Lithium : l’immense défi des batteries européennes

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Lithium : l’immense défi des batteries européennes
Lithium : l’immense défi des batteries européennes

Africa-Press – Senegal. C’est un cri d’alarme qu’a lancé le 19 juin la Cour des comptes européenne. Les auditeurs écrivent dans leur rapport que “l’Union européenne risque d’échouer à devenir un moteur mondial de l’industrie des batteries”. Principal écueil : l’accès aux matières premières, et en particulier au lithium. Aujourd’hui, l’Argentine, la Bolivie et le Chili possèdent 58 % des ressources mondiales, soit une concentration jamais vue pour une matière première. Mais c’est sa transformation qui pose le plus problème, du moins pour les pays occidentaux. En 2021, la Chine a raffiné 60 % du lithium produit dans le monde, et représentait 77 % de la capacité de production de cellules de batteries et 60 % de la fabrication de composants de batteries. Comment sortir de ces monopoles bien établis qui profitent d’un élément dont le prix culmine au premier semestre 2023 autour de 60.000 euros la tonne ?

Le lithium est pourtant réparti également dans toutes les couches géologiques de la planète. Selon le rapport que le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a consacré au potentiel minier de la France, on trouve dans toute la croûte continentale supérieure cet élément métallique deux fois moins dense que l’eau, intéressant pour sa forte électronégativité – et donc son aptitude à capter et faire circuler les électrons – et son faible poids par rapport au plomb, qui permet d’alléger les batteries. Mais on le trouve en concentration faible : 35 parties par million (ppm) en moyenne. Trop faible le plus souvent pour envisager son exploitation. Sauf pour certains silicates bien particuliers, dont le spodumène.

“Cette roche dure est à l’origine d’environ 60 % du lithium produit dans le monde, détaille Vincent Ledoux-Pedailles, directeur commercial de Vulcan Energy Resources, start-up germano-australienne productrice de lithium en Europe. Les principaux gisements se trouvent en Australie, où la roche est extraite et broyée, avant d’être exportée vers la Chine pour son raffinage. ” Le spodumène subit alors toute une série d’étapes complexes. Le processus pour obtenir la pureté exigée du carbonate de lithium et de l’hydroxyde de lithium, les deux formes utilisées par l’industrie de la batterie, est très polluant : 170 m3 d’eau consommés et 150 tonnes de CO2 émises pour chaque tonne. Selon Vulcan Energy, la production actuelle à partir de spodumène génère tous les ans un milliard de tonnes de CO2, soit les émissions conjointes du Royaume-Uni, de la France et de l’Italie, du fait notamment que la Chine utilise une électricité à base de charbon.

Des ressources de lithium importantes en France

Selon l’étude du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) menée en 2018, La France possède un important potentiel de production de lithium, principalement dans les massifs granitiques de Bretagne et du Massif central. 41 sites de roches dures propices ont été recensés dans l’Hexagone (l’extraction géothermale était exclue de l’étude). Plusieurs ont un fort potentiel : Beauvoir (Allier, 320.000 tonnes), Tréguennec (Finistère, 66.000 tonnes), Richemont (Haute-Vienne, 20.000 t), Montebras (Creuse, 20.000 t).

Tous ces sites au passé minier ne pourront pas être exploités, en raison notamment de la nécessaire protection de la biodiversité. Ainsi, celui de Tréguennec est un espace naturel protégé appartenant au Conservatoire du littoral. Le gisement de Beauvoir va cependant être exploité d’autant plus facilement que ce site est une carrière de kaolin utilisée depuis le 19e siècle pour la céramique et détenue aujourd’hui par Imerys, leader mondial des spécialités minérales pour l’industrie. L’impact environnemental est amoindri par le fait qu’il s’agira d’une exploitation souterraine. 34.000 tonnes d’hydroxyde de lithium par an en sortiront dès 2028, de quoi équiper 700.000 véhicules électriques. La durée d’exploitation est de vingt-cinq ans.

Des réserves dans les déserts de sel des hauts plateaux andins

Les autres gisements exploités se trouvent en Amérique latine. Là, 40 % de la production repose sur un tout autre type de structure géologique : les “salars”, c’est-à-dire des déserts de sel. “Ce sont des cuvettes encloses au cœur de la cordillère des Andes où, pendant des millions d’années, des formations salines ont recueilli du lithium provenant de l’érosion des roches par l’eau. À 4000 mètres d’altitude, la forte évaporation produit naturellement les plus fortes concentrations au monde, atteignant dans le gisement chilien de l’Atacama près de 1,2 gramme de lithium par litre de saumure”, explique Fabien Burdet, responsable de l’activité lithium chez Eramet, groupe minier métallurgique français.

À partir de ces saumures, Eramet a développé sa propre technologie d’extraction directe du lithium (DLE, pour direct lithium extraction). Ce procédé utilise un adsorbant à base d’alumine, véritable “séparateur à lithium” qui permet ensuite une purification avec des nano-membranes et des systèmes d’osmose inverse, les mêmes qui fonctionnent dans les usines de dessalinisation d’eau de mer. Avantage du DLE : les opérations se font à température ambiante, ce qui diminue la facture énergétique. On n’émet ainsi plus que 50 tonnes de CO2 par tonne produite, mais la consommation d’eau grimpe à 469 m3. Principal producteur latino-américain de lithium, le Chili vient d’imposer les nombreuses formules de DLE pour toute sa production.

Objectif de l’Europe : devenir leader mondial de la production

C’est dans ce contexte de dépendance totale d’autres régions du monde que l’Union européenne a défini dès octobre 2017 un plan pour devenir leader mondial de la production et de l’utilisation des batteries durables, c’est-à-dire neutres sur le plan des émissions de gaz à effet de serre. Cette “alliance pour la batterie européenne” vise une intégration de toute la chaîne de valeur, de l’extraction du minerai au produit fini et à son recyclage en fin de vie. Ce plan se concrétise notamment par la construction d’usines géantes (“gigafactories”) en Europe, dont l’une a été inaugurée le 30 mai dans le Pas-de-Calais. La partie minière a, elle, fait l’objet d’une étude géologique du territoire européen pour des gisements de roches dures.

“En 2018, les ressources européennes sont estimées à environ 52 millions de tonnes d’oxyde de lithium, soit environ 24 millions de tonnes de lithium métallique et les réserves à environ 660.000 tonnes d’oxyde de lithium”, affirme ainsi le BRGM dans son rapport. Pour connaître le potentiel minier des 26 États membres, la Commission européenne a établi une liste de 30 “matières premières critiques”, poussé à une “alliance européenne pour les matières premières” dont la première tâche est de recenser les projets miniers d’ici à 2025.

De son côté, le 31 mai dernier, le constructeur automobile Stellantis (qui englobe 16 marques dont Chrysler, Fiat, Peugeot, Citroën ou Opel) a annoncé un partenariat avec Vulcan Energy pour exploiter une nouvelle voie, moins connue mais très prometteuse : les saumures géothermales du bassin rhénan, ressource qui est également en cours d’étude par l’alliance d’Eramet avec le producteur et distributeur local d’énergie Électricité de Strasbourg. “La haute vallée du Rhin, entre Mulhouse en France et Mannhein en Allemagne, bénéficie d’une structure géologique particulière très rare sur la planète : des saumures présentes entre 3 et 4 kilomètres de profondeur , s’enthousiasme Vincent Ledoux-Pedailles. Cette saumure est utilisée pour produire de la chaleur et de l’électricité renouvelable. Or, les teneurs en lithium y sont importantes, aussi nous ambitionnons de capter ce lithium avant de réinjecter la saumure dans sa couche d’origine” . Avec une seule opération de forage, les exploitants vont ainsi obtenir deux productions différentes.

Créé en 2018, Vulcan Energy ne revendique aucune innovation. Ses fondateurs ont simplement constaté une voie vertueuse de production de lithium. La saumure arrive à la surface à une température de 165 °C. L’épuration complète du lithium selon la version DLE utilisée par l’entreprise nécessite 65 °C de chaleur. Ainsi, le partage s’opère entre les fonctions de production d’énergie géothermale et l’épuration du lithium. Vulcan Energy revendique un lithium “zéro carbone”. “Selon l’estimation du gisement, nous pensons pouvoir produire de quoi fournir un million de véhicules électriques en batteries par an d’ici à 2030”, assure Vincent Ledoux-Pedailles. Vulcan Energy a déposé, dans la région de Mulhouse, une demande de licence exclusive pour sécuriser une zone de 480 km2 pour l’exploration du gisement de saumure de la haute vallée du Rhin.

C’est cette même couche géologique que vont exploiter Eramet et Électricité de Strasbourg sur des sites différents. L’accord signé en janvier procède du mariage de deux compétences. Électricité de Strasbourg apporte sa maîtrise des forages géothermaux pour produire électricité et chaleur renouvelables sur son site de Rittershoffen (Bas-Rhin). Eramet fournit son DLE qui est actuellement testé en configuration industrielle sur le site de Centenario en Argentine. “Cette usine de Centenario qui ouvrira en 2024 va ainsi produire 24.000 tonnes d’hydroxyde de lithium, de quoi équiper 500.000 véhicules électriques avec une empreinte écologique réduite, même si nous ne pouvons pas à ce stade affirmer que nous serons ‘zéro carbone’”, détaille Fabien Burdet, qui se veut plus prudent que Vulcan Energy.

Un véritable coup de chance géologique

Le projet rhénan est plus modeste avec une production envisagée de 10.000 tonnes. L’exploitation géothermale de la vallée du Rhin ne bénéficie donc pas des concentrations records des salars d’Amérique latine, mais elle constitue malgré tout un véritable coup de chance géologique. “Il n’existe véritablement que deux sites dans le monde où les saumures géothermales sont riches en lithium et sont donc exploitables, l’autre étant situé en Californie”, pondère Vincent Ledoux-Pedailles. Cette ressource nouvelle va en tout cas s’ajouter à la production en roches dures.

L’Europe pourra-t-elle être un jour réellement indépendante en lithium ? Difficile à dire. Cela dépend de la richesse de gisements qui ne sont pas encore totalement évalués, et les ressources ne sont pas connues. Cette autonomie est aussi tributaire des taux de recyclage des batteries usagées. Et cela tient également aux changements dans les besoins de mobilité des Européens. Si la demande continue de s’établir à 15 millions de voitures individuelles par an, telle qu’elle était avant la crise du Covid-19, elle sera trop forte pour les capacités d’extraction. Le secteur des transports ne deviendra pas neutre en carbone simplement en changeant les moteurs thermiques par des électriques. Il faudra aussi réduire le nombre de véhicules en circulation.

La nécessité de recycler davantage

Le 17 août est entrée en vigueur la nouvelle réglementation sur le recyclage des batteries. Le texte trace une trajectoire d’ici à 2030 que les 26 États membres vont devoir respecter. Le taux de collecte pour les batteries et piles portables doit ainsi passer de 45 % en 2023 (la France y est presque avec un taux de 41 %) à 63 % d’ici à 2027 et 73 % d’ici à 2030. Les batteries des vélos, trottinettes, scooters gyroscopes électriques, qui jusqu’ici n’étaient soumises à aucune obligation, devront être recyclées à 51 % en 2028 et 61 % d’ici à 2031.

Mais il existe toujours plusieurs types de batteries : si les accumulateurs au lithium comptent aujourd’hui pour 63 %, il reste 25 % de piles alcalines. L’objectif final est de récupérer 50 % du lithium d’ici à 2027 et 80 % d’ici à 2031. Les matériaux recyclés devraient resservir à faire des batteries, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui pour des raisons de pureté. Aussi, les objectifs de seuil minimum de contenus recyclés provenant des déchets de fabrication et de la consommation dans les batteries neuves sont-ils modestes : 15 % pour le nickel, 12 % pour le lithium, 26 % pour le cobalt en 2030. La Commission européenne estime que 31 % de la production de lithium pourrait dans les décennies à venir provenir du recyclage.

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