Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Senegal. Le très fermé club des « BRICS », constitué par le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du sud, joue désormais un « rôle politique et économique d’une très grande importance sur la scène mondiale ».
Lors de son quinzième sommet, tenu du 22 au 24 août 2023 à Johannesburg, la plus grande ville d’Afrique du Sud et la capitale de la province de Gauteng, les BRICS ont décidé d’élargir le nombre de leurs membres en invitant six pays à se joindre au rassemblement, en réponse aux appels visant à accélérer les procédures d’élargissement du groupe et renforcer son rôle dans le monde.
Vingt-trois pays avaient déjà demandé leur adhésion ou manifesté leur intérêt à se joindre au groupe (dont 8 pays arabes) un signe de l’influence grandissante des pays émergents sur la scène mondiale.
Les nouveaux membres sont notamment :
• l’Arabie saoudite,
• les Émirats arabes unis,
• l’Égypte,
• l’Iran,
• l’Éthiopie,
• et l’Argentine.
Le groupe reflète ainsi sa volonté de renforcer et de développer les économies de ses pays-membres, notant que « l’économie reste le premier critère d’évaluation », en pensant à toute nouvelle adhésion future.
Potentiel économique de certains nouveaux adhérents membres
Il faut dire de première vue que les pays rejoignant le groupe possèdent des composantes économiques importantes et fortes, ce qui laisse croire que les BRICS considèrent que l’adhésion de ces pays contribuerait au renforcement et à la consolidation de leurs économies.
• L’Arabie saoudite
De plus, les pays qui viennent de rejoindre le groupe sont des puissances intermédiaires dans un monde en évolution entre le bloc occidental dirigé par les États-Unis, et l’autre camp qui comprend la Chine et la Russie, à l’instar de l’Arabie saoudite qui semble bien « posséder une économie forte et qui n’a pas traversé de crises comme d’autres économies internationales, que ce soit les États-Unis ou certains pays de l’Union européenne ».
Dans ce contexte, l’écrivain et chercheur politique saoudien, Salmane al-Charida, a souligné « l’essor de l’économie du Royaume d’Arabie saoudite, de sa croissance et de ses aspirations vers le développement, grâce à sa politique équilibrée et au renforcement de ses relations avec tous les pays du monde », outre sa situation géographique distinguée.
Il a ajouté que Riyad présentait « un modèle de fiabilité au monde grâce à un équilibre politique important pour parvenir à la confiance économique », citant entre-autres que « le Royaume a été capable, au sein de l’OPEP, de maintenir des équilibres grâce aux prix de l’énergie d’une manière qui garantit les intérêts des producteurs et des consommateurs ».
• L’Egypte
Concernant le pays des « Pharaons », l’ancien ministre adjoint égyptien des Affaires étrangères, Hussein Haridi, diplomate de carrière, a qualifié le sommet des « BRICS » de Johannesburg d’« historique », affirmant que « pour la première fois, les mondes arabe et islamique sont représentés », tout en estimant que les résultats de l’adhésion de nouveaux pays au groupe apparaîtront dans un avenir à moyen et à long terme, estimant en même temps que cet élargissement « contribuera à jeter les bases de la paix et de la sécurité internationales, et s’efforcera de régler les différends par des moyens pacifiques ».
Il a souligné également que la présence de l’Égypte au sein des « BRICS » encouragera les investissements étrangers directs des pays membres tels que la Chine, le Brésil et l’Argentine, en particulier dans de nouveaux domaines comme l’hydrogène vert.
Selon lui, l’adoption d’une monnaie autre que le dollar américain dans les transactions commerciales entre les pays « BRICS » aurait un impact positif significatif sur la situation économique égyptienne à la lumière de la crise du dollar dont souffre le pays. En plus de la possibilité d’apporter un financement de la Banque de Développement du Groupe, ce qui contribue à réaliser la Vision 2030 de l’Égypte.
• La République Islamique d’Iran
Immédiatement après l’annonce, Téhéran a ainsi salué sur les médias sociaux « un développement historique et un succès stratégique pour la politique étrangère » du pays.
• L’Ethiopie
Le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, a de son côté s’est contenté d’exprimer sa satisfaction quant à « ce grand moment » pour la nation africaine.
• Les Émirats arabes unis
Au même moment où les Émirats arabes unis se sont aussi félicités de leur intégration, le président Mohammed ben Zayed s’est empressé d’affirmer quant à lui « le respect de la vision des dirigeants des BRICS ».
A noter que Les Émirats arabes unis se classent au 20e rang mondial selon le FMI, au regard du PIB par habitant
• Autre point demandant réflexion
Certains nouveaux membres rencontrent à l’inverse de fortes difficultés économiques, comme l’Argentine par exemple, en proie à une inflation sans précédent et faisant face à l’incapacité à rembourser une dette de 44 milliards de dollars au FMI.
Norme économique
En effet, dès janvier 2024, l’Iran, l’Argentine, l’Égypte, l’Éthiopie, l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis seront accueillis au sein des BRICS, de quoi accroître leur influence dans le monde, alors que le bloc produit déjà un quart de la richesse mondiale.
Bien que les pays des BRICS abritent environ 40 % de la population mondiale, l’incapacité des 5 membres constitutifs du groupe (Brésil – Russie – Inde – Chine – Afrique du sud) à s’entendre sur une vision cohérente a longtemps rendu ses performances inférieures à sa véritable capacité en tant que parti mondial efficace dans les domaines politique et économique.
Pour rappel, les pays membres de ce groupe ont des économies de tailles très différentes et des gouvernements ayant des objectifs différents en matière de politique étrangère, un facteur qui complique l’existence d’un modèle consensuel pour la prise de décision au sein du groupe.
Dans cette optique, le Professeur de relations internationales à l’Université Jawaharlal Nehru de New Delhi, Soran Singh, a tenu à préciser que les BRICS représentent les économies émergentes, ajoutant : « L’économie reste donc le premier critère pour réfléchir à toute nouvelle adhésion », considérant que les BRICS avaient un rôle politique et une influence plus importants, différents des institutions dirigées par les États-Unis après la Seconde Guerre mondiale.
Il importe de noter l’importance du rôle que le groupe a commencé à jouer sur la scène mondiale, sachant qu’il existe un grand groupe de pays intéressés à rejoindre les BRICS, soit environ 43 pays qui ont exprimé leur désir d’en faire partie, et que seulement 6 ont été choisis sur la base des critères du groupe ».
Crainte de Washington qui émet des critiques
Le Centre Soufan pour le dialogue stratégique aux Etats-Unis, a critiqué le groupe BRICS pour l’inclusion de l’Iran, estimant que cette démarche est « surprenante du point de vue américain », tout en déclarant que l’annexion de Téhéran retarderait les efforts du groupe visant à créer une « monnaie alternative au dollar », faisant référence au fait que Téhéran est « presque isolé du système financier mondial, comme c’est le cas de la Russie ».
La même source a souligné la difficulté d’établir un système financier alternatif au dollar, soulignant que « tous les efforts antérieurs dans le monde pour établir un système concurrent ou alternatif au dollar ont échoué ».
Washington ne s’est pas empêché d’affirmer ne pas voir dans les BRICS de futurs « rivaux géopolitiques ».
Néanmoins, le Centre Soufran pour le dialogue stratégique a estimé que le groupe cherche à créer un état d’équilibre en incluant quatre pays du Moyen-Orient, et a noté la force de l’économie de Riyad et d’Abou Dhabi en échange de la faible performance de l’économie iranienne.
Toutefois, Selon certains analystes, le refroidissement des relations entre les Etats-Unis et le Royaume d’Arabie saoudite aurait poussé Riyad à s’approcher de plus en plus de la Chine et de la Russie, par le biais de sa demande à se joindre au « club des 5 des BRICS ».
De même, le retrait des EAU des Forces maritimes dans le Golfe, dirigées par les Etats-Unis, au mois de Mai 2023, ainsi que sa participation à des manœuvres militaires avec les Forces aériennes chinoises, depuis le 9 août 2023, serait une preuve importante du recul des relations entre ce pays du Golfe et Washington.
Réactions des « géants »
• La Chine
La Chine, centre de gravité du groupe, appelle depuis longtemps à l’expansion des BRICS alors qu’elle cherche à combattre la domination de l’Occident, une stratégie partagée également par la Russie.
Le président chinois, Xi Jinping, dont le pays représente un poids-lourd économique au sein du bloc, a quant à lui salué cet « élargissement historique », prédisant un « avenir radieux pour les pays du BRICS ».
En effet, la Chine prévoit de faire pression sur le bloc des marchés émergents des BRICS pour qu’il devienne un « concurrent global » du Groupe des Sept grandes nations industrielles (G7).
• La Russie
Sergeï Ryabkov, vice-ministre des Affaires étrangères de la fédération de Russie a déclaré à son tour : «Avec l’adhésion de ces pays au groupe BRICS, le dialogue sur le dossier énergétique sera clairement renforcé, et des formes d’échange d’informations et des pratiques de recherche ont déjà été développées dans ce domaine ».
Il a également souligné que l’adhésion aux BRICS d’États déjà membres de l’OPEP, l’organisation mondiale qui regroupe tous les pays exportateurs de pétrole du monde, contribuerait à améliorer la sécurité publique contre les complots malveillants ourdis dans le domaine de l’énergie.
• L’inde
L’Inde s’est contentée de soutenir l’élargissement des BRICS et de saluer l’intégration des 6 nouveaux membres.
Points noirs du sommet de Johannesburg
Les observateurs ont assuré que l’une des principales raisons des divergences de vues entre les pays du groupe réside dans les objectifs particuliers de ses membres :
• l’Inde et le Brésil cherchent à entretenir des relations fortes avec l’Occident et craignent l’hégémonie de la Chine sur les BRICS pour renforcer son influence dans un grand nombre de pays, en particulier sur le continent africain,
• tandis que la Russie cherche à mobiliser la communauté internationale pour affronter l’hégémonie occidentale et affronter le dollar, qui a été utilisé comme une arme contre elle dans son opération militaire en Ukraine.
• L’Algérie, avait de grandes chances de rejoindre les BRICS, quoique en tant qu’observateur, dans un premier temps, compte tenu de l’importance géopolitique de ce pays, de la taille de son économie, de sa position géographique, de sa masse démographique, de ses richesses énergétiques et minérales, ainsi que de son non négligeable marché de consommation.
Il importe de rappeler que l’Algérie a pesé de tout son poids pour rejoindre les BRICS, à travers la visite de son président, Abdelmadjid Tebboune, en Russie et en Chine, pays centraux du groupe, et avait obtenue la garantie de leur soutien.
Elle a également demandé à rejoindre la Nouvelle Banque de Développement des BRICS, en apportant une contribution d’un montant d’un milliard et demi de dollars, sachant que le président algérien avait également annoncé, dans un entretien à la presse locale, que le produit intérieur brut du pays s’élève à 225 milliards de dollars, ce qui signifie qu’il a dépassé le plafond de 200 milliards de dollars fixé comme objectif d’entrée dans les BRICS.
Mais, la candidature de l’Algérie n’a pas été retenue par les membres constitutifs des BRICS.
• Autres pays arabes malchanceux dont la candidature ne fût pas retenue
Outre les quatre pays arabes qui ont reçu le plus de résonance médiatique et politique (Arabie saoudite, Emirats arabes unis, Egypte, et Algérie) d’autres pays arabes figuraient dans la liste des 23, mais avec moins de bruit, comme le Bahreïn, le Koweït, le Maroc et la Palestine.
Les conclusions annoncées à l’issue du 15e Sommet des BRICS
Dans la déclaration finale lue par le Président sud-africain et Président des BRICS, Cyril Ramaphosa, le 24 août à l’issue du 15e Sommet des BRICS à Johannesburg, nous avons constaté:
– Que les BRICS ont adopté la Déclaration de Johannesburg II qui reflète les messages clés des BRICS sur des questions d’importance économique, financière et politique mondiale. Cela démontre les valeurs partagées et les intérêts communs qui sous-tendent notre coopération mutuellement bénéfique en tant que cinq pays BRICS ».
– Que les BRICS eux-mêmes constituent un groupe diversifié de nations. Il s’agit d’un partenariat égal entre des pays qui ont des points de vue différents mais qui partagent une vision commune d’un monde meilleur », a déclaré le Président sud-africain.
– Que les dirigeants du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud se sont réunis pour le XVe sommet des BRICS, qui s’est tenu sous le thème : « Les BRICS et l’Afrique : Partenariat pour une croissance mutuellement accélérée, un développement durable et un multilatéralisme inclusif ».
– Qu’il s’agissait du premier sommet des BRICS organisé en « Face-to-Face » depuis la pandémie de COVID-19 et les restrictions de voyage mondiales qui ont suivi. A cette occasion, les dirigeants des BRICS ont réaffirmé leur attachement à l’esprit des BRICS de respect et de compréhension mutuels, d’égalité souveraine, de solidarité, de démocratie, d’ouverture, d’inclusion, de collaboration renforcée et de consensus.
– Qu’alors que le bloc s’appuie sur 15 années d’échanges, de coopération et d’entente, les dirigeants se sont engagés à renforcer le cadre de coopération mutuellement bénéfique des BRICS sous les trois piliers de la coopération politique et sécuritaire, économique et financière, culturelle et populaire.
Partenariat pour un multilatéralisme inclusif
– Le bloc s’est également engagé à renforcer son partenariat stratégique au profit de sa population à travers la promotion de la paix, d’un ordre international plus représentatif et plus juste, d’un système multilatéral revigoré et réformé, du développement durable et d’une croissance inclusive.
– Le bloc réitère son engagement en faveur d’un multilatéralisme inclusif et du respect du droit international, y compris des buts et principes consacrés dans la Charte des Nations Unies (ONU) comme pierre angulaire indispensable.
– Les dirigeants des BRICS ont aussi exprimé leur inquiétude face au recours à des mesures coercitives unilatérales, incompatibles avec les principes de la Charte de l’ONU et produisant des effets négatifs notamment dans le monde en développement.
– Nous réitérons notre engagement à renforcer et à améliorer la gouvernance mondiale en promouvant un système international et multilatéral plus agile, efficace, efficient, représentatif, démocratique et responsable.
Monnaie des BRICS
Les dirigeants des BRICS ont souligné qu’ils étaient prêts à explorer les possibilités d’améliorer la stabilité, la fiabilité et l’équité de l’architecture financière mondiale. Pour cela, ils envisagent de créer une monnaie de transaction entre les pays membre de ce groupe.
Dans la déclaration, les dirigeants ont déclaré qu’ils reconnaissaient les avantages généralisés de systèmes de paiement rapides, peu coûteux, transparents, sûrs et inclusifs.
La Nouvelle Banque de Développement (NDB) aura son rôle clé dans la promotion des infrastructures et du développement durable de ses pays membres. « Nous attendons de la NDB qu’elle fournisse et maintienne les solutions de financement les plus efficaces pour le développement durable, un processus constant d’expansion des membres et des améliorations de la gouvernance d’entreprise et de l’efficacité opérationnelle en vue de la réalisation de la stratégie générale de la NDB ».
Prendre connaissance des 94 points de la Déclaration finale du sommet des BRICS Johannesburg 2023 (en Anglais) sur le lien ci-dessous :
https://www.dirco.gov.za/wp-content/uploads/2023/08/Jhb-II-Declaration-24-August-2023.pdf
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