Africa-Press – Tchad. Les prix de la majorité des produits alimentaires de base flambent sur le continent, mettant les États, les consommateurs et le secteur privé sous pression. Aucune solution à court terme ne semble satisfaisante.
Le sac de farine de blé de 50 kg passé de 11 000 à 23 000 francs CFA (35 euros) en Côte d’Ivoire, le prix du sucre à la hausse au Sénégal, au Mali et en Mauritanie, le litre d’huile et le kilo de pommes de terre qui flambent en Algérie… Sur les marchés traditionnels comme dans les supermarché, endroits où la majorité des consommateurs africains s’approvisionnent, la facture des courses alimentaires ne cesse de s’alourdir, entraînant des protestations contre la vie chère.
Particulièrement tendue en Afrique du Nord et de l’Ouest, la situation a conduit plusieurs États – Côte d’Ivoire, Sénégal, RDC, Algérie – à prendre un certain nombre de mesures pour protéger le pouvoir d’achat : instauration de prix plafond, suspension des taxes à l’importation ou douanières, baisse de TVA, renforcement des contrôles des tarifs réglementés…
Si cette poussée inflationniste s’inscrit dans une tendance mondiale (+ 28 % en un an pour les prix alimentaires, selon les dernières données de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, FAO) et si elle n’est pas la première à frapper le continent, elle intervient dans un contexte difficile de relance postpandémie et devrait durer, selon les observateurs, une bonne partie de l’année 2022. De quoi compliquer la donne pour l’ensemble des acteurs économiques, ménages, entreprises et gouvernements.
Alerte en Afrique de l’Ouest
Premier constat, ce choc d’inflation alimentaire n’est pas vécu de la même façon partout en Afrique. « Sur l’année 2021, seuls quatre pays ont connu une hausse annuelle des prix à deux chiffres, le Nigeria, l’Angola, la Zambie et l’Éthiopie, souligne David Cowan, économiste en chef Afrique de Citi. En fin d’année, cette inflation alimentaire s’est étendue à la Côte d’Ivoire (avec un taux annuel de 12,2 % en novembre 2021) et au Ghana (12,8 % sur la même période), même si cela a eu un impact différencié sur l’inflation globale (5,6 % en Côte d’Ivoire, 12,6 % au Ghana), reprend-il. Même situation différenciée en Afrique du Nord, avec une hausse des prix portée par une inflation alimentaire à 13,7 % en novembre 2021 en Algérie, niveau identique à celui de 2011-2012, contre 4,4 % au Maroc en décembre. »
Un marché lors du premier jour du Ramadan à Alger (Algérie), le 13 avril 2021. © BILLAL BENSALEM/NurPhoto/AFP.
À gros traits, il est possible de diviser le continent en deux catégories : d’un côté, l’Afrique australe et l’Afrique de l’Est, relativement épargnées, avec une inflation se maintenant entre 2 et 4 % ; de l’autre, le Maghreb et l’Afrique de l’Ouest, plus durement touchés par le phénomène. « Un impact d’autant plus douloureux qu’il intervient à un moment de stagnation voire de baisse des salaires, conséquences de la pandémie, et, dans le cas de la zone CFA, alors que les habitants sont peu habitués à la volatilité des prix », pointe l’économiste de Citi.
La hausse actuelle est beaucoup plus structurelle qu’en 2008 et 2012
De fait, c’est en Afrique de l’Ouest que la situation est la plus préoccupante. « Nous avons eu un signal d’alerte à la fin de 2021 en constatant que la moyenne des prix alimentaires dans la région sur le dernier trimestre était en hausse de 39 % par rapport à la moyenne sur la même période des cinq dernières années », explique Ollo Sib, analyste de la FAO et du Programme alimentaire mondial (PAM) pour l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest, qui se fonde sur les relevés mensuels réalisés dans 1 500 points de vente (marchés traditionnels ruraux et urbains) pour un panier de produits de base (céréales, sucre, huile,…).
Dans certains cas, les hausses sont spectaculaires : + 181 % par rapport à la moyenne quinquennale pour le maïs du bassin Ashanti consommé au Ghana mais aussi au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire ; + 108 % pour le mil de Kidal au Mali, entre + 20 % et + 40 % pour les céréales dans les autres pays de la région. Si l’inflation reste limitée pour le riz – sauf, par exemple, pour celui de Nzérékoré en Guinée dont le prix a bondi de + 50 % par rapport à la moyenne quinquennale – elle touche aussi l’huile (souvent le deuxième poste de dépenses après les céréales), le sucre, les légumes, la viande, le poisson…
Inflation importée
Et, c’est le second constat, cette inflation risque de durer. « En 2008 comme en 2012, le pic de prix n’avait duré que quelques mois. La hausse actuelle est beaucoup plus structurelle. Elle devrait se prolonger au moins jusqu’à la prochaine période de soudure, en août-septembre », avance Pierre Ricau, analyste de marchés chez Nitidae.
Une prévision, largement partagée par les experts, qui s’explique par l’imbrication de multiples facteurs, internes et externes, à l’origine de l’inflation. Sur le plan international, la pandémie de Covid-19 a provoqué une désorganisation des chaînes d’approvisionnement, une hausse du tarif du fret et des difficultés logistiques, tensions qui mettent du temps à se résorber et coûtent cher à des pays africains encore largement importateurs.
L’approvisionnement en engrais est le gros raté de cette période
Cette pression est accrue par l’effet inflationniste global de la reprise de l’économie chinoise, des plans de relance occidentaux et de la flambée du coût de l’énergie, qui touche par ricochets le continent. « Produits alimentaires mais aussi intrants agricoles, fer, carton, plastique, câbles… Difficile de trouver un intrant dont le prix n’ait pas augmenté, la hausse de prix est quasi généralisée », pointe Célestin Tawamba, le patron des patrons camerounais à la tête du Groupement inter-patronal du Cameroun (Gicam), qui déplore « une inflation importée ».
Sur le volet interne, l’état des lieux n’est guère plus reluisant. En Afrique de l’Ouest, les récoltes ne sont globalement pas bonnes, créant un déséquilibre entre l’offre et la demande synonyme de flambée des prix. Ces piètres performances sont dues à une accumulation de conditions défavorables : manque de pluie, cherté et rareté des engrais, difficulté à trouver de la main d’œuvre à cause de la fermeture des frontières, tensions politiques qui entraînent des déplacements de population et la non-culture de terres, sans oublier des budgets étatiques serrés se soldant par un soutien a minima au secteur agricole.
« L’approvisionnement en engrais est le gros raté de cette période. En dehors du Bénin, du Nigeria et de la Côte d’Ivoire, qui s’en sont bien sortis, les autres pays – Mali, Sénégal, Ghana, Burkina Faso, Togo et Niger en particulier – ont peiné à mener leurs appels d’offres dans un contexte de hausse des prix, explique Pierre Ricau. Résultat, plus d’un million de tonnes d’engrais n’ont pas été importées sur le continent, ce qui a réduit les récoltes de cette campagne et aura un impact sur celles de la prochaine. » Avec un fort risque de nouvelles tensions sur les prix.
La filière ivoirienne de l’hévéa a pu se relancer quand celles de l’arachide au Sénégal et en Gambie ont bien marché
« La situation est à la fois plus grave et plus complexe qu’en 2007-2008 puisqu’une amélioration des facteurs externes ne suffirait pas nécessairement à endiguer l’inflation », reprend Ollo Sib, pointant le « risque important qui pèse sur les progrès économiques et sociaux » de l’Afrique de l’Ouest. La surchauffe fait en effet bien peu de gagnants et beaucoup de perdants.
Les grands opérateurs du négoce de matières premières agricoles, les fameux ABCD – ADM, Bunge, Cargill et Louis Dreyfus – ainsi qu’Olam, figurent sans nul doute dans la première catégorie, bénéficiant à la fois de la hausse du prix des produits et du fret. Même s’ils sont plus difficiles à identifier et quantifier, les intermédiaires et les acteurs économiques (formels et informels) adeptes de la spéculation tirent aussi leur épingle du jeu.
Enfin, les producteurs de culture d’exportation (hévéa, huile de palme, coton, arachide), ont eux aussi le sourire, la hausse des cours se traduisant par une croissance de leurs revenus. « La filière ivoirienne de l’hévéa, qui était en crise, a pu se relancer quand celles de l’arachide au Sénégal et en Gambie ont bien marché, note Pierre Ricau. Même chose avec le coton en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso. »
Mais, en dehors de ces acteurs, le constat est amer et les tensions entre secteur privé, consommateurs et États sont croissantes. En témoignent le bras de fer entre autorités, meuniers et boulangers autour de la hausse du prix de la baguette au Cameroun ou encore les pressions de la société civile sur l’exécutif pour défendre le pouvoir d’achat en Côte d’Ivoire et au Sénégal.
D’un côté, les industriels et entreprises, qui voient leurs coûts de production exploser, exhortent les pouvoirs publics à autoriser des hausses de prix, y compris sur les produits de base, sous peine de basculer dans l’informel ou de mettre la clé sous la porte. De l’autre, les consommateurs et citoyens, dont la bourse est mise à mal par la pandémie et ses conséquences, refusent de payer plus, certains menaçant de descendre dans la rue.
2022 sera plus difficile que 2021 pour nombre de consommateurs africains
Entre le marteau et l’enclume, les États choisissent, plus que jamais, de favoriser les derniers au détriment des premiers pour éviter tout nouveau mouvement de type Printemps arabe. Ce qui conduit le secteur privé, souligne le patron du Gicam Célestin Tawamba, par ailleurs à la tête de Cadyst Invest, conglomérat actif dans l’agroalimentaire et l’industrie pharmaceutique, à « procéder à des ajustements de survie face au silence des pouvoirs publics ou à l’insuffisance des mesures prises ».
In fine
, cette crise met en lumière de façon éclatante l’impasse de l’économie politique sur les prix alimentaires. Car, « si le prix de la farine a doublé, comment maintenir au même niveau celui de la baguette ? », interroge Ollo Sib, résumant la position intenable dans laquelle se trouve la majorité des gouvernements. Certains, comme les autorités maliennes, sont largement critiqués pour leur réaction contre-productive : la fermeture des frontières et l’interdiction des exportations de produits agricoles, en renforçant les contrôles officiels et officieux des marchandises, ont tendance à augmenter le coût du transport et donc le prix final sur le marché national.
« Ailleurs, les États ont généralement réduit les taxes à l’importation et/ou diminué la TVA sur les produits agricoles, des mesures qui fonctionnent à court terme mais ne jouent que sur environ 10 % du prix final, expose l’analyste Pierre Ricau. C’est la seule cartouche dont ils disposent. Donc, pour ceux qui l’ont déjà utilisée, que feront-ils à l’approche de la prochaine soudure ? » Cela fait dire à l’économiste de Citi David Cowan que, après une reprise de la croissance en 2021 à un niveau plus élevé que celui anticipé par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, le rythme devrait être plus poussif cette année. « Autrement dit, reprend-il, 2022 sera plus difficile que 2021 pour nombre de consommateurs africains. » Et cela d’autant plus dans un contexte de guerre entre la Russie et l’Urkaine, synonyme de difficultés d’approvisionnement en blé pour nombre de pays africains.
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