Africa-Press – Tchad. L’affaire a commencé en février 2023, en pleine transition politique, lorsqu’en conseil des ministres, le Marechal Mahamat Idriss Déby Itno a fait une promesse solennelle, régler une fois pour toutes la question de l’Internet au Tchad. Au cœur de cette ambition, un acteur majeur, Starlink, filiale de SpaceX, qui propose une connectivité par satellite capable de couvrir l’ensemble du territoire, y compris les zones les plus reculées.
Derrière cette ouverture, un homme jouait alors les intermédiaires, Abakar Manany, conseiller spécial du chef de l’État à l’époque. C’est lui qui avait facilité les premiers échanges entre N’Djamena et Ben MacWilliams, directeur de l’accès au marché chez Starlink. Ce dernier avait même été reçu par le Marechal Mahamat, qui lui avait personnellement assuré de sa volonté de voir Starlink s’implanter dans le pays.
Mais rapidement, le dossier ralentit. Manany tombe en disgrâce, entre en conflit ouvert avec le régime, et le projet s’enlise. L’ex-conseiller, depuis son exil, insinue même que les blocages sont liés à sa querelle avec le pouvoir. Faux, rétorquent plusieurs sources proches du dossier, “les discussions n’ont jamais cessé, mais elles ont été complexes et âprement négociées” nous dit l’une d’elles.
Qu’est-ce qui bloque? La question sécuritaire
Point d’achoppement, les exigences sécuritaires de l’État tchadien. N’Djamena voulait des garanties claires en cas de nécessité, les autorités devaient pouvoir compter sur la collaboration de Starlink. Un point sensible, tant la technologie de l’opérateur échappe aux mécanismes classiques de contrôle, permettant une connexion indépendante, sans passer par les infrastructures locales.
Les négociations ont duré des mois, mais Dr Boukar Michel, ministre des Télécommunications et de l’Économie numérique, a tenu bon. Jeudi 13 mars, lors de l’annonce officielle, il a été sans ambiguïté, “Starlink a accepté de collaborer pleinement avec les autorités.”
Reste à savoir jusqu’où ira cette collaboration. Du côté des consommateurs, on craint que cela ouvre la porte à des écoutes ou coupures Internet arbitraires, comme celles régulièrement imposées par le gouvernement en période de tension. Une accusation balayée par le ministre, “En cas de nécessité impérieuse, l’État prendra ses responsabilités.”
Les lobbys télécoms en embuscade
L’autre frein du dossier, moins visible mais tout aussi nocif, était la résistance des opérateurs télécoms locaux. Habitués à contrôler le marché et à influencer la régulation à leur avantage, ces mastodontes ont tout tenté pour bloquer l’arrivée de Starlink.
En cause, un modèle économique qu’ils ne peuvent ni concurrencer, ni manipuler. Contrairement aux opérateurs traditionnels, qui négocient leur bande passante avec l’ARCEP et passent sous les fourches assassines de l’administration, Starlink fonctionne de manière autonome. Impossible de lui imposer des taxes cachées, de le ralentir ou de le racketter.
Plusieurs sources assurent que des pressions ont été exercées jusqu’au dernier moment pour empêcher la signature de l’accord. Peine perdue, le Maréchal était determiné, soutenant son ministre contre toutes les velléités de blocage. “Sans la volonté et la détermination du Chef de l’État, le ministre n’aurait jamais pu aller jusqu’au bout”, confie un proche du dossier.
Un pari historique
En actant l’arrivée de Starlink, le ministre Dr Boukar Michel récidive. Déjà en 2018, il avait été l’artisan de la loi 036, qui libéralisait le secteur de l’énergie, ouvrant la voie aux investisseurs privés et mettant fin au monopole d’État. Cette fois, il s’attaque à un autre bastion stratégique, le marché des télécommunications.
Le pari est osé, mais s’il réussit, il marquera une étape décisive dans la modernisation de l’économie tchadienne. D’ici deux mois, si tout se passe comme prévu, les Tchadiens pourront enfin bénéficier d’un Internet stable, sans coupures, sans congestion, et sans intermédiaires. Un coup de poker réussi, mais qui pourrait bien redessiner les rapports de force dans le secteur numérique tchadien. Les jours à venir s’annoncent décisifs.
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