Africa-Press – Togo. Imaginez-vous être pris de quintes de toux quotidiennes depuis plus de huit semaines et parfois même des années jusqu’à en avoir parfois la respiration coupée. Un enfer… Sans compter que depuis le Covid-19, tousser dans un lieu public est devenu hautement suspect et s’accompagne rapidement de regards soupçonneux.
Si une toux chronique ne doit jamais être banalisée afin de ne pas passer à côté d’une éventuelle pathologie grave (telle une tumeur pulmonaire évolutive), les spécialistes réunis lors des 4es Rencontres de la toux, en décembre 2023 à Vanves (Hauts-de-Seine), ont aujourd’hui un message clef à faire passer: « Ne plus considérer la toux chronique uniquement comme un symptôme mais comme une maladie « , insiste l’organisateur des journées, le Pr Laurent Guilleminault, pneumologue au CHU de Toulouse, où se trouve la seule consultation hospitalière à lui être consacrée. « Il est urgent d’améliorer la prise en charge de ces patients souvent désemparés, dont la vie peut devenir incroyablement pénible et compliquée « , renchérit le Dr Danielle Brouquières, pneumologue-allergologue à l’hôpital Larrey, à Toulouse.
Mais qu’est-ce que tousser ? C’est d’abord un réflexe naturel de protection des voies respiratoires, caractérisé par l’expulsion violente (et bruyante) de l’air contenu dans les poumons. Cela commence souvent par une sensation de gêne dans l’arrière-gorge. Puis c’est l’emballement. Et, selon les cas, survient soit une toux grasse (dite productive, avec besoin de cracher) soit une toux sèche. Si « la première est impossible à empêcher et doit même être encouragée, car elle permet l’évacuation du mucus encombrant les bronches « , précise Caroline Coudière (orthophoniste, Toulouse), la seconde peut très vite devenir une source d’inconfort et de gêne. Surtout, bien sûr, si elle s’éternise.
Lorsque les voies aériennes sont irritées ou obstruées, un message est envoyé au cerveau qui le répercute sur l’ensemble du système respiratoire. La glotte se referme, le diaphrame remonte et l’air comprimé dans les poumons est éjecté en produisant un son au contact des cordes vocales. Crédit: BRUNO BOURGEOIS
Heureusement, le plus souvent, une toux dure moins de trois semaines, en lien avec une infection virale ou bactérienne. Mais elle peut devenir chronique, un seuil arbitraire ayant été fixé à une durée de plus de huit semaines. On estime que sa prévalence serait en France de 4,8 % et elle est liée à une exposition au tabac, à un asthme, à un reflux gastro-œsophagien, à une sinusite, ou encore à la prise de certains médicaments utilisés dans l’hypertension (sartans, inhibiteurs de l’enzyme de conversion).
Mais parfois, aucune cause n’est trouvée, et ce malgré une exploration médicale approfondie (pneumologie, ORL, gastro-entérologie…). « On parle alors de Tocri, pour toux chronique réfractaire aux traitements ou inexpliquée, une affection qui concerne 0,3 % de la population, soit environ 200.000 personnes en France « , détaille Laurent Guilleminault. Les patients concernés se voient alors prescrire des molécules non spécifiques comme des antalgiques, des antidépresseurs ou de la morphine, en association le plus souvent avec une rééducation (orthophonie, kinésithérapie). Et s’il est toujours possible d’avoir recours à des techniques dites SOS pour enrayer les quintes, « il n’existe à ce jour aucun traitement ayant une autorisation de mise sur le marché dans la toux chronique « , précise le spécialiste.
Contrer la toux d’irritation
Comment bloquer une toux d’irritation ? Plusieurs techniques existent, comme celles des trois sniff (bouche fermée, trois inspirations rapides par le nez puis expiration lente par la bouche, lèvres pincées, à répéter trois à cinq fois d’affilée) ou de la respiration lente avec une paille fine. « Ces pratiques sont efficaces pour enrayer les quintes « , précise Caroline Coudière, orthophoniste à Toulouse. Tout comme l’automassage externe du larynx, la déglutition d’eau ou avec un bonbon, par exemple au menthol, dont la particularité, par son action sur certains récepteurs, est d’augmenter le seuil de réflexe de la toux et donc de diminuer les accès de toux. Mais l’effet n’est que de courte durée. Et dans tous les cas, il ne faut pas oublier de bien s’hydrater, les cordes vocales apprécieront.
Respirer lentement avec une paille permet stopper la toux. Crédit: BERNARD MARTINEZ POUR SCIENCES ET AVENIR LA RECHERCHE
Pour ces « patients Tocri », tout se passe un peu comme si « le réflexe initial de protection des voies aériennes avait la particularité, selon des mécanismes précis que l’on ignore encore, de s’exacerber et de devenir pathologique « , poursuit le pneumologue. Avec pas moins de quatre sociétés savantes*, il a piloté la rédaction des recommandations nationales de prise en charge de la toux chronique, qui viennent d’être publiées fin 2023. Un texte très attendu car rien n’avait été actualisé depuis vingt ans. Il valide d’une part le concept de Tocri et formalise, d’autre part, un algorithme de prise en charge pour les médecins confrontés à leurs patients tousseurs.
Évaluer la sévérité sur une échelle de 1 à 10 comme pour la douleur
« Pendant longtemps, on s’est contenté de dire à ces tousseurs chroniques, dont la qualité de vie peut être très altérée (troubles du sommeil, fatigue, maux de tête, incontinence, douleurs musculaires, syncopes et parfois fractures de côtes), que tout se passait ‘dans leur tête’, détaille Danielle Brouquières. Or, en pratique, c’est nettement plus compliqué, ces patients devenant avec les années hypersensibles à différents stimuli comme la parole ou le rire. »
Pour mieux prendre en charge ces tousseurs hypersensibles, les pneumologues réunis en décembre dernier estiment qu’il faudrait que les médecins ne se contentent pas du simple « Vous fumez ? vous toussez ? » et évaluent précisément la sévérité d’une toux – tout comme pour une douleur – sur une échelle de 1 à 10. De quoi ouvrir la voie à une recherche des causes du déclenchement initial, certes au prix d’un interrogatoire complet pouvant nécessiter une demi-heure de consultation. « C’est important pour ces patients souvent en longue errance thérapeutique entre pneumologue, ORL, gastro-entérologue et psychiatre de voir poser enfin un mot sur leur pathologie « , pointe Danielle Brouquières.
Une molécule commercialisée au Japon et en Suisse
Quant à l’origine même de la toux, il faut savoir qu’elle est provoquée par l’irritation de nombreux récepteurs, tant mécaniques que chimiques, présents à la surface de cellules et de certaines fibres nerveuses issues du nerf vague – le plus étendu des nerfs crâniens – et répartis dans différentes zones du corps. Ce sont eux qui transmettent au cerveau le message permettant de fermer la glotte, notamment face à un corps étranger (la cacahuète avalée de travers) qu’il faut expulser rapidement pour éviter la fausse route, provoquant une toux aiguë. D’autres récepteurs (dits TRPA1V1) réagissent, eux, à un environnement inflammatoire. Bloquer leur action pour contrer le réflexe de toux a d’ailleurs été un temps envisagé. Mais les tests prometteurs sur l’animal n’ont pas confirmé leurs résultats une fois évalués chez l’humain.
Aujourd’hui, différents laboratoires (Merck, GSK, Bayer) ciblent d’autres récepteurs, dits P2X3, présents dans les muqueuses des voies respiratoires et intervenant dans le déclenchement et l’entretien de la toux. Des études cliniques avec des molécules bloquant ces récepteurs auprès de plus d’un millier de patients ont permis de réduire significativement (de 25 %) la fréquence de la toux des participants aux essais. Des résultats encourageants, publiés en 2022 dans la revue The Lancet.
Malgré quelques effets indésirables (essentiellement des troubles réversibles du goût), la molécule a été commercialisée en Suisse et au Japon. Son arrivée sur le marché américain était initialement prévue pour le début de 2024, mais, dans les tout derniers jours de décembre, l’autorité sanitaire américaine, la Food and Drug Administration, n’a finalement pas donné son autorisation et a demandé des mesures complémentaires. Pour le moment, il n’y a pas eu de démarche d’autorisation en Europe.
Une toux parfois annonciatrice d’une maladie génétique rare
D’autres molécules (campilixant, eliapixant, sivopixant…) sont également en phase de test sur ces P2X3. « La vision actuelle de la Tocri nous permet d’envisager deux mécanismes, explique Laurent Guilleminault. D’une part, l’excès de sensibilité des récepteurs de la toux, et, d’autre part, une dysfonction du larynx. Mais nous manquons d’outils de diagnostic pour explorer cet organe. » C’est qu’il n’est pas simple d’investiguer et de quantifier les efforts produits pendant une toux.
Lors de la mise au point d’essais cliniques et dans le cadre uniquement de protocoles de recherche, les équipes ont parfois recours à des capteurs portables. Un peu comme pour enregistrer la tension artérielle sur 24 heures. Mais ici, tout se passe avec un algorithme intégré dans le capteur capable de mesurer durant 24 heures la fréquence et l’intensité des accès de toux, avec, pour certains dispositifs, un micro intégré. Des mesures qui manquent toutefois encore de précision.
En parallèle des travaux sur les pistes thérapeutiques, d’autres, de génétique cette fois, ont conduit les médecins à s’intéresser à un étrange syndrome. Baptisé Canvas (Cerebellar ataxia with neuropathy and vestibular areflexia syndrome), il s’agit d’une maladie génétique nouvellement découverte, où curieusement la toux précède de plusieurs dizaines d’années l’apparition de symptômes neurologiques (perte d’équilibre, manque de coordination des mouvements). « On estime actuellement que cette maladie, initialement considérée comme rare, serait aussi fréquente que la mucoviscidose « , avance le Dr Anne-Sophie Lia, de l’unité de recherche Neurit à l’université de Limoges.
C’est une équipe anglaise, qui, en 2019, a révélé l’existence de l’anomalie génétique située au niveau du gène RFC1 en lien avec le syndrome Canvas. « Dès 2020, avec le service de biochimie et de génétique du CHU de Limoges et les Dr Pauline Chazelas et Corinne Magdelaine, nous avons mis au point un test sanguin de diagnostic pour que les spécialistes puissent le proposer à leurs patients tousseurs, détaille Anne-Sophie Lia. Nous avons depuis démontré dans une cohorte de 68 patients Tocri que 17 % présentaient un Canvas. »
Il n’est pas sûr toutefois, comme le pointaient certains spécialistes lors du colloque de décembre dernier, que tous les patients Tocri aient envie de se faire tester et savoir s’ils développeront à terme cette affection qui fait partie des neuropathies dites sensitives. Car à ce jour, aucun traitement n’existe face au Canvas. En attendant, c’est une raison supplémentaire de définitivement considérer la toux chronique comme une maladie.
* Société de pneumologie de langue Française (SPLF), Société nationale française de gastro-entérologie (SNGE), Société française d’oto-rhino-laryngologie (SFORL), Société française de phoniatrie et de laryngologie (SFPL).
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