales, la France avait fait des pieds et des mains pour la rendre opérationnelle, espérant ainsi se décharger d’une partie des interventions militaires menées contre des groupes terroristes. Son ambition ? Passer la main aux armées régionales, alors qu’elle s’est enlisée au Sahel et est en proie à de vives critiques de la part d’une partie des populations.

« C’est un mécanisme de coordination interministérielle qui n’était pas censé devenir une organisation régionale. La propagande française a artificiellement gonflé le G5, grâce auquel la présence française est devenue plus importante que jamais. Le jeu de l’Hexagone consistait à créer la zizanie et à accroître son influence. », affirme une source officielle du côté malien.

« À l’époque, les chefs d’État se sont appuyés sur le modèle de la force multinationale mixte [FMM, regroupant le Cameroun, le Niger, le Nigeria et le Tchad pour lutter contre Boko Haram] pour établir la force conjointe du G5 Sahel, explique un ancien ministre des Affaires étrangères qui a participé à la mise en place de l’organisation. Au moment de sa création, nous étions conscients que nos destins étaient liés et qu’il fallait trouver une convergence tant sur le plan diplomatique que sécuritaire pour lutter contre le terrorisme. Cela a un temps fonctionné, mais une année de putschs au Mali et au Burkina Faso a complètement détruit le G5. »

Reste que l’union n’a pas pu faire la force : la question du financement, la complexité de la menace et les agendas et intérêts éloignés des pays ont constitué un goulot d’étranglement. Début mai, un rapport du secrétaire général du Conseil de sécurité a pointé que « la situation politique et les conditions de sécurité hautement volatiles au Sahel ont entravé le bon fonctionnement de la force conjointe [entre novembre 2021 et mai 2022] ».

Négociations tous azimuts

Depuis l’annonce de la décision malienne de se retirer, l’on s’active au sein de l’organisation pour éteindre le feu. Selon nos informations, un envoyé spécial du président tchadien, Mahamat Idriss Déby Itno, était attendu à Bamako jeudi 19 mai. Il a exhorté le Mali « à reconsidérer sa position pour permettre aux efforts en cours visant à apporter une solution à ses préoccupations à travers la tenue imminente d’une conférence des chefs d’État et de gouvernement dans le pays du siège ».

Des émissaires de la Mauritanie et des États fondateurs étaient aussi attendus dans la capitale pour convaincre le Mali d’accepter une rencontre à Nouakchott, « de reconsidérer [sa] position et d’obtenir la présidence », confie une source, qui ajoute que des échanges auraient eu lieu entre Abdoulaye Diop, le ministre malien des Affaires étrangères, et le directeur de cabinet de la présidence mauritanienne. « Nouakchott travaille sur le retour du Mali et le maintien de l’institution, quel que soit le résultat », indique la même source.

L’activisme de la Mauritanie, qui abrite le siège de la force régionale, s’expliquerait par le fait que la fin du G5 Sahel représenterait une perte au niveau stratégique pour elle. D’autant qu’à la différence des autres États membres, appartenant chacun à une communauté régionale et économique, la Mauritanie n’est affiliée qu’à l’Union du Maghreb arabe. « Ce qui compte pour elle, c’est d’être dans un espace où elle compte, comme c’est le cas avec ce mécanisme. »

« Le G5 n’est pas mort, il est dans le coma »

Pourtant, nombre d’observateurs dans la région voient mal le G5 continuer à exister sans le Mali. « Le G5 n’est pas mort, il est dans le coma et ne peut survivre sans le Mali. Rien n’empêche Mahamat Idriss Déby Itno de donner la présidence à Assimi Goïta. C’est juste une présidence symbolique, et cela va sauver la structure », analyse Seidik Abba, fin connaisseur des dynamiques politiques et sécuritaires au Sahel.

« Les enjeux commandent de trouver un moyen de sauver le G5 Sahel », ajoute le spécialiste, qui égrène par ailleurs les acquis de l’organisation : droit de poursuite sans autorisation préalable, école militaire à Nouakchott, suppression du visa, programme d’investissement d’urgence.

Bamako pourrait-il revenir sur sa décision ? Peu d’interlocuteurs y croient, car « le gouvernement de transition est très sensible à la rue bamakoise et se fait souvent dépasser. S’il recule, il va perdre un capital de sympathie », affirme l’un d’eux.

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