
Africa-Press – São Tomé e Príncipe. Elle ne pèse pas bien lourd dans la balance, mais c’est tout de même une relative bonne nouvelle. Le réchauffement climatique nous épargnera peut-être une opération aussi risquée qu’inédite à l’échelle mondiale: retirer une seconde au temps dont nos horloges atomiques battent la mesure avec une redoutable précision. C’est ce qu’affirme une étude de l’Institut de Géophysique de l’Université de Californie, aux États-Unis, publiée fin mars 2024 dans la revue Nature.
Pourquoi ? Parce que la vitesse de rotation de la Terre accélère progressivement depuis quelques décennies. Un phénomène dont on attribue la cause à des mouvements de convection plus intenses dans le noyau de notre planète, et un ralentissement du noyau fluide. Or, si notre planète tourne plus vite, cela entraînera des journées légèrement plus courtes, et donc un décalage entre le temps universel mesuré à partir de la rotation de la Terre, et celui du Temps atomique Universel, mesuré par un réseau de 450 horloges atomiques.
En effet, le temps que met notre planète à faire un tour sur elle-même a longtemps été le mètre étalon pour définir et mesurer le temps. C’est cette durée qui est divisée en 24 heures, 1440 minutes ou 86400 secondes. Sauf qu’en réalité, la Terre ne tourne pas tout le temps à la même vitesse. Si on observe sa vitesse de rotation à l’échelle de milliers d’années, on constate qu’elle est comme une toupie qui perd de la vitesse peu à peu. Un ralentissement qui se traduit par une augmentation de la durée du jour d’environ 1,5 milliseconde par siècle, au fur et à mesure que notre planète dissipe de l’énergie cinétique.
Une étude conduite en 2020 par l’Université de Bruxelles a ainsi calculé, en comptant les stries de croissance de mollusques fossiles, que les jours étaient plus courts d’une demi-heure il y a 70 millions d’années, durant le Crétacé. “Mais ce ralentissement ne se fait pas selon une droite bien régulière”, explique Patrizia Tavella, directrice du service “temps” au Bureau International des Poids et Mesures.
Un ralentissement de fond, mais des accélérations ponctuelles
C’est un peu comme si vous observiez le niveau de l’eau sur une plage. Du fait de la fonte des glaces et de la dilatation des océans lié au réchauffement climatique, le niveau des océans grimpe inexorablement de quelques millimètres par an. Mais à l’échelle d’une journée, ce phénomène est totalement masqué par les alternances entre les marées hautes et les marées basses qui font varier le niveau de l’eau de manière beaucoup plus importante.
Il en va de même pour la vitesse de rotation de la Terre: cette tendance de fond est masquée par des phases de ralentissement mais aussi d’accélération de quelques décennies, comme celle que nous vivons actuellement. Les raisons de ces variations sont nombreuses et complexes, principalement liées aux mouvements dans le noyau de notre planète. Et de manière plus anecdotiques à la modification de la répartition de ses masses à cause de mouvements géologiques, de tremblements de Terre, ou des forces de marées. Tous ces éléments conduisent à de subtiles variations de la vitesse de rotation, et donc de la durée de la journée.
Cette page du site timeanddate affiche ces différences, de l’ordre de la fraction de milliseconde, d’un jour à l’autre.
L’ère du temps atomique
La vitesse de rotation de la Terre n’étant pas une constante, il a donc fallu trouver un phénomène physique plus fiable pour définir la seconde. Vers la fin des années 1950, on commence à mesurer le temps non plus grâce à la rotation de la Terre, mais à partir de caractéristiques physiques immuables de certains atomes.
Cette mesure du temps est aujourd’hui assurée par un réseau d’horloges dites “atomiques”, avec une incroyable précision. Mais la Terre ne s’arrête pas pour autant de tourner… ni de varier dans sa vitesse. De ce fait, un décalage est petit à petit apparu entre le temps calculé à partir de celui de la rotation de la Terre (appelé temps universel 1) et celui battu par les horloges atomiques.
“Comme on ne peut pas changer la vitesse de rotation de la Terre, on a donc dû adapter nos horloges”, explique Patrizia Tavella. C’est la raison pour laquelle, un “rattrapage” a été effectué périodiquement. C’est ainsi qu’est né le temps universel coordonné (UTC). “Il s’agissait au départ d’un système de calcul assez complexe pour modifier graduellement le temps marqué par les horloges atomiques, afin que ce décalage demeure très faible. À l’époque, il était inférieur à 50 millisecondes”, raconte Christian Bizouard, astronome de l’Observatoire de Paris au laboratoire Systèmes de référence temps-espace.
Puis, le système a évolué. Plutôt que faire cette modification de manière linéaire, au fil du temps, la décision a été prise de compenser ce décalage en ajoutant des secondes à chaque fois qu’il devenait trop important. Depuis 1972, pas moins de 27 de ces secondes intercalaires ont été ajoutées à notre temps atomique.
Et l’opération est bien plus complexe qu’il n’y paraît. Pour preuve, en 2012, l’introduction d’une seconde intercalaire entre le 30 juin et le 1er juillet 2012 a fait crasher de nombreux sites web. Pour éviter cela, les programmeurs ont dû déployer des trésors d’ingéniosité pour mettre au point des parades.
Or, si la mise hors ligne d’un réseau social pendant quelques heures est sans conséquences graves, il n’en va pas de même lorsqu’il s’agit d’infrastructures de sécurité critiques (énergie, transport, secteur bancaire…). De plus, pour des raisons de coût et de complexité, ces mises à jour ne sont parfois carrément pas faites. C’est le cas pour les GPS dont la dernière synchronisation remonte au 6 janvier 1980. Les secondes intercalaires n’ayant été pas été implémentées, l’heure utilisée par les GPS est actuellement en avance de 18 secondes par rapport aux autres appareils électroniques au sol.
Va-t-on passer la seconde ?
L’ajout de ces secondes intercalaires été finalement été jugé si contraignant que la Conférence Générale des Poids et Mesures (CGPM), l’organisme international qui centralise les décisions en matière de métrologie, a décidé en 2022 de les remettre en cause.
Les scientifiques s’y sont accordés pour tolérer un décalage plus grand entre le temps universel et le temps atomique, de manière à effectuer ces complexes et fastidieuses implémentations de temps intercalaire moins fréquemment à partir de l’année 2035. La durée de cette tolérance devrait être définie en 2026. À moins qu’une urgence ne vienne bouleverser la donne. Et c’est justement ce qui se profile, avec la période d’accélération de la vitesse de rotation de la Terre que nous vivons actuellement.
Car si jusqu’à présent la correction du décalage entre le temps lié à la rotation de la terre et celui des horloges atomiques n’avait nécessité que d’ajouter des secondes, la durée du jour de plus en plus courte pourrait conduire non plus à ajouter mais cette fois à retirer des secondes au temps atomique. Une opération inédite, et donc potentiellement très risquée pour tous les systèmes informatiques.
Un sursis de quelques années ?
D’après les estimations les plus pessimistes de l’étude de l’Institut de Géophysique de l’Université de Californie, citée au début de cet article, il aurait fallu retirer pour la première fois une seconde au temps atomique à partir de 2026. Or, selon son auteur, ce délai pourrait être repoussé de trois ans, à 2029. Et ce à cause (ou grâce) au changement climatique. En effet, d’après lui la fonte des glaciers contribuerait à faire tourner la Terre moins vite.
“Les données satellites cartographiant la gravité de la Terre montrent que depuis la fin des années 1990, la planète est devenue moins sphérique et plus aplatie, à mesure que la glace du Groenland et de l’Antarctique a fondu et a déplacé sa masse des pôles vers l’équateur” affirme l’étude qui explique: “Tout comme un patineur en rotation ralentit la vitesse de ses vrilles en écartant les bras (ou les accélère en les collant contre son corps), cet écoulement d’eau s’éloignant de l’axe de rotation de la Terre ralentit la rotation de la planète”.
Ce phénomène viendrait donc atténuer la phase d’accélération que notre planète connaît actuellement. “Il faut toutefois prendre cette étude avec des pincettes”, nuance Christian Bizouard. “Elle postule que la Terre va continuer à accélérer. Or, on en sait absolument rien et à l’heure actuelle, nous ne disposons d’aucun modèle physique permettant de le prévoir”.
La Terre poursuivra-t-elle ce mouvement d’accélération ? Faudra-t-il réellement supprimer pour la première fois une seconde intercalaire ? Si tel est le cas, souhaitons pour les programmeurs du monde entier que l’auteur de l’étude ait raison: cela leur donnera quelques années supplémentaires pour se préparer à cette délicate opération, si elle s’avère nécessaire.
Jour sidéral, jour solaire
Notre planète effectue une rotation complète sur elle-même en à peu près de 86.164 secondes, soit 23 heures 56 minutes et 4 secondes environ. C’est ce qu’on appelle le jour “sidéral”. Mais sur Terre, on perçoit surtout la rotation de notre planète en termes de cycles “jour-nuit”, et donc aussi par rapport au soleil. Or, tandis qu’elle tourne sur elle-même, la Terre se déplace aussi sur son orbite autour de notre étoile. Il faut donc rajouter presque 4 minutes pour qu’un point de référence soit à nouveau parfaitement aligné avec le soleil. Ce qui nous fait bien des journées de 24 heures.
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