Thyroïde : alerte aux traitements inutiles

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Thyroïde : alerte aux traitements inutiles
Thyroïde : alerte aux traitements inutiles

Africa-Press – Senegal. C’est une toute petite glande en forme de papillon de quelques centimètres pesant environ 20 grammes. Elle est pourtant une clé de voûte de notre organisme. Il y a tout juste six ans, la thyroïde ou plutôt les hormones qu’elle sécrète étaient au cœur de la fameuse “affaire” du Levothyrox. Une nouvelle formule du médicament modifiant l’un de ses constituants – un excipient, pas le principe actif – avait été le point de départ d’un véritable imbroglio sanitaire et judiciaire.

Parfois en effet, tout se dérègle dans cette structure située juste devant le larynx. Le plus souvent en raison de l’âge, d’antécédents familiaux thyroïdiens ou d’une alimentation carencée en iode. Apparaissent alors au cœur de la glande des nodules. Très fréquents, présents chez une femme sur deux après 50 ans, ils se découvrent soit à la palpation, soit fortuitement lors d’une échographie demandée pour une tout autre raison. Car les signes de dérèglement de cette glande – l’hypothyroïdie ou l’hyperthyroïdie – n’apparaissent que dans 15 % des cas.

Selon leur taille et leur localisation, les nodules peuvent aussi s’avérer plus ou moins gênants (déglutition, parole). Mais en cas de suspicion de malignité et ce malgré un bilan complet (échographie, cytoponction à l’aiguille, parfois scintigraphie), le doute peut persister sur leur nature cancéreuse dans 30 % des cas. Ces situations complexes posent en pratique des questions difficiles de prise en charge. S’il s’agit d’un cancer, est-ce une forme lente ou agressive ? Si un nodule est potentiellement malin mais tout petit, faut-il forcément le retirer ? En sachant que cela expose le patient aux risques secondaires (cicatrice, modification de la voix dans 4 % des cas) ainsi qu’à un traitement substitutif hormonal à vie. Ou bien peut-on se contenter d’une simple surveillance régulière, comme face à certains cancers de la prostate ?

Le signal d’alarme a été tiré dès 2013

Autant de questions qui animent depuis déjà plusieurs années la communauté des endocrinologues, réunie l’automne dernier à Milan (Italie) lors du 45e congrès de l’Association européenne de la thyroïde (ETA, European Thyroid Association). Ces situations complexes ont une conséquence grave: le recours à des chirurgies non essentielles, pratiquées chez des patients dont les nodules auraient pu être laissés en place. On estime que, sur un total d’environ 30.000 ablations (thyroïdectomies) réalisées par an en France pour toutes raisons confondues (cancers, goitres, nodules), 10.000 à 15.000 d’entre elles pourraient être évitées. “Nous sommes face à un problème de santé publique et à un double défi, car il s’agit dans le même temps d’éviter les examens et traitements inutiles tout en ne passant pas à côté d’un cancer à risque de récidive ou de décès “, résume le Pr Françoise Borson-Chazot, endocrinologue à Lyon et coordinatrice d’un récent consensus national, validé depuis sur le plan européen.

Et la spécialiste de poursuivre: “On a beaucoup appris de l’affaire Levothyrox en prenant conscience de la fréquence des traitements inutiles, beaucoup de patients ayant arrêté ces médicaments sans nécessité ensuite de les reprendre. Aujourd’hui, l’heure est clairement à la désescalade, tant pour les examens que pour les traitements.” Dosages d’hormones thyroïdiennes systématiquement demandés quand, en fait, seul compte celui de la thyréostimuline (TSH), échographies prescrites sans nodule décelable à la palpation, bilans préopératoires incomplets (deux sur trois) sans cytoponction permettant pourtant l’analyse précise des cellules du nodule, prises inutiles d’hormones thyroïdiennes au long cours sans dosage préalable de TSH (30 % des cas)… Autant de pratiques pour le moins peu adaptées.

Voilà plus de dix ans que les autorités sanitaires ont tiré le signal d’alarme par le biais d’une étude de la Caisse nationale d’assurance-maladie parue en 2013, qui pointait certains de ces dysfonctionnements. Depuis, la Haute Autorité de santé (HAS) a régulièrement produit différents documents visant à recadrer les pratiques: en 2019, une fiche avec dix messages courts ; puis en 2021, une autre sur la pertinence des examens d’imagerie.

Un ciblage plus fin pour limiter la chirurgie

Mais les habitudes ont la vie dure et les changements toujours longs à mettre en place, le réflexe bistouri étant parfois un peu rapide. À la suite d’un consensus de la Société française d’endocrinologie paru fin 2022, la HAS a, elle, publié en mars 2023 un autre socle complet de recommandations à propos des dysthyroïdies. Soit un document arguant que “la prise en charge et le suivi n’étaient pas toujours optimaux ” et insistant par exemple sur une prise en charge plus adaptée en tenant compte des préférences des patients, sans recours systématique à l’imagerie ou aux traitements. “La chirurgie ne devrait être pratiquée qu’en dernier recours et en présence d’un goitre volumineux compressif ou en cas de suspicion de malignité, ou encore si un traitement par iode radioactif n’est pas adapté, rappelle le Dr Camille Buffet, endocrinologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Déjà, le recours à la thyroïdectomie totale a tendance à reculer au profit de lobectomies partielles, ce qui réduit la fréquence du recours au traitement substitutif hormonal. ” De plus, d’autres techniques se développent, réalisées sous anesthésie locale et n’occasionnant pas de cicatrices, comme la thermoablation.

Par ailleurs, pour limiter au mieux les chirurgies, “la mise au point de tests moléculaires pratiqués lors de la cytoponction est aussi en cours pour sélectionner les nodules suspects à opérer quand l’analyse cytologique [des cellules] ne permet pas de trancher sur la nature bénigne ou cancéreuse du nodule “, précise Camille Buffet. La spécialiste participe également à une étude multicentrique, Mibi-Thyr. Coordonné à Nantes par le Dr Éric Miraillié, ce travail repose sur la scintigraphie, un examen d’imagerie qui, après injection de deux traceurs faiblement radioactifs (iode 123 et Mibi), fournit une image de la glande du ou des nodules douteux. L’objectif est, là encore, de voir si ces traceurs, le Mibi et l’iode 123, permettent de mieux sélectionner les patients à opérer et d’éviter les chirurgies pour des nodules finalement bénins.

Surveiller certains cancers sans recourir à l’iode radioactif

Sur un tout autre versant, médico-économique cette fois, une autre étude, Costimabl2, vient de démarrer à l’institut Gustave-Roussy, à Villejuif (Val-de-Marne). Elle s’inscrit dans la suite des résultats d’un important essai clinique français, Estimabl2, qui a abouti à modifier les pratiques en cours depuis plus d’un demi-siècle en réduisant le recours à l’iode radioactif dans certaines formes de cancers, ceux à faible risque de rechute. Publié en 2022 dans la revue New England Journal of Medicine, il a démontré que, pour ces cancers, les plus fréquents, il était possible de se contenter d’une simple surveillance sans recourir à l’iode. “Avec Costimabl2, en appariant de manière anonyme les données des 776 patients d’Estimabl2 à celles de l’Assurance-maladie, nous devrions confirmer que cette stratégie, en évitant une hospitalisation, est moins coûteuse pour la société “, détaille Isabelle Borget, professeure en économie de la santé en charge de l’étude. Résultats prévus dans deux ans. Des bienfaits de la désescalade donc, tant sanitaires qu’économiques.

L’affaire Levothyrox

Tout a commencé par un simple changement d’excipient. Pour finir par “un sacré cafouillage et surtout un très grand gâchis “, résumait en octobre 2023 à Milan (Italie) Beate Bartès, présidente de l’association Vivre sans thyroïde (VST*). Après avoir, dès le printemps 2017, prévenu le laboratoire et l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), elle n’a cessé de défendre les patients. Car son forum d’information – crée en 2000 à la suite de l’ablation de sa propre thyroïde et traitant de tous les dysfonctionnements de la glande – croulait alors sous des centaines de messages. “Les patients ont été mal informés, pas écoutés, le laboratoire et les autorités ayant eu tendance à minimiser systématiquement leurs plaintes “, se souvient-elle. Avec plus de 10.000 plaintes et 3000 parties civiles, les procédures sont en cours, la date du procès en attente et le mystère toujours entier.

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