Entre navires et animaux marins : comment mieux partager l’océan ?

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Entre navires et animaux marins : comment mieux partager l’océan ?
Entre navires et animaux marins : comment mieux partager l’océan ?

Africa-Press – Niger. La population humaine croissante et mondialisée exerce une pression de plus en plus forte sur l’industrie maritime. Les Nations Unies estiment que le trafic maritime aura doublé d’ici 2050. Et ce n’est pas sans conséquence pour les animaux marins. Une étude parue dans la revue Frontiers révélait qu’au moins 75 espèces marines sont touchées par des collisions avec des bateaux. Notamment des baleines, des orques, des dauphins, des marsouins, des dugongs, des lamantins, des requins-baleines, des requins, des phoques… “Ces collisions entraînent souvent un traumatisme physique ou la mort de l’animal et peuvent causer de graves dommages au navire,” déplorent les auteurs de l’étude. Alors comment éviter ces accidents ? Les systèmes de détection des animaux en temps réel se multiplient aux quatre coins du monde.

Au Canada, dans le Golfe du Saint-Laurent, des dispositifs tentaculaires ont été mis en place pour protéger les baleines noires qui viennent y passer l’été: fermetures temporaires de pêche, utilisation de drones pour détecter la présence des cétacés depuis les airs, sous-marins robotisés… Au cœur de la méditerranée, les rorquals et les cachalots sont particulièrement vulnérables. Dans le sanctuaire Pelagos, des scientifiques ont développé un détecteur, appelé REPCET, conçu pour être équipés directement sur les navires. Grâce à cet outil, et une communication satellite, les navires peuvent ainsi partager leurs informations. A l’autre extrémité du globe, en Nouvelle-Zélande, ce sont les orques et les globicéphales qui sont surveillés de près !

Grâce à un système de surveillance acoustique fixe, capable de détecter des sons de mammifères marins à plus de 2,5 kilomètres, les chercheurs peuvent renseigner les allers et venues de nombreuses espèces dans la baie du port de Whangārei. Sciences et Avenir a rencontré Matt Pine, spécialiste en bioacoustique et directeur de Ocean Acoustics Limited, un centre international d’expertise en acoustique sous-marine et situé à Auckland.

« Il y a une prise de conscience croissante du risque de collision, par les acteurs du monde maritime »
Sciences et Avenir: Pourquoi le port de Whangarei est-il une zone particulièrement risquée pour les cétacés ?
Matt Pine: Le port se trouve au creux d’une baie étroite, et les orques et dauphins sont des visiteurs fréquents de cette baie. On peut même croiser de jeunes baleines à bosse, des globicéphales, des fausses orques et des otaries à fourrure. Or le port de Whangarei constitue une zone stratégique pour la navigation commerciale. Animaux et navires s’y côtoient jour et nuit et c’est un enjeu de taille que d’assurer que ces allers et venues se passent bien.

Il y a une prise de conscience croissante du risque de collision, par les acteurs du monde maritime. Certains ports, comme ceux d’Auckland, ont mis en place des protocoles de ralentissement dans le but précis de réduire les risques de collision avec les baleines. A Northport, dans le port de Whangarei, on tente de minimiser les interactions entre navires et cétacés en mettant en place des récepteurs acoustiques en temps réel.

Et les filets de pêche ?

Pour protéger les animaux marins des redoutables filets de pêche, des répulsifs sonores sont parfois mis en place. “Toutefois, les animaux peuvent s’habituer à ces dispositifs de dissuasion acoustique. Des études sur l’utilisation à long terme de sons artificiels, en particulier, dans le cadre de l’aquaculture en Ecosse, montrent leur impact négatif sur les mammifères marins », explique Matt Pine. En Nouvelle-Zélande et dans d’autres pays, ils sont interdits. Dans les Antilles, Damien Chevallier, chercheur au CNRS et spécialiste des tortues marines, a réfléchi à une solution sans son de synthèse. Il est parvenu à identifier le cri d’alerte des tortues. Il l’a ensuite enregistré et implanté dans un émetteur, appelé pinger, qui peut ainsi être fixé sur les filets de pêcheurs, pour que les tortues ne s’en approchent pas.

Comment votre détecteur acoustique fait-il ressortir les sons des cétacés ?

Notre dispositif recherche des sons très spécifiques dans le flux audio global en temps réel. Il fonctionne en trois temps: le premier est le traitement et le conditionnement du signal. Grâce à des techniques avancées de suppression de sons, on parvient à éliminer le bruit de fond, comme celui des navires, les bruits météo, etc. Par ailleurs, il permet aussi l’amplification des appels ou les clics d’écholocation des mammifères marins.

La deuxième partie consiste à faire passer le spectrogramme traité, par le modèle de « deep learning » (apprentissage profond): une intelligence artificielle (IA) lui fait suivre plusieurs réseaux neuronaux artificiels pour détecter et classer le signal. Enfin, la dernière partie est l’emballage et l’envoi des données audio qui contiennent des sons de mammifères marins vers un cloud en temps réel, où elles sont affichées sur le tableau de bord du site web et où les données sont également sauvegardées.

« Le système installé dans le port de Whangarei a une précision de plus de 99 % dans la détection des sons émis par les mammifères marins »
Qu’apporte l’IA dans ce système de détection ?

Rapidité et précision ! Il faut environ 0,2 seconde à l’unité de traitement neuronal pour classer les appels des mammifères marins et les transmettre au cloud. Le système est aussi testé en permanence, de sorte que nous pouvons continuellement entraîner les modèles d’IA sur les données qu’ils envoient, ce qui rend le système très précis: le nombre de faux positifs est très faible. Actuellement, le système installé dans le port de Whangarei a une précision de plus de 99 % dans la détection des sons émis par les mammifères marins.

Comment les navires réagissent-ils ?

Les informations récoltées par les détecteurs sont transmises directement aux agents portuaires. Ce sont eux qui avertissent les bateaux. Si les données en temps réel ne sont pas diffusées publiquement, c’est que nous ne voulons pas que les bateaux de plaisance se rapprochent des animaux. Mais les ports ont accès aux données, et leurs équipes peuvent alors faire manœuvrer les navires entrants ou sortants en conséquence, afin de donner aux baleines, orques ou dauphins plus de temps pour réagir et éviter les bateaux.

Et ce système est également très utile pendant les travaux de construction. Il arrive des activités dangereuses soient interrompues momentanément si des mammifères marins sont en approche. C’est le cas si l’activité est particulièrement bruyante, car des cétacés pourraient alors subir une perte d’audition temporaire.

Les ports néo-zélandais sont très réceptifs à cette technologie et volontaires pour protéger les mammifères marins. Nous avons actuellement cinq bouées autour de la Nouvelle-Zélande, réparties dans différentes régions (Île du Nord et Île du Sud). Théoriquement, elles pourraient aussi être installées sur des bateaux, à condition que l’hydrophone puisse être fixé à la coque, ce qui est un défi.

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