Saint-Louis, symbole de l’explosion du diabète au Sénégal

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Saint-Louis, symbole de l’explosion du diabète au Sénégal
Saint-Louis, symbole de l’explosion du diabète au Sénégal

Africa-Press – Senegal. Médecins et associations tirent le signal d’alarme sur une flambée du diabète dans le pays. Entre mauvaises habitudes alimentaires, manque d’informations et réponse politique trop molle, reportage à Saint-Louis où une étude a mis en lumière la gravité de la situation.

« Une bombe à retardement ». Assis dans son bureau, au rez-de-chaussée d’un bâtiment colonial décrépi typique de l’île de Saint-Louis, Amadou Diop, le président de l’Association sénégalaise de soutien aux diabétiques (Assad) de l’ancienne capitale du Sénégal peine à cacher son inquiétude.

Diagnostiquée… en voulant aller à La Mecque

« Dans notre permanence, nous recevons chaque jour une vingtaine de visiteurs en quête de renseignements. Et ce nombre ne fait que croître », regrette-t-il, tandis qu’un des 32 bénévoles de l’association dans le département va chercher dans la petite armoire à pharmacie un glucomètre pour Fama Sow. « J’ai été diagnostiquée en 2018, en faisant des analyses sanguines obligatoires pour faire le pèlerinage à La Mecque ».

« Je ne connaissais pas le diabète et ne me doutais pas que mon taux de glucose était trop important », ajoute cette ancienne commerçante de 71 ans, qui a depuis banni le sucre et l’huile de sa son alimentation. Il lui a fallu cinq ans pour pousser la porte de l’Assad et venir « chercher de l’aide ».

Grâce à sa carte de membre à 1 500 francs CFA (2,25 euros), elle a bénéficié d’une réduction sur l’achat du glucomètre (7 500 francs CFA), mais aussi de la convention de l’association avec l’hôpital régional de Saint-Louis qui permet de bénéficier de 50 % de réduction sur une consultation avec un spécialiste (5 000 francs CFA) et d’analyses biologiques (10 000 francs CFA).

Un fléau

« Le diabète : éduquer pour protéger l’avenir. » À l’image d’une des nombreuses affiches posées sur le mur de l’association créée en 2005, Amadou Diop le concède, « notre plus gros combat est de relever le niveau de connaissance ». La maladie – chronique – se déclare lorsque le pancréas ne produit pas suffisamment d’insuline, ou si l’organisme n’est pas capable d’utiliser efficacement l’insuline qu’il produit.

« Un fléau » qui dispose d’un écho bien particulier à Saint-Louis où une étude de la faculté de médecine de l’université Gaston-Berger a mis en lumière une réalité inquiétante. Dans le département de la ville tricentenaire, 15,95 % des 330 000 habitants seraient atteints de diabète, soit cinq fois plus que ce qu’indiquait la dernière étude du ministère de la Santé, qui décelait 3,2 % de diabète dans la population sénégalaise en 2015.

À cause du tiéboudiène ?

Ce chiffre alarmant, le président de l’association de soutien aux diabétiques préfère l’interpréter comme « une chance de quantifier ce problème de santé publique » causé par l’augmentation de l’obésité, de la sédentarité et de mauvaises habitudes alimentaires. « Les gens mangent trop gras, trop salé, trop sucré », ajoute-t-il, n’hésitant pas à mettre sur le banc des accusés le plat national, le tiéboudiène.

« Il est cuisiné avec trop d’huile, des bouillons cubes et le riz qui constitue sa base a un indice de glycémie élevé ». Les boissons comme le café touba ou le thé ataya, consommées avec une grande quantité de sucre sont également dans le collimateur des médecins.

Pour faire face au problème, l’association réclame au ministère de la Santé la création d’une unité dédiée à la prise en charge du diabète à Saint-Louis, comme celles qui existent déjà du côté de Ziguinchor, Thiès ou Dakar. « Aujourd’hui, certains des malades doivent faire 500 kilomètres pour se rendre au centre le plus proche. Nous devons avoir un centre médical avec toute la prise en charge et un fichier diabétique sur place pour soulager l’hôpital régional situé à deux rues de là. »

Caroline Garrick Ngouamba, la vice-présidente de l’Assad, connaît par cœur ce labyrinthe en surrégime où elle accompagne régulièrement des diabétiques. « J’ai moi-même découvert que j’étais atteinte lorsque j’étais enceinte de mon quatrième et dernier enfant, qui pesait 5,5 kg à la naissance. Je n’avais jamais entendu parler d’insuline avant ça. » Devenue experte de la maladie, elle essaie de la faire connaître. « Un travail compliqué lorsque huit personnes sur dix n’en ont jamais entendu parler. »

Dans son bureau, le docteur Blaise ne peut que constater les dégâts. « La situation est grave, car les symptômes principaux du diabète, à savoir l’amaigrissement, la fatigue ou l’envie d’uriner souvent sont difficiles à voir. » Il estime que près de 50 % des patients qu’il reçoit à l’hôpital ont un problème de diabète et l’ignorent. « Mais on fait de notre mieux face à cette maladie qui nécessite la mobilisation de différents services selon les complications des patients : cécité, problèmes rénaux, et les amputations de membres inférieurs. »

Amputé à cause d’une banale plaie au pied

Au sud de l’île de Saint-Louis, Pape Ousman Diop a fait partie des trois amputés hebdomadaires de l’hôpital causés par le diabète. « Je me suis fait une plaie banale au pied au travail. Comme j’étais en forme et sans surpoids, je n’ai pas traité cette blessure, pensant qu’elle cicatriserait. Mais, le diabète m’a attaqué », souffle le pompiste de 58 ans, allongé sur le lit qu’il ne quitte que très rarement depuis janvier 2023. « En une semaine, la plaie s’est infectée et, à cause de la gangrène, on a dû m’amputer au genou. »

Immobilisé depuis, Pape Ousman Diop est confronté à la réalité d’une maladie qui coûte cher dans un pays où le salaire moyen dépasse difficilement les 200 euros par mois. « Entre les analyses, les soins et l’alimentation, j’en ai pour 120 000 francs CFA (183 euros) par mois, alors que je ne peux plus travailler et que je ne reçois aucune aide. » Une pression financière que subissent de nombreux patients. Dans une étude, l’Assad estime à 50 000 francs (76 euros) par mois en moyenne les dépenses d’un malade de type 1.

Subventionner l’insuline

« Les politiques ne réalisent pas l’ampleur du phénomène, regrette le docteur Blaise. Les besoins sont multiformes : sensibiliser, développer le suivi et les données, former des spécialistes et changer les mentalités sur une maladie encore vue comme étant un problème de riches alors qu’elle se propage sur tout le continent ». Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 24 millions d’Africains étaient atteints de diabète en 2021 et 416 000 en seraient morts.

L’agence des Nations unies prévient que la maladie pourrait devenir l’une des principales causes de décès sur le continent à la fin de la décennie si rien n’est fait. Au Sénégal, le président de l’Assad, Baye Oumar Gueye, sent « un frémissement des autorités qui subventionnent l’insuline – à 800 francs CFA le flacon de 10 ml, elle est l’une des moins chères d’Afrique – et organise des colloques sur ce défi de société énorme ». Et il prévient : « Sans prise de conscience rapide de l’ampleur de la pandémie, le diabète et ses conséquences seront néfastes sur toute la productivité économique du pays. »

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