Africa-Press – São Tomé e Príncipe. C’est avec un réel enthousiasme que nous observons qu’une pensée économique africaine est en gestation. Des économistes, des intellectuels pluridisciplinaires ayant engrangé connaissances et expériences dans le monde, sont entrain de poser les bases d’une réflexion sur les voies et moyens endogènes de sortir le continent de l’étau d’une mondialisation de la pensée économique unique. Longtemps, le continent africain a été, et l’est toujours d’ailleurs, présenté comme le continent en retard sur tous les plans. A l’indépendance, déjà, René Dumont disait que l’Afrique était « mal partie ». Vingt après, lorsqu’il s’est trouvé en quasi cessation de paiement, les institutions de Bretton Woods appelés à la rescousse ont recommandé des mesures d’austérité pour enrayer nos déficits publics et fait des injonctions pour dépenser moins et mieux et augmenter nos recettes propres via l’élargissement de la base fiscale. C’étaient là les conditions pour pouvoir disposer de l’aide financière internationale.
Des plans de stabilisation et d’ajustement structurel furent donc mis en place et les pays sous ajustement sommés d’ouvrir leurs marchés au commerce mondial supposé être le lieu d’échanges gagnant/gagnant. Les mesures d’austérité inspirées du Consensus de Washington furent appliquées mais, en définitive, pour des résultats peu concluants selon l’avis du plus grand nombre, y compris celui d’experts de ces organismes. Les principes du Consensus de Washington appliqués à nos pays ont fini de déstructurer les économies, supprimer les emplois d’entreprises anciennement protégées, de casser les sociétés d’encadrement d’Etat au nom de l’austérité budgétaire et de la restauration de l’équilibre des grands agrégats macroéconomiques.
Après 15 années d’ajustement structurel, et une dévaluation du Franc CFA en 1994, l’Afrique, au-delà de la zone utilisant cette monnaie alors parrainée par la France, a renoué à compter des années 2000 avec la croissance économique. Dès lors, le continent est devenu aux yeux du monde économique un lieu d’opportunités économiques et financières à saisir. On en parle désormais comme étant le continent de l’avenir, de la future zone d’émergence économique. Les agences de notation, les banques d’affaires et les Think Tank s’évertuent à classer les pays en fonction du degré d’émergence, à partir de critères divers et variés. Il faut toutefois faire remarquer à ce propos que la notion d’émergence ne renvoie pas à une définition partagée en commun par tous. Au plan continental, l’Union Africaine, via l’observatoire de l’émergence en Afrique dans le cadre de l’agenda 2063, fait ressortir que, sur les 54 pays, seuls 11 méritent d’être appelés émergents. Parmi ces pays du groupe leader de l’émergence en Afrique, à savoir l’île Maurice, l’Afrique du Sud, les Seychelles, le Botswana, le Cap-Vert, le Rwanda, le Ghana, la Tunisie, la Namibie, le Maroc et Sao Tomé-et-Principe. Le deuxième groupe dit «pays du seuil» est constitué par ceux qui ont atteint un stade dont le franchissement pourrait les faire entrer dans l’émergence. Il s’agit aussi 11 pays ayant à leur tête l’Egypte, l’Ouganda, l’Algérie, le Sénégal, la Zambie, la Tanzanie, le Kenya, le Gabon, le Bénin, le Malawi et le Lesotho. Les autres pays, dont la Côte d’Ivoire, le Nigéria et le Kenya, se situeraient dans le groupe des pays potentiellement émergents, ce qui, d’emblée, semble paradoxal. Notons au passage que le géant de l’Afrique de l’Ouest, le Nigéria, ne fait pas partie des pays du « seuil » alors que le Cap Vert et le Rwanda font partie du groupe leader. C’est dire que les critères avancés varient et induisent un classement loin de tomber sous le sens.
En effet, le Nigeria, l’Afrique du Sud et l’Égypte constituent les trois premières économies africaines en termes de produit intérieur brut (PIB). De par leur taille, ces économies sont les principales destinations africaines des investissements directs étrangers (IDE), après Maurice. Elles concentrent à elles seules 35 % des flux entrants en Afrique. Le PIB éthiopien ne représentait en 2019 que 20 % de celui nigérian ! Il est vrai qu’un ouvrier éthiopien gagne un salaire d’environ 30 euros par mois, ce qui pourrait justifier la délocalisation dans ce pays d’unités de confection très utilisatrices de main d’œuvre pour des raisons de compétitivité internationale. Il est également vrai que 1 Éthiopien sur 3 vit avec moins de 1 $ par jour ; mais cela ne saurait justifier d’affubler ce pays du vocable de pays émergent. Classer alors l’Ethiopie parmi les pays avancés et parler du potentiel d’émergence du Nigéria pose problème. Tout cela rend les classements inopérants par rapport à la réalité du terrain. En effet, pour les investisseurs étrangers, payer des salaires décents ne saurait être un objectif. Les IDE vont là où les facteurs de production sont les plus favorables à la constitution de marges substantielles (matières premières à coût bas achetées en Afrique et production en Asie où les salaires sont bas). Leur présence dans le pays d’accueil peut prendre la forme de délocalisation d’unités productives existantes ou celle de réalisation d’installations nouvelles.
Enthousiasmés par ce regain d’intérêt, et pour mieux capter les ressources financières des institutions financières internationales, et attirer les flux d’Investissement direct étrangers, nos Etats se sont lancés dans des plans stratégiques de développement à long terme appelés plans ou programmes d’émergence (le Sénégal a fixé son horizon à l’an 2035). Mis en exécution avec l’aide des bailleurs de fonds, les plans d’émergence suivent leur cours sans pour autant l’existence d’un monitoring partagé, mettant les populations à niveau. Aujourd’hui la tutelle conceptuelle des institutions de Bretton Woods, en matière de développement économique n’est plus de mise.
L’ère des nouveaux économistes africains Au centre du débat économique africain, on trouve des intellectuels pluridisciplinaires qui mettent comme préalables à l’émergence la transformation structurelle des économies via la valorisation locale des ressources du sol et du sous-sol, et la compétitivité des productions africaines vis-à-vis du reste du monde via une monnaie commune, flexible quant à son taux de change. Le tout avec des autorités monétaires mettant au cœur de leur politique le développement économique via le soutien aux entreprises, et contrôlant moins la masse monétaire dans un souci de stabilité monétaire et de faible inflation.
Les plus connus parmi ces nouveaux économistes du continent ont pour noms Kako Nubukpo, Felwine Sarr, dont la pensée très originale et novatrice est à transformer en grille de lecture, Ndongo Samba Sylla, Alioune Sall « Paloma » et tant d’autres, y compris Daniel Anikpo qui invite à la révolution intellectuelle en Afrique. Daniel Anikpo nous dit en substance que « si on passe son temps à faire appel à l’investissement exogène, on développe l’étranger ! Malheureusement, c’est ce que font les pays africains ; il faut développer l’investissement endogène ! C’està-dire les investissements basés sur les ressources du pays, les hommes du pays, les cerveaux du pays et les transformations du pays ainsi que les finances du pays ; on fait changer tout le pays à la fois ». Il est permis de dire que la voix de nos intellectuels porte au-delà des frontières géographiques du continent. Quelques chefs d’Etat d’Afrique sont tentés de reprendre l’argumentaire de ces économistes dans le sens de la remise en cause de la tutelle pesante des institutions financières internationales, en particulier sur le consensus de Washington. L’opposition d’un Nubukpo au franc CFA n’a pas dissuadé le président Faure de faire appel à ses compétences dans le cadre de la Commission de l’UEMOA.
Toutefois, l’erreur à ne pas commettre par nos intellectuels est de se laisser tenter par les sirènes du pouvoir. Ils doivent rester des intellectuels organiques comme disait l’autre. Au-delà de déconstruire le discours sur l’émergence, leur mission doit également porter sur l’apport de solutions à des enjeux très stratégiques et très pratiques comme la mobilisation endogène et exogène des ressources financières de développement de l’Afrique y compris la participation populaire. Surtout, surtout, cette mission devra aussi porter sur la construction rapide et durable de la ZLECAf.