Découverte de soldats morts à la frontière romaine

3
Découverte de soldats morts à la frontière romaine
Découverte de soldats morts à la frontière romaine

Africa-Press – Togo. Des travaux sur un terrain de football à Vienne, en Autriche, ont donné lieu à la mise au jour d’une fosse commune datant de la fin du 1er ou du 2e siècle de notre ère, c’est-à-dire de l’époque où les Romains défendaient la frontière de l’Empire contre les incursions des « Barbares ». Ce type de découverte est rarissime, car les Romains avaient adopté la crémation comme rituel funéraire. Mercredi 2 avril 2025, à l’occasion d’une conférence de presse, les autorités culturelles viennoises et les chercheurs impliqués ont détaillé l’état des fouilles et leurs premiers enseignements, très prometteurs, car la fosse contient une centaine de corps, dont des légionnaires romains. Du jamais vu en Europe !

Autriche: découverte exceptionnelle d’une centaine de soldats morts au combat à la frontière de l’Empire romain

C’est dans le 11e arrondissement de Vienne, celui de Simmering, que la fosse commune a été mise au jour entre octobre et décembre 2024 à l’occasion de travaux sur un terrain de sport. Il s’agit d’une sorte de cuvette située à moins de 50 centimètres de profondeur sur une surface d’environ 5 mètres sur 4,5 mètres. Dans cette cuvette, les archéologues ont décompté au moins 129 individus, plus des ossements disloqués en raison de travaux de dragage antérieurs qui ont perturbé la fosse. Ce qui porte le tout à plus de 150 individus.

Le plus frappant, c’est qu’ils ont visiblement été enterrés sans égards: les corps sont déposés dans tous les sens, parfois sur le ventre ou sur le côté, les membres sont entremêlés. « Cela indique que les morts ont été recouverts de terre à la hâte, et donc qu’ils n’ont pas été enterrés en bonne et due forme », indiquent les chercheurs dans un communiqué.

150 soldats morts de leurs blessures

Même si l’ensemble des corps n’a pas encore été examiné, les premières observations anthropologiques réalisées sur une cinquantaine de squelettes ont révélé qu’il s’agissait de soldats morts sur un champ de bataille. Des hommes exclusivement, plutôt jeunes puisqu’ils sont tous âgés entre 20 et 30 ans, et plutôt grands, puisque la plupart mesurent plus d’1,70 mètre.

Si leur état de santé au moment du décès était plutôt bon – les chercheurs relèvent peu de maladies infectieuses et, surtout, l’absence notable de caries dentaires, un fait rare pour l’époque –, ces jeunes gens sont tous morts à la suite de blessures portées par des armes contondantes et tranchantes. Une mort violente et douloureuse, car les blessures correspondent à des coups de lance, de poignard, d’épée et même à des impacts de projectiles métalliques.

Dans la mesure où les traumatismes relèvent d’armes différentes, les chercheurs en déduisent qu’il ne peut s’agir d’une exécution et que l’hypothèse d’une bataille s’impose.

Romains ou Barbares ?

Mais qui sont ces soldats ? Des Romains ou des Barbares ? Pour le moment, les objets trouvés dans la fosse pointent sans équivoque vers des soldats romains, même s’il n’est pas exclu que les victimes aient été mélangées. Ces mêmes artefacts sont également utiles pour dater la bataille, le plus significatif étant un poignard en fer. Selon les chercheurs, c’est même « la découverte clé pour dater la fosse commune ». S’il est encore recouvert d’une épaisse couche de rouille, une radiographie de son fourreau a révélé un type de décoration (des incrustations de fils d’argent) très caractéristique de la période comprise entre le milieu du 1er siècle et le début du 2e siècle de notre ère.

L’équipement du soldat romain

Mis à part ce poignard, il ne reste nulle autre trace d’arme dans la fosse, les soldats ayant été très certainement dépouillés. Les archéologues ont tout de même mis au jour quelques éléments témoignant de l’équipement typique des légionnaires – casque, cuirasses et chaussures –, qui permettent également de dater le site. Un couvre-joue de casque correspond à un modèle qui s’est imposé à partir du milieu du 1er siècle, indiquent les chercheurs. Plusieurs écailles d’une cuirasse (lorica squamata) confirment cette datation, puisque la cuirasse à écailles, plus souple que la cuirasse segmentée (lorica segmentata), s’est établie au début du 2e siècle de notre ère. Enfin, de multiples clous correspondent à des chaussures militaires romaines (caligae).

L’inhumation relevait de l’exception

Puisque les artefacts mis au jour ont permis d’identifier les individus jusqu’ici analysés comme des légionnaires romains, la découverte de ces squelettes est à considérer comme exceptionnelle, étant donné l’extrême codification de leurs rites mortuaires. « Dans l’Empire romain, les rituels funéraires étaient stricts et certains protocoles devaient être rigoureusement respectés. Comme la crémation était d’usage dans l’Empire romain européen aux alentours de 100 après J.-C., les inhumations constituent une exception absolue. Il est donc extrêmement rare de découvrir des squelettes romains de cette époque », explique Kristina Adler-Wölfl, directrice du Service archéologique de la ville de Vienne.

Ce rituel était même respecté sur les champs de bataille. Ainsi, sur le site de Teutobourg, dans le Land allemand de Basse-Saxe – qui fut la plus cuisante défaite romaine –, on n’a jamais mis au jour aucun corps.

Comment interpréter cette fosse commune ?

Tout indique que le temps a manqué pour procéder à une véritable cérémonie. Puisque le contexte indique l’urgence, les chercheurs pensent donc que les Romains ont perdu la bataille, la fosse témoignant de « la fin catastrophique d’une opération militaire ».

Or les auteurs classiques ont rapporté dans leurs écrits les difficultés rencontrées par l’armée romaine sur la frontière danubienne. Ce qui laisse présumer que le site de Simmering pourrait être la preuve confirmant les textes.

Les guerres danubiennes ont causé de lourdes pertes aux Romains

Les auteurs classiques comme Dion Cassius, Suétone et Tacite mentionnent en effet les combats incessants entre tribus germaniques et Romains au cours des guerres danubiennes à la fin du 1er siècle (86-96), sous le règne de l’empereur Domitien (81-96). Suétone évoque des Sarmates qui auraient « abattu une légion et son commandant » (soit plusieurs milliers d’hommes) en 92 ; Tacite déplore les nombreuses pertes et les « grandes défaites » en Germanie et en Pannonie, principalement dues à « l’imprudence ou la lâcheté des chefs militaires ». « On ne s’inquiétait déjà plus seulement pour les remparts et les rives de l’empire, mais aussi pour les camps d’hiver des légions et pour l’existence même de l’empire », s’alarmait-il.

Selon les historiens, cette situation a conduit les Romains à renforcer leur défense en construisant, sous le règne de l’empereur Trajan (98-117), une ligne de fortification beaucoup plus imposante: le limes (frontière) du Danube, constituant une barrière étanche de camps, de fortins et de forts plus importants, dont Vindobona, qui deviendra Vienne.

Carte des provinces du Noricum et de Pannonia, délimitées au nord par le limes danubien. Les carrés noirs indiquent les camps de légionnaires ; les triangles noirs et blancs, les fortins. Le site de Simmering correspond à l’étoile rouge. Les routes sont dessinées en pointillés. Crédits: Martin Mosser / Stadtarchäologie Wien

Aux origines de Vienne ?

Pour les chercheurs viennois, le site de Simmering, qui se situe à sept kilomètres du centre-ville, s’inscrirait dans cette dynamique de défaites réitérées conduisant à la création du camp de légionnaires constituant le cœur historique de la capitale autrichienne: « La fosse commune de Simmering est non seulement la première preuve physique de combats de cette époque, mais elle permet également de localiser une bataille dans la région de Vienne, conclut Martin Mosser, archéologue au Service archéologique de la ville. Cet événement pourrait donc avoir été l’occasion de transformer la petite base militaire en camp de légionnaires de Vindobona, à moins de sept kilomètres de là. Il est donc possible que ce site nous révèle le début de l’histoire urbaine de Vienne ».

Des recherches complètes sont en prévision

On comprend l’enthousiasme des chercheurs qui disposent à présent d’un matériel inégalé, promettant d’apporter des informations primordiales sur ce site clé et sur les soldats inhumés. De multiples recherches sont déjà prévues afin de reconstituer la scène telle qu’elle s’est sans doute produite au début du 2e siècle de notre ère. Des analyses géophysiques et polliniques permettront de savoir si des éléments sont encore présents dans le sous-sol (les restes d’une installation militaire, par exemple) et quelle était la végétation à l’époque – des éléments importants pour comprendre la bataille et pourquoi elle a donné lieu à ce mode d’inhumation.

Pour ce qui est des soldats, des analyses génétiques et isotopiques aideront à déterminer leurs origines géographiques et ethniques, et à savoir s’ils étaient tous Romains. Car dans la fosse de Simmering, qui nous dit que Barbares et Romains n’ont pas été inhumés ensemble ?

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Togo, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here