Africa-Press – Tchad. Le requin-taupe bleu ou requin mako (Isurus oxyrinchus) est connu à ce jour pour être le plus rapide au monde, mais il ne parvient pourtant pas à distancer la surpêche, prisé pour ses ailerons très lucratifs. Placé sur la liste rouge des espèces en danger par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), la situation du requin mako est préoccupante. Ce proche cousin du grand requin blanc est « un grand migrateur, mais aussi l’une des espèces les plus intensément pêchées à travers le monde », explique Mahmood Shivji, auteur principal de l’étude.
Face aux menaces de la surpêche, les chercheurs ont entrepris cette étude pour pallier le manque de données sur cette espèce. Leur objectif: analyser la diversité génétique et le degré de mélange reproductif des populations de requin mako à travers l’Atlantique, afin de mieux comprendre leur dynamique et leur vulnérabilité.
Publiée dans la revue Evolutionary Applications, cette étude a été menée par une équipe de scientifiques dirigée par le Dr Andrea Bernard et le Pr Mahmood Shivji, du Centre de recherche sur les requins de la Save Our Seas Foundation (SOSF-SRC) et du Guy Harvey Institute de l’Université Nova Southeastern, aux États-Unis.
Une diversité génétique étonnante
Pour mener leur étude, les chercheurs ont analysé des échantillons de tissus provenant de 144 requins capturés entre 2004 et 2018 dans six zones de l’Atlantique. Ils ont adopté une approche génomique bi-organelle (structure cellulaire distincte, présente à l’intérieur d’une cellule, qui joue un rôle spécifique dans son fonctionnement), exploitant l’ADN de deux structures cellulaires distinctes: le génome mitochondrial, hérité uniquement de la mère, et le génome nucléaire, transmis par les deux parents.
« Cela confère à chacun des génomes de ces organites des propriétés évolutives différentes qui reflètent des caractéristiques et des histoires génétiques de populations différentes chez le requin mako » car, en combinant ces deux sources d’information, les chercheurs ont pu mieux comprendre la structure et l’histoire génétique de l’espèce.
Les résultats des chercheurs ont levé le voile sur le monde secret du requin mako. D’abord, « l’examen des génomes nucléaires nous indique que les mâles makos diffusent leurs gènes à travers les hémisphères atlantiques. En revanche, les génomes mitochondriaux présentent des caractéristiques génétiques différentes entre l’Atlantique Nord et l’Atlantique Sud », précise le professeur Mahmood Shivji. Ce qui indique donc que les femelles makos (qui transmettent leur ADN mitochondrial via l’œuf) mettent bas dans l’un ou l’autre hémisphère, et “ne traversent pas d’un hémisphère à l’autre pour mettre bas”.
Enfin, l’autre principale constatation est que, « même si la population de makos a fortement diminué en raison de la surpêche, la diversité génétique restante est encore raisonnablement élevée », ce qui indique que “les makos devraient pouvoir s’adapter à l’évolution rapide des conditions océaniques s’ils parviennent à conserver cette diversité génétique et à ne pas la perdre davantage en raison d’autres prévisions démographiques », précise le scientifique. Il s’agit donc d’une bonne nouvelle: « ces poissons peuvent s’adapter ».
En outre, « les résultats montrent que malgré la capacité des makos à voyager sur de très longues distances à travers les hémisphères et à se mélanger, les makos des hémisphères nord et sud de l’Atlantique restent génétiquement différents au niveau de l’ADN mitochondrial. Chacune de ces populations génétiquement différentes doit donc faire l’objet d’une gestion et d’efforts de conservation spécifiquement ciblés afin d’empêcher la perte des propriétés et de la diversité génétiques uniques de la population par la surpêche dans un hémisphère donné. »
Un « optimisme prudent » ?
L’optimisme découle de l’observation étonnante dont les requins makos possèdent probablement encore la diversité génétique requise pour s’adapter et survivre aux changements rapides des conditions environnementales océaniques. La partie « prudente » de cet optimisme vient du fait « qu’il faudra mettre en œuvre et appliquer des mesures de gestion pour empêcher une nouvelle érosion de cette diversité génétique, ce qui nécessitera une réduction substantielle du taux de mortalité par pêche des makos dans l’ensemble de l’Atlantique », précise Mahmood Shivji.
La reproduction sexuelle chez le requin mako est un processus particulièrement lent, ce qui rend cette espèce particulièrement vulnérable à la surpêche, réduisant le nombre de requins avant qu’ils n’aient pu se reproduire. La période de gestation de cette espèce est longue, estimée à 15 à 18 mois avec un cycle de reproduction chez la femelle de trois ans. Si les individus sont capturés avant d’avoir eu la possibilité de se reproduire, cela réduit considérablement les chances de survie de l’espèce, car leur capacité à se renouveler est insuffisante face à la vitesse de la pêche.
La surpêche mondiale des requins pélagiques a déjà mené la plupart des espèces à des niveaux de menace élevés, et la majorité d’entre elles sont aujourd’hui en danger d’extinction. Ainsi, pour assurer leur rétablissement, « une gestion urgente de la conservation est indispensable et sera facilitée par une compréhension génomique approfondie de la biologie des espèces », expliquent les scientifiques. C’est dans cette optique que le professeur Mahmood Shivji et son équipe utilisent actuellement « des méthodes génomiques à haute résolution similaires pour évaluer le statut génétique des populations de requins soyeux, de grands requins-marteaux et de requins-marteaux festonnés », tous classés sur la liste rouge de l’UICN.
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