Africa-Press – São Tomé e Príncipe. C’est une demande officiellement adressée à l’ONU. Le Costa Rica, la France, le Mexique, la République dominicaine et les 11 États insulaires réunis au sein de l’Organisation des États de la Caraïbe orientale demandent une coopération internationale pour lutter contre les échouements de sargasses, ces algues géantes qui prolifèrent dans toute la partie tropicale de l’Atlantique Nord. « Jusqu’ici, la lutte contre ce fléau se faisait au niveau de chaque État alors que le problème couvre les deux côtés de l’Atlantique, plaide Sylvie Gustave Dit Duflo, vice-présidente de la région Guadeloupe et présidente de l’office français pour la biodiversité (OFB). Cette démarche vise à faire en sorte que ce problème soit désormais géré à un niveau international. »
Dans la nature, les sargasses jouent un rôle écologique important. Appartenant à deux espèces du genre Sargassum, S. natans et S. fluitans, ces macroalgues forment dans la pleine mer des radeaux grâce à leur mucus qui les relient entre elles. Elles constituent ainsi un lieu de vie particulier dont profitent de nombreuses espèces de poissons, crustacés, mollusques. En sortant de leur écosystème, elles se chargent en polluants divers présents dans l’eau. Ce phénomène est encore plus marqué pour la Guadeloupe. « Elles captent en effet le chlordécone encore présent dans l’eau, si bien qu’elles ont des teneurs importantes de cet ancien pesticide utilisé autrefois dans les bananeraies de Guadeloupe et ont donc un effet sur la santé des populations », détaille Sylvie Gustave Dit Duflo. Tous les États de la région financent d’important travaux d’évacuation et d’élimination des algues qui doivent se faire sans délai. Leur décomposition génère en effet des gaz toxiques. Parmi eux, figure l’hydrogène sulfuré dont l’inhalation peut entraîner la mort.
Une prolifération qui a sa source très loin des Caraïbes
La prolifération des sargasses va en s’aggravant. Les premiers échouements d’ampleur datent de 2011. Depuis, les volumes ne cessent d’augmenter. Confiné auparavant aux mois d’été, le phénomène couvre aujourd’hui toute l’année. L’an dernier, les estimations faites par survols aériens ont dépassé les 40 millions de tonnes d’algues présentes en pleine mer et susceptibles d’affecter tous les pays caribéens. Plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer cette pollution majeure. La première, c’est que les sargasses présentes en grande quantité dans la mer qui porte leur nom ne sont plus efficacement circonscrites dans leurs aires naturelles par le Gulf Stream et le courant nord-équatorial, du fait du réchauffement des eaux océaniques par le changement climatique. Mais les algues profitent aussi d’importants apports en nutriment provenant du bassin versant de l’Amazone au Brésil, du Mississipi aux États-Unis, du Congo en Afrique équatoriale. Désormais, les sargasses traversent l’Atlantique.
Le phénomène s’accélère tellement qu’il dépasse aujourd’hui les moyens individuels des États. Mais la coopération régionale a eu du mal à se mettre en place. « Cela a mis beaucoup de temps, reconnaît Sylvie Gustave Dit Duflo. Dans les Caraïbes, les francophones ont du mal à parler aux anglophones qui ont du mal à parler aux hispanophones. » La déclaration de Nice est le signal que cette période est révolue. Les États victimes d’une pollution dont ils ne sont pas responsables veulent donc un dialogue international sous égide de l’ONU. Les liens vont notamment s’amorcer avec le Brésil. Dans quelle mesure la déforestation de l’Amazonie, la mise en culture de terres, l’extension de l’élevage influe sur les sargasses? Quels sont les flux de nutriment qui débouchent en mer via l’Amazone? Et bien sur, la grande question: comment traiter le mal à la racine, c’est-à-dire diminuer drastiquement la pollution vers l’océan?
Des perspectives de transformation de la sargasse en produits utiles
Ce dialogue risque d’être très difficile avec les États-Unis qui continuent de faire la sourde oreille. « Nous avons déjà interpellé les États-Unis via le protocole de Carthagène pour la protection de l’environnement marin de la Caraïbe, mais nous avons reçu un refus d’inscrire cette question à l’ordre du jour, déplore Sylvie Gustave Dit Duflo. Les apports en nutriments par le Mississipi dans le golfe du Mexique impliquent une remise en cause des pratiques agricoles de quasiment tout le Midwest. » Une action concertée de tous les Etats victimes est donc nécessaire.
La nouvelle solidarité régionale permet cependant d’ouvrir d’ores et déjà de nouvelles perspectives de prévention et de traitement des algues. Les systèmes précoces d’alerte qui sont envisagés pourraient favoriser le développement de la collecte en mer, avant l’échouement à terre. Cette biomasse plus facilement captée par bateaux spécialisés n’est pas polluée par les sables des plages et pourrait donc être plus facilement utilisable pour des applications industrielles. L’idée, c’est de rassembler la récolte en mer en un seule point central de stockage qui pourrait être l’île de la Grenade. Ces gros volumes rendraient économiquement plus rentables des unités industrielles de transformation des sargasses. Le fléau pourrait ainsi servir à produire de l’énergie ou à être transformé en biocarburant, en engrais ou en produits cosmétiques. L’appel à l’ONU, c’est aussi une façon de convaincre que le fardeau actuel peut devenir une opportunité de développement.
Pour plus d’informations et d’analyses sur la São Tomé e Príncipe, suivez Africa-Press