Africa-Press – Togo. « Combien de temps faudrait-il à la nature pour effacer toutes traces d’une humanité disparue? », nous demande Sebastien Lebel sur notre page Facebook. C’est notre question de lecteur de la semaine. Merci à toutes et tous pour votre contribution.
Si l’humanité venait à disparaître brutalement demain, la nature aurait étonnamment peu de travail à fournir pour faire disparaître les marques de notre passage. Non pas parce qu’elle serait particulièrement efficace, mais parce que notre civilisation, paradoxalement si technique et ambitieuse, repose sur des matériaux… conçus pour ne pas durer.
« Les archéologues du futur, dans 2000 ans, ne retrouveront rien de nos édifices à nous. Parce que nous les construisons avec une date de péremption », affirme auprès de Sciences et Avenir Valérie L’Hostis, experte dans le comportement et le vieillissement des matériaux, adjointe au directeur des programmes Energie du CEA, dans un article publié en 2023 et intitulé « Les archéologues du futur ne retrouveront aucune trace de nos bâtiments actuels« . Et ce constat vaut autant pour nos ponts que pour nos gratte-ciel ou nos lieux de culte modernes.
Des bâtiments pensés pour mourir
Là où les Egyptiens et les Romains misaient sur la masse et la durée – pyramides colossales, bétons antiques encore mystérieusement résistants –, nos ouvrages sont au contraire calibrés pour une certaine durée de vie fonctionnelle.
Prenons un symbole d’ingénierie française: le viaduc de Millau. « Il est construit pour 120 ans », rappelle l’ingénieure du CEA. Et encore: c’est une hypothèse optimiste, dans le meilleur des cas d’entretien. Passé ce cap, il devra être remplacé. « Tous les immeubles d’habitation qui ont été construits il y a 50 ans, étaient conçus pour 50 ans… », ajoute-t-elle.
Cette logique découle de normes strictes, et surtout de la spécialisation des fonctions des ouvrages: mécanique (porter des charges, comme le viaduc de Millau qui a pour principale fonction d’avoir des véhicules qui circulent dessus), confinement (comme les silos à grain ou des enceintes dans le nucléaire et dont la durée de vie est dictée par la première fissure, qui laisserait échapper son contenu), ou esthétique (c’est le cas de monuments historiques comme la Sagrada Familia).
Une fissure, une corrosion, un changement de normes, et le bâtiment est bon pour la déconstruction. La nature, elle, n’a plus qu’à accélérer ce que les humains avaient déjà planifié: la ruine.
Les traces les plus tenaces? Nos déchets nucléaires !
La seule exception à ce tableau d’effacement rapide pourrait bien venir de nos… déchets nucléaires. « Les dispositifs pour les stocker doivent être pensés pour durer des millions d’années », explique Valérie L’Hostis, évoquant le système de « poupées russes » conçu au CEA: une matrice de verre contenant les radionucléides, enfermée dans de l’acier inoxydable, puis dans un tunnel métallique, le tout scellé à 500 mètres de profondeur dans une couche d’argile soigneusement choisie.
Des études géologiques tentent d’évaluer à quel rythme ces barrières cèderont. L’idée étant que, le jour où les matériaux flancheront, la radioactivité, elle, se sera déjà dissipée. Mais en attendant, ces structures invisibles et souterraines pourraient bien être ce que la Terre conservera le plus longtemps de nous, bien plus que nos musées, nos villes ou nos mémoriaux.
Ainsi, notre époque ne laissera probablement presque aucune trace durable. « Nous sommes aujourd’hui dans l’ère du consommable », résume Valérie L’Hostis. Le paradoxe est cruel: plus nous construisons, moins il restera. Nos descendants – ou des entités posthumaines, ou d’autres formes de vie intelligentes – devront se contenter, pour nous connaître, de nos plus anciens bâtiments… et de nos déchets les plus indésirables.
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