Macky Sall et Barthélémy Dias, l’impossible entente

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Macky Sall et Barthélémy Dias, l’impossible entente
Macky Sall et Barthélémy Dias, l’impossible entente

Mawunyo Hermann Boko

Africa-Press – Senegal. Désormais maire de Dakar, le bouillonnant opposant devrait travailler en bonne intelligence avec le chef de l’État. Mais pour l’heure, les relations ne cessent de s’envenimer.

Voilà deux personnalités politiques aux antipodes. D’un côté, la placidité affichée d’un Macky Sall qui semble sûr de son fait et qui détient la majeure partie des leviers du pouvoir – à l’exception très notable des clés de la capitale du pays qu’il préside depuis 2012. De l’autre, la virulence et la fougue de Barthélémy Dias, récemment élu maire de Dakar, et dont la réputation de cow-boy paraît ne jamais devoir s’éteindre.

Soucieux d’adoucir l’image de son candidat, Abass Fall, son directeur de campagne lorsqu’il s’est lancé à la conquête de la capitale – devenu depuis son 1er adjoint – s’était échiné à tempérer les ardeurs de son champion. Peine perdue. La fin de campagne de Dias s’est terminée dans la violence. Le 20 janvier, lors d’un meeting improvisé dans un quartier de Mermoz-Sacré-Coeur, la commune qu’il dirigeait jusque-là depuis douze ans, il haranguait la foule, juché sur un pick-up. De son balcon, un militant présumé de Benno Bokk Yakaar (BBY), la coalition au pouvoir, lui aurait alors signifié en mots crus la vacuité de son discours… Déclenchant la colère de la foule. La maison, prise d’assaut, fut vandalisée par les militants du candidat de Yewwi Askan Wi, la coalition de l’opposition. Quant à Barthélémy Dias, accusé d’avoir participé, il n’aurait, à tout le moins, appelé au calme que tardivement. Bilan : trois blessés graves.

Vexation et menace voilée

Lorsqu’à l’issue des joutes électorales, Barthélémy Dias prend les rênes de la capitale, le 17 février dernier, personne ne doute que ses relations avec Macky Sall promettent d’être tendues. Dès le 21 mars, le protégé de Khalifa Sall, l’ancien maire de Dakar, donne un avant-goût de la posture qu’il compte prendre au cours de son mandat. Fâché de n’avoir pas été associé au Forum mondial de l’eau, coorganisé par l’État du Sénégal et le Conseil mondial de l’eau, il boude la cérémonie de lancement de l’évènement et organise même un « contre-forum ». Thématiques abordées ? Les problèmes d’assainissement et de distribution d’eau qui frappent la capitale sénégalaise… Et l’état des lieux des promesses non tenues par l’État en terme d’infrastructures. « Cette méthode de fragiliser le maire de Dakar ne marchera pas avec moi », lançait alors l’édile vexé.

S’il s’abstient de prononcer publiquement le nom de son opposant, le président sénégalais semblent pourtant bien décidé à répondre aux attaques. Le 3 mai dernier, en marge d’une rencontre avec les centrales syndicales, Macky Sall glisse l’une de ces petites phrases qui font le miel des éditorialistes et commentateurs politiques. Il rappelle alors qu’un maire « ne peut faire tout ce qu’il veut et qu’il est soumis aux exigences de la loi et du règlement » au risque d’être révoqué. Et insiste encore sur le fait que « tout recrutement en dehors de l’organigramme mis en place est nul et de nul effet ».

Une menace voilée ? « On ne réveille pas un lion qui dort, au risque d’être brutalisé », mettait déjà en garde Macky Sall, en 2016, ciblant son opposition mais, surtout, Ousmane Sonko, qui compte aujourd’hui parmi les alliés de Barthélémy Dias. Pour la presse sénégalaise, cela ne fait aucun doute, le message subliminal s’adresse directement à l’homme fort de Dakar, dont la photo s’affiche à la une de la quasi-totalité des quotidiens nationaux dès le lendemain.

Des nominations controversées

Au sein de BBY, on affirme que Macky Sall est au-dessus de la mêlée, bien loin de ces bisbilles politico-politiciennes, et que ses propos ont été surinterprétés. « C’est un syndicaliste qui a évoqué la question des conditions de travail des employés municipaux. Partout, et depuis la nuit des temps, on politise les recrutements dans les mairies. C’est en fait très simple : le principe édicté s’applique à tout le monde », affirme sous couvert de l’anonymat un cadre de la coalition présidentielle.

Sauf que la mise au point réglementaire du chef de l’État intervient alors que le nouveau maire de Dakar a recruté au sein de ses équipes, deux semaines plus tôt, deux personnalités pour le moins hors normes : le capitaine Seydina Oumar Touré et l’activiste anti-impérialiste Guy Marius Sagna.

Le premier, radié en juin 2021 de la gendarmerie alors qu’il officiait à la Section de recherche de Colobane, a été l’une des premières « victimes collatérales » de l’affaire Sonko. Le capitaine Seydina Oumar Touré, qui a mené l’enquête préliminaire concernant la plainte déposée en février 2021 par Adji Sarr, l’employée du salon de massage Sweet Beauty qui accuse Ousmane Sonko de l’avoir violée, a été remercié après s’être trop épanché sur l’affaire dans la presse.

Il a d’abord tenté de rebondir dans l’enseignement, à l’Institut africain de management (IAM), un organisme fondé par le député Moustapha Mamba Guirassy. Mais l’encre de son contrat n’était pas encore sèche qu’il a été rompu sous pression du ministère de l’Enseignement. Repêché par Barthélémy Dias, il a été nommé conseiller technique à la Sécurité intérieure au sein du cabinet municipal. Quant à Guy Marius Sagna, activiste qui collectionne les séjours sous les verrous et les arrestations en marge de manifestations contre le pouvoir, Barthélémy Dias lui a confié le poste de conseiller technique en charge des Affaires sociales et de la réinsertion.

Dans les rangs de la majorité présidentielle – en minorité au conseil municipal de Dakar – l’arrivée de ces deux conseillers a été vécue comme une provocation. « La ville de Dakar ne doit pas être une arme pour Barthélémy Dias contre ce régime. Nous informons Barthélémy que le populisme n’est pas bon. Nous, les conseillers de Benno Bokk Yakaar, nous allons nous opposer à certaines décisions de Barthélémy. Il ne doit pas prendre des gens qui ne répondent pas aux critères », a ainsi prévenu Bamba Fall, maire de Médina, élu sous la bannière Yewwi Askan Wi, mais qui a transhumé du côté la majorité présidentielle.

La réplique n’a pas tardé. Vendredi 6 mai, Barthélémy Dias a convoqué une conférence de presse lors de laquelle il a, notamment, répondu aux menaces voilées adressées par le président sénégalais. « Personne ne pourra me dicter ce que je dois faire et personne ne pourra me détourner de mes ambitions, a-t-il prévenu. Le capitaine Touré est un symbole et tout le monde devrait l’accompagner, tout comme Guy Marius Sagna. J’ai pris mes responsabilités de les recruter. Ils resteront membres du cabinet et personne ne pourra enlever ça. »

Épée de Damoclès

Barthélémy Dias pourrait cependant ne pas être le seul dans le collimateur de Macky Sall. Ousmane Sonko, élu maire de Ziguinchor, a lui aussi pris plusieurs décisions qui provoquent la controverse. Celui qui est désormais considéré comme l’opposant numéro un du chef de l’État a annoncé, mi-février, la création de nouvelles directions au sein de la mairie de la principale ville de Casamance. Sauf qu’un décret présidentiel grave déjà dans le marbre l’architecture des services et directions que doit comporter une municipalité. Contacté, l’entourage de celui qui est arrivé troisième à la présidentielle de 2019 n’a pas souhaité répondre aux sollicitations de Jeune Afrique.

Quelle que soit la personne que visait Macky Sall, le fait de brandir la menace d’une potentielle révocation est tout sauf anodin. Qu’il s’agisse de Dias ou de Sonko, les deux opposants devenus maires disposent en effet de postes stratégiques à la hauteur de leur ambition commune : imposer une cohabitation à Macky Sall lors des législatives du 31 juillet. Avec un budget annuel moyen de 100 milliards de F CFA à la mairie de Dakar, Barthélémy Dias peut ainsi se vanter d’être à la tête d’une administration comparable – financièrement – à celle d’un ministère régalien.

Mais le premier édile de la capitale sénégalaise a une autre épée de Damoclès au dessus de la tête : l’affaire Ndiaga Diouf, du nom de ce sympathisant du Parti démocratique sénégalais (PDS), tué par balle en 2011 lors de l’attaque par des « nervis » de la mairie Mermoz-Sacré-Coeur. Cinq ans de prison ont été requis en appel contre Barthélémy Dias, soupçonné d’être l’auteur du tir mortel. Le délibéré du tribunal a été fixé au 18 mai.

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