Africa-Press – Togo. À l’occasion du symposium « IA et Santé mentale » de l’université de Caen, s’étant déroulé les 29 et 30 janvier 2024 et réunissant une vingtaine de chercheurs et médecins de plusieurs pays, Ghilès Mostafaoui, maître de conférence en informatique, à l’université de Cergy, a présenté les avancées des travaux qu’il mène avec son équipe à l’Université de Cergy. Leur recherche s’axe sur la coordination interpersonnelle chez les patients schizophrènes, notamment dans l’interaction humain-robot.
Qu’est-ce que la schizophrénie ?
Le DSM 5 (manuel de diagnostic faisant référence dans le domaine de la santé mentale) définit la schizophrénie par la présence d’au moins deux des symptômes suivants sur une période supérieure à six mois: délires, psychoses, hallucinations, retrait social, difficultés cognitives, affectivité lisse et parole désorganisée. Cette pathologie affecte environ 1 % de la population, une prévalence non négligeable.
Le diagnostic se fait par un professionnel de santé mentale au cours d’un entretien: il s’agit la plupart du temps d’un simple échange mais il est possible d’utiliser des tests plus codifiés à l’instar du test de Rorschach (le fameux test des taches d’encre). Il existe des recherches qui permettent d’assister cette phase de diagnostic par de l’intelligence artificielle afin de pouvoir détecter le trouble avant l’apparition de psychose.
C’est notamment le cas de Christophe Lemey, chef de clinique au CHU de Brest, et son équipe qui étudient la possibilité d’analyser automatiquement le discours pour y déceler des signes indiquant des risques de schizophrénie.
Les coordinations motrices
Les travaux de l’équipe de Ghilès Mostafaoui rentrent dans le cadre de l’étude des coordinations motrices. Celles-ci se classifient en trois catégories.
Premièrement, la coordination intrapersonnelle, qui inclut les mouvements du corps afin d’effectuer une tâche. Ce peut être le fait de déplacer chaque tronçon du bras pour attraper un verre d’eau et l’apporter à la bouche par exemple.
Deuxièmement, la coordination interpersonnelle qui englobe les mouvements faits en interaction avec d’autres individus. Comme le rythme de marche qu’on adapte pour pouvoir marcher à proximité des autres.
Enfin, la coordination extra-personnelle, c’est-à-dire relative à des stimuli non-humains. Il peut s’agir de danseurs se calant sur une musique ou bien un musicien sur le tempo d’un métronome.
Découvrez notre interview vidéo de Ghilès Mostafaoui dans la vidéo ci-dessous.
Le cas particulier de la coordination interpersonnelle
Le travail présenté par M. Mostafaoui s’axe sur la coordination interpersonnelle pouvant être altérée chez les personnes schizophrènes. Cette coordination peut être une synchronisation (la marche au pas par exemple) ou bien un entraînement (le fait de reproduire un geste ou une position, comme le bâillement).
Des études antérieures ont montré que les synchronisations peuvent se faire de manière non-intentionnelle. Pour reprendre l’exemple de la marche: sans faire d’effort, des personnes marchant en groupe finissent par poser le pied au sol en rythme tel un unisson de pas.
Cette synchronisation peut se faire de manière bidirectionnelle (les deux s’adaptent) ou unidirectionnelle (un seul individu s’adapte). Lorsque la coordination est unidirectionnelle, des problèmes relationnels apparaissent. Et un manque d’adaptabilité dans la synchronisation est signe d’un déficit social (pouvant être constaté chez les patients schizophrènes).
L’emploi d’un robot comme outil
Pour caractériser les coordinations interpersonnelles chez le patient atteint de schizophrénie et chez les individus qui ne souffrent pas de ce trouble, l’équipe de Ghilès Mostafaoui a employé un robot humanoïde (modèle NAO). Ce dernier est un agent simple, il n’a pas de mouvement parasite (hochement de tête, parole…). Cette simplicité permet de déterminer les véritables paramètres en jeu dans les déficits sociaux des schizophrènes.
Robot NAO, identique à celui utilisé par Ghilès Mostafaoui dans son expérience, agitant la main. Crédits: Anonimski, via Wikimedia Commons
Bien qu’il faudrait à proprement parler de coordination extra-personnelle, le robot est programmé, à l’aide d’un réseau de neurones oscillants, pour pouvoir s’adapter à la personne en face de lui et simule donc une coordination interpersonnelle.
Le protocole de recherche se découpe en trois étapes. Dans chacune d’entre elles, le sujet doit faire un mouvement (lever de bras ou squat) à son rythme, on ne lui demande pas en particulier de se synchroniser. Lors de la première étape, le mouvement est fait par le sujet seul et le robot ne fait rien, cela permet d’analyser la fréquence préférentielle pour le mouvement particulier.
Lors d’un second passage, le sujet reproduit le protocole, mais le robot est cette fois-ci en mouvement. Il y a deux cas possibles, non indiqués au sujet: le robot peut soit être à une fréquence fixe calquée sur le premier passage ou bien s’adapter en temps réel à la fréquence mesurée à l’aide de caméras. Cela permet de distinguer les cas de coordinations unidirectionnelle et bidirectionnelle.
Une synchronisation avec le robot
Les résultats montrent que dans les deux cas, avec le robot effectuant le mouvement, les sujets (sains et schizophrènes) se synchronisent avec le robot humanoïde. Pour le mouvement complexe (le squat), les schizophrènes se synchronisent un peu moins, mais l’écart est trop faible pour en tirer une quelconque interprétation significative.
Il a cependant été noté que la coordination intrapersonnelle lors du mouvement était altérée pour les patients schizophrènes. Cela n’est probablement pas lié directement au trouble, mais peut-être à un manque d’activité sportive régulière.
Il est également plus compliqué pour les sujets schizophrènes de percevoir les adaptations et synchronisation (si le robot se synchronise ou si le sujet se synchronise). Cette difficulté n’est, selon le chercheur, pas nécessairement intrinsèque à la pathologie. Elle peut venir d’un manque d’interactions sociales.
Améliorer la vie des patients schizophrènes
Ghilès Mostafaoui précise qu’il serait désormais intéressant d’étudier la possibilité d’utiliser le robot comme un outil de rééducation en poussant progressivement le patient plus loin de son rythme préférentiel.
De plus, ces études permettent de mieux comprendre les problèmes de coordination sociale que peuvent subir les schizophrènes et ainsi améliorer la prise en charge de cette maladie dont la prévalence est non négligeable.
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