Au Niger, l’équilibrisme des États-Unis

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Au Niger, l’équilibrisme des États-Unis
Au Niger, l’équilibrisme des États-Unis

Mathieu Olivier

Africa-Press – Niger. Depuis qu’Abdourahamane Tiani a renversé Mohamed Bazoum le 26 juillet, Washington a choisi la carte du pragmatisme. S’ils ont fini par dénoncer le coup d’État, les Américains n’entendent pas quitter le Niger et doivent composer avec la junte.

Les États-Unis continuent de souffler le chaud et le froid sur Niamey. Dimanche 22 octobre, Judd Devermont, directeur des Affaires africaines au conseil de sécurité nationale américain, a réaffirmé au quotidien britannique The Financial Times que son pays n’avait aucune intention de quitter le Niger, malgré le renversement du président Mohamed Bazoum le 26 juillet dernier.

La main tendue

« Nous nous engageons dans la région de manière cohérente afin de pouvoir continuer à garantir la sécurité dans la région », a-t-il expliqué. Et d’ajouter : « C’est une région qui, malheureusement, connaît une véritable expansion de l’extrémisme […]. Si nous quittions le Niger, il ne s’agirait pas seulement de la sécurité des Nigériens. Il y aurait également des conséquences pour le Ghana, le Togo et le Bénin. »

Les États-Unis disposent au Niger d’un contingent d’un millier d’hommes environ dédié à la lutte contre le terrorisme, et n’ont aucune intention de les démobiliser et d’imiter en cela la France. Cette dernière, qui ne reconnaît pas la junte et soutient toujours Mohamed Bazoum, s’est résolue à rapatrier son ambassadeur, Sylvain Itté, et à évacuer ses troupes – 1 400 soldats – d’ici à la fin de l’année.

Rester au Niger signifie-t-il pour autant avaliser le putsch du 26 juillet ? Selon nos informations, les États-Unis ont manœuvré tout au long du mois d’août afin de freiner les velléités d’intervention militaire de la Cedeao. S’opposant en sous-main aux Français, ils ont notamment convaincu Bola Tinubu, le président nigérian, de ne pas s’engager sur ce terrain, ce qu’ils jugent trop déstabilisateur pour la région.

Washington a également tenté de maintenir – voire d’ouvrir – un canal diplomatique avec les putschistes d’Abdourahamane Tiani. Alors que la sous-secrétaire d’État Victoria Nuland avait initié une médiation quelques jours après le putsch, les États-Unis ont ainsi nommé une ambassadrice à Niamey – le poste était vacant avant le coup d’État – au mois d’août, en la personne de Kathleen Fitzgibbon.

Suspension de l’aide économique

La mission de Kathleen Fitzgibbon – dont le nom avait été proposé au Sénat avant le coup d’État mais n’a été approuvé que le 27 juillet – n’a cependant pas débuté sous les meilleurs auspices. Mi-août, un document émanant du ministère des Affaires étrangères de la junte fuitait sur les réseaux sociaux et demandait à l’ambassadrice de quitter le territoire nigérien sous 48 heures.

Les militaires avaient finalement rétropédalé : si le document a effectivement été rédigé, il n’a en réalité pas été envoyé au département d’État américain. Kathleen Fitzgibbon est donc restée à Niamey alors que son homologue français, Sylvain Itté, quittait le Niger le 27 septembre, après de longues semaines de tension et de blocage de l’ambassade de France par les forces de sécurité nigériennes.

Le canal entre Washington et Niamey n’est pas coupé. Et si les États-Unis n’ont aucune intention d’évacuer leurs hommes, ils n’ont pas renoncé pour autant à faire pression sur la junte. Le 10 octobre, ils ont formellement qualifié sa prise de pouvoir de « coup d’État » entraînant, selon la loi américaine, la suspension des versements de leur aide économique au pays, qui devait s’élever à 442 millions de dollars pour 2023.

« La carotte et la bâton »

« Nous prenons cette mesure parce que nous avons épuisé toutes les voies disponibles pour préserver l’ordre constitutionnel », précisait alors Matthew Miller, un haut responsable américain. Washington a précisé que l’aide humanitaire à la population n’était pas concernée. Mais le manque à gagner pour la junte est considérable : la Banque mondiale estime que près de 1,2 milliard de dollars ne seront pas versés au Niger cette année.

A lire : Au Niger, l’alliance entre Abdourahamane Tiani et Salifou Mody peut-elle tenir ?

« C’est la carotte et le bâton, résume un ancien ministre à Niamey. D’un côté, les États-Unis se sont opposés à une intervention militaire contre la junte, laquelle est rejetée par les populations. De l’autre, ils coupent le robinet des aides. C’est une façon de dire à Tiani : nous sommes prêts à dialoguer mais il faut faire un pas vers nous, notamment en limitant la durée de la transition et en planifiant la remise du pouvoir aux civils. »

Les États-Unis ont évoqué une durée de quinze mois, l’estimant acceptable, tandis qu’Abdourahamane Tiani semble préférer deux ou trois ans. « En choisissant d’être radical dans son soutien à Mohamed Bazoum – ce qui lui a coûté la présence de son ambassadeur et des troupes françaises au Niger –, Emmanuel Macron a aussi laissé le champ libre à un interlocuteur plus pragmatique, en l’occurrence les États-Unis. Washington a sauté sur cette occasion », conclut notre source.

Source: JeuneAfrique

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