Des lamantins ont-ils vraiment remonté le fleuve Niger ?

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Des lamantins ont-ils vraiment remonté le fleuve Niger ?
Des lamantins ont-ils vraiment remonté le fleuve Niger ?

Africa-Press – Niger. Rien ne semble perturber le placide lamantin, à la silhouette ronde. Du haut de ses 400 kilos, ce sirénien se nourrit exclusivement de plantes aquatiques. Ce qui lui vaut le surnom de “vache des mers”. Malgré sa corpulence, la fenêtre thermique du lamantin est réduite. En deçà de 20°C, il peut souffrir de difficultés respiratoires. C’est pourquoi il ne s’aventure jamais au large, où les courants froids sont une véritable menace pour sa survie.

Le lamantin pourrait parcourir 4000 kilomètres

Si le lamantin reste près de la côte, c’est aussi parce qu’il consomme de l’eau douce. Parfaitement adapté au milieu marin, comme fluvial, le lamantin profite des estuaires pour se désaltérer. Des chercheurs pensent même qu’il pourrait s’être aventuré jusqu’en Guinée, à près de 4000 kilomètres en amont du fleuve Niger. Presque à mi-distance entre l’océan Atlantique et le désert du Sahara ! Mais est-ce possible ? Alexis Lécu, directeur scientifique du Parc Zoologique de Paris, nous éclaire.

Lamantins et dugongs: quelles différences ?

Ils partagent le surnom de “vache des mers” et pourtant ces deux mammifères marins sont bien des espèces distinctes, avec leurs caractéristiques spécifiques. La morphologie de leur queue est tout à fait différente. Celle du lamantin est plate et arrondie, alors que celle du dugong ressemble à la queue du dauphin. Si la taille des deux mammifères est similaire, environ 4 mètres, le poids moyen du lamantin est de 600 kilos, contre 400 kg pour le dugong. Ils ne partagent pas non plus le même habitat. Le lamantin sillonne les Caraïbes et les eaux côtières d’Amazonie et d’Afrique quand le dugong arpente les océans Indien et Pacifique. Enfin, le lamantin a besoin d’eau douce pour se désaltérer, contrairement à son cousin. C’est pourquoi on le retrouve souvent près des estuaires, voire dans le lit des rivières.

Pourquoi les fleuves attirent-ils autant les lamantins ?

“Il n’est pas rare de trouver des lamantins dans les rivières. C’est très souvent le cas en Floride par exemple, ou même en Amérique du Sud”, souligne Alexis Lécu. Ils remontent parfois le fleuve sur plusieurs centaines de kilomètres. Une sous-espèce est même née d’une population aventurée dans le fleuve Amazone et installée durablement dans l’intérieur des terres. “Il existe trois espèces de lamantins, et vraisemblablement de nombreuses sous-espèces dues à l’isolement de certaines populations dans des fleuves”, ajoute-t-il.

Mais pourquoi les fleuves attirent-ils autant les lamantins ? Outre la recherche d’eau douce, la température influe beaucoup sur leur comportement. “Le long de la côte floridienne, il arrive que les lamantins soient pris dans les courants et emportés au large. La température y est bien trop froide et entraîne souvent leur mort”, déplore le directeur scientifique. Aux changements de température souvent brutaux du milieu marin, les lamantins préfèrent donc la stabilité thermique des fleuves.

Reste à savoir si certains ont pu remonter le fleuve Niger sur près de 4000 kilomètres, jusqu’en Guinée. “On sait déjà que certaines populations se sont établies un peu en amont dans le Niger, en Côte d’Ivoire notamment, note Alexis Lécu. A présent, les biologistes mènent des expéditions de plus en plus loin pour savoir jusqu’où les lamantins ont pu aller.” Mais comment les repèrent-ils ?

L’étude délicate de l’ADN environnemental

Les chercheurs de cette nouvelle expédition, menée par Lucy Keith-Diagne, se basent d’abord sur les témoignages des locaux, qui pensent en avoir aperçus. Le suivi des lamantins est encore fragile en Afrique. En cause: le territoire peu accessible et le manque d’experts sur place. Après deux années de mise en place, l’équipe se lance enfin sur les traces de ces grands mammifères en échantillonnant l’eau du fleuve. Leur objectif ? Étudier l’ADN environnemental, c’est-à-dire le matériel génétique présent dans l’eau et provenant des différents animaux qui y vivent, telles que la peau ou les excréments. Toutefois, l’ADN environnemental est difficile à interpréter. “Quand on trouve l’ADN d’un mammifère sur la terre ferme, on est à peu près sûrs qu’il est passé par ici et que c’est lui qui l’a laissé. Mais dans l’eau c’est beaucoup plus complexe ! Le matériel génétique a pu être transporté,” signale Alexis Lécu. Ainsi seules de grandes quantités d’ADN pourront confirmer leur présence.

En Floride, les chercheurs peuvent se baser sur des caméras sous-marines. Une technique qui ne peut pas être utilisée dans le fleuve Niger car l’eau y est boueuse. “Cependant, on pourrait utiliser des hydrophones”, imagine le directeur scientifique. Chaque lamantin possède en effet une signature vocale, ce qui permettrait à l’équipe de détecter la présence d’individus mais aussi d’identifier leur nombre. “Étant donné qu’il reste moins de 30.000 lamantins dans le monde, ce serait une excellente nouvelle de trouver une population dans un lieu où nous ne l’attendions pas. Mais ce fleuve n’est pas sans danger pour eux…”, prévient-il.

La menace des barrages

Le fleuve Niger est marqué par la présence humaine. Les infrastructures se multiplient et en particulier les aménagements hydroélectriques. “Les lamantins se nourrissent de plantes aquatiques et consomment 10% de leur poids, chaque jour”, indique Alexis Lécu. Quand il n’a plus de quoi se nourrir, le lamantin part à la recherche de nouveaux fonds prolifiques. Leur déplacement se retrouve entravé par les barrages. “Il s’agit d’une des menaces les plus importantes pour les populations de lamantins du Niger”, ajoute-t-il.

La chasse en est une autre. A l’heure actuelle, l’équipe de Lucy Keith-Diagne recommande la mise en place d’une large campagne de sensibilisation pour informer la population des enjeux liés à une potentielle installation du lamantin.

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