Africa-Press – Tchad. L’agence américaine de notation financière va prendre le contrôle de GCR Ratings, son rival panafricain. Une opération qui ouvre un éventail de débouchés stratégiques pour le géant mondial du secteur sur le continent.
La greffe va-t-elle prendre ? La concomitance entre l’annonce de la prise de contrôle de l’agence de notation panafricaine Global Credit Ratings (GCR) par Moody’s au début de février et la polémique, tout juste une semaine après, autour de la note du Ghana par le géant mondial de la notation n’est pas idéale.
L’agence de notation américaine a, en effet, décidé d’abaisser la note de la dette senior non garantie de « B3 » [« hautement spéculative »] à « Caa1 » [« risques substantiels de défaut »]. Moody’s prévoit que les ratios d’endettement du pays continueront à se détériorer à court terme, notamment la dette publique, qui devrait atteindre plus de 80 % du PIB, soit au-dessus du seuil communautaire de 70 %, fixé par la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Une procédure d’appel du gouvernement ghanéen contre cette nouvelle note spéculative est en cours.
En attendant, et en parallèle, Moody’s espère d’ici à la fin du deuxième trimestre de cette année, boucler le rachat de 51 % des parts du leader continental de la notation. Conclue pour un montant non dévoilé, la transaction doit consister, selon nos informations, à la reprise par Moody’s d’une partie de la participation majoritaire du fonds américain Carlyle – au capital de GCR depuis 2017. Moody’s sera également représenté au conseil d’administration de GCR South Africa.
Multi-implantations… en monnaie locale
Loin d’être un débutant en Afrique, puisqu’il y évalue la solvabilité de la plupart des États, Moody’s se renforce sur le continent grâce à cette opération. « Il est intéressant de noter le changement de vision stratégique de l’agence de notation », souligne Stanislas Zeze, PDG de l’agence panafricaine Bloomfield Investment Corporation.
Il poursuit : « Lors de la création de Bloomfield en 2007 et cinq ans plus tard de Wara [rachetée en 2021 par GCR], les deux seules agences de notation agréées en Afrique de l’Ouest francophone, les “Big Three” de la notation internationale ( S&P Global Ratings, Moody’s et Fitch Ratings) n’étaient pas convaincus par l’intérêt des ratings en monnaie locale. À présent, ils y reviennent. »
De fait, devant la pionnière en Afrique anglophone Agusto & Co., les francophones Wara et Bloomfield Investment Corporation, GCR fait figure de leader continental de la notation. Ses activités s’étendent sur l’ensemble du territoire africain par le biais de partenariats ou via ses implantations en Afrique du Sud, au Nigeria, au Sénégal, au Kenya et à Maurice. « En combinant l’expérience de GCR acquise localement avec l’expertise mondiale de Moody’s, nous avons une occasion unique d’étendre la présence de Moody’s dans une région à forte croissance », s’est d’ailleurs félicité Rob Fauber, le PDG de Moody’s, lors de l’annonce de l’opération.
« L’approche de GCR reste focalisée sur l’Afrique et le rating national, ce que Moody’s n’a pas »
Cette acquisition permettra donc à l’agence américaine – actuellement implantée à Johannesburg via Moody’s Investor Services –, de multiplier les points d’ancrage sur le continent. « L’approche de GCR reste focalisée sur l’Afrique et le rating national, avec une présence étendue sur les marchés locaux, ce que Moody’s n’a pas », commente à cet égard Fabrice Toka, ancien de Fitch Ratings et actuel directeur du business development chez GCR.
Juteux marché obligataire
Mais ce n’est pas tout. Le potentiel du marché des obligations souveraines africaines attise aussi les convoitises. Il connaît ainsi une croissance dans certaines régions : dans la zone de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), ce dynamisme se mesure par exemple au travers de la valeur de la capitalisation boursière du marché des obligations, nettement supérieure à celle du marché des actions. Au 31 décembre 2021, pour les huit pays de l’Uemoa, celle-ci représentait plus de 7 200 milliards de F CFA (11 milliards d’euros), contre un peu plus de 6 000 milliards de F CFA pour le marché des actions.
En parallèle, le poids de la dette publique des pays africains par rapport au PIB n’a jamais été aussi élevé depuis vingt ans, aggravé par la crise du Covid-19, selon l’Africa Risk Reward Index publié par les cabinets Control Risks et Oxford Economics. Un vivier pour la poignée d’agences de notations locales et internationales (les « Big Three ») qui exercent leur service sur le continent. Ils pourront se « partager le gâteau » pour satisfaire au besoin des investisseurs attirés par les opportunités en Afrique.
Pas question toutefois pour Moody’s et GCR de n’attribuer qu’une seule et même notation. Les deux agences l’assurent, « chacune conservera sa méthodologie et continuera à émettre ses propres notations ». L’idée est davantage de réaliser un partenariat de type gagnant-gagnant pour noyauter les principales places financières du continent.
« Le principe du rating des entreprises va tendre à se développer sur notre continent »
L’idée aussi, pour le poids lourd international, est de s’offrir l’opportunité de développer son portefeuille de clients entreprises (corporate) – lui qui est plus connu pour noter les États. « Notre portefeuille en Afrique comprend des souverains, des municipalités, des banques, des infrastructures, des services publics et des entreprises », explique-t-on chez Moody’s en ne donnant aucun détail quant à la part des notations souveraines par rapport aux entreprises. Mais pour les observateurs, comme cet expert des marchés financiers, il n’y a nul doute : « Le principe du rating des entreprises va tendre à se développer sur notre continent. Le marché privé semble un axe de développement tangible pour Moody’s. »
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