Africa-Press – Senegal. Dimanche 23 janvier, quelque 6,6 millions de Sénégalais étaient appelés à se rendre dans les bureaux de vote partout dans le pays afin d’élire leur maire. Initialement prévues en novembre 2019, ces élections avaient été reportées à plusieurs reprises notamment à cause de la pandémie de Covid-19. C’était donc la première fois depuis les élections présidentielles de 2019 que la population votait de nouveau. La première fois également que les électeurs élisaient eux-mêmes, et non plus par le biais des conseillers municipaux, leur maire. Environ 3 200 listes étaient en compétition dans plus de 500 mairies et sur plus de 40 départements.
Un scrutin test
Ce scrutin avait des allures de test pour le parti du gouvernement mais aussi pour l’opposition. Chacun espérait sonder la population à 5 mois des législatives avec en ligne de mire la présidentielle de 2024. Après les violentes manifestations qui ont secoué le pays en mars 2021, lesquelles ont illustré un certain ras-le-bol des populations vis-à-vis du pouvoir, le contexte était d’autant plus particulier.
Si la journée de vote s’est bien déroulée de manière générale, certains ont rapporté des difficultés : ouvertures tardives de bureau de vote, manques de bulletins ou encore impossibilité pour certains de voter faute de trouver leur nom inscrit sur les listes électorales… « Il y avait beaucoup de monde dans mon bureau de vote et surtout beaucoup de jeunes », note Souleymane, résidant dans la commune dakaroise de Fass. Pour être sûr de pouvoir glisser son bulletin dans l’urne, le jeune homme de 28 ans était présent sur place dès 8 h 30. Un constat également fait par Khoudia du côté de Ouakam : « Beaucoup de jeunes se sont déplacés. La jeunesse s’est levée, car elle a une ambition de changement », rapporte la mère de famille de 27 ans.
Un vote argumenté contre la coalition présidentielle
Si la coalition du parti présidentiel, Benno Bokk Yakaar (BBY « Ensemble pour un Sénégal émergent »), a conservé des communes et de villes importantes dans le pays, elle a aussi essuyé des revers dont les plus marquants dans les villes symboliques que sont Dakar ou Ziguinchor, des places stratégiques qui font bien souvent figure de baromètre pour les présidentielles. « Je pense que c’est le moment opportun pour amorcer un tournant décisif et sanctionner la gestion du régime, mais aussi ses dérives de mars dernier », analyse Baïloo, habitant de Ziguinchor (région de Casamance, sud du pays). Le jeune homme de 27 ans est un sympathisant d’Ousmane Sonko, candidat phare de la coalition de l’opposition Yewwi Askan Wi (« Libérez le peuple » en wolof – YAW) et originaire de la ville. « J’aime son idéologie incarnée dans son programme “Burok” (travail en diola) et les valeurs de patriotisme, de droiture qu’il incarne », détaille-t-il.
Si comme Baïloo certains avaient un candidat phare, beaucoup d’autres électeurs sénégalais semblent avoir fait le choix du vote sanction avant tout. « Un ami à Thiaroye me disait que, même si le maire avait fait beaucoup pour la population, il n’allait pas voter pour lui puisqu’il fait partie de BBY et qu’il veut sanctionner Macky Sall », rapporte Souleymane. Lui-même est un partisan du « tout sauf Macky » et a voté pour Barthélemy Dias, candidat de YAW pour la mairie de Dakar. « Même s’il y avait beaucoup d’autres candidats, il n’y avait que la coalition YAW pour faire face au parti présidentiel, c’était la seule option pour gagner face à BBY. Ce vote, c’est pour montrer notre colère, on n’a que notre carte d’électeur pour exprimer notre mécontentement », insiste-t-il, avant d’ajouter : « Il fallait montrer à Macky Sall qu’il n’est pas question d’un 3e mandat. C’est un avertissement qui lui a été donné dimanche. »
Khoudia a jugé qu’elle votait utile en votant contre l’ancien maire de Ouakam : « Je prône le changement, car le maire était en place depuis trop longtemps et ne faisait rien pour sa commune. Même si je ne connaissais pas vraiment les autres candidats, il fallait du renouveau », assure-t-elle, affirmant que les votes ont montré au pouvoir que la « population était fatiguée ».
Autre cas de figure qui aurait joué en défaveur de la coalition BBY : le fait que l’état-major national a imposé des candidats dans les communes au détriment des candidats locaux. « Cela a désorganisé les choses. Les gens n’étaient pas d’accord avec cette mainmise. Les dirigeants nationaux ne sont pas les maîtres du terrain et ne peuvent pas tout diriger ! La mouvance présidentielle est responsable de son échec dans les localités », s’agace Paul, candidat déçu de la commune de Boutoupa-Camaracounda, dans la région de Casamance.
Une nouvelle dynamique pour l’opposition
Les enjeux de ces élections dépassaient en effet le cadre local, car en ligne de mire, ce sont les législatives qui se préparent dans 5 mois, mais surtout les présidentielles prévues en 2024. Avec la victoire de l’opposition dans de nombreuses communes, mais surtout à Dakar, plus grosse circonscription du pays, et Ziguinchor, la capitale de la Casamance, c’est un nouveau rapport de force qui se met en place. Dakar représente en effet une étape importante dans l’ascension des candidats à la présidentielle. En sera-t-il ainsi pour le nouveau maire, Barthélémy Dias (YAW) ? Les Dakarois nourrissent l’espoir que son programme soit synonyme de changements et sont impatients de constater les réalisations à venir. « Il n’y a que lui qui peut nous aider, c’est le seul à aller sur le terrain », assure, confiant, Souleymane. Le nouvel élu dakarois est attendu au tournant.
« La victoire de Sonko à Ziguinchor est un grand bond en avant et un atout pour les élections législatives et les présidentielles. Ziguinchor va devenir le laboratoire de ses idées », se félicite Baïloo. « Cette victoire municipale est un bon signe pour 2024 », veut croire Ibrahima, originaire de Ziguinchor. Le père de famille de 36 ans rappelle qu’Ousmane Sonko a créé la surprise par son ascension rapide en politique. « Nous n’avons jamais eu de candidat originaire de Casamance aussi populaire dans l’histoire du Sénégal. Cela motive les Casamançais, et de plus, il est coriace et fait de belles choses, donc les résultats du 23 janvier ne sont pas étonnants », dit celui qui soutenait pour cette élection un candidat issu de la mouvance présidentielle, mais qui, pour 2024, votera pour le nouveau maire. S’il salue cette victoire, Paul craint aussi que le pouvoir en place ne décide de « resserrer les robinets pour tenter de restreindre les projets » de cet opposant devenu une menace. Face à cette nouvelle donne et à cette redistribution des cartes, la bataille politique entre les deux coalitions, BBY et YAW, n’est pas près de s’apaiser dans les mois à venir.
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