Opposants et Dissidents: Saisir L’Opportunité RPT-UNIR

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Opposants et Dissidents: Saisir L'Opportunité RPT-UNIR
Opposants et Dissidents: Saisir L'Opportunité RPT-UNIR

Africa-Press – Togo. Un professeur de philosophie demanda à ses élèves: « Qu’est-ce que l’audace?» Un élève leva calmement le doigt et répondit: « l’audace, c’est ce que j’ose faire ». Là-dessus, cet élève ramassa ses livres et cahiers, les mis dans son sac et sortit de la classe sans demander la permission du professeur. Ce dernier dit: « eh ben voilà l’audace définie de manière pratique et éloquente. Ainsi prend fin ce cours sur l’audace. » Une anecdote racontée par mon prof de philo (Longue vie à lui).

Récemment au Togo, il y a eu de l’audace. Pas plus que d’habitude, mais venant des acteurs inhabituels. Les récentes sorties plutôt très osées de Madame Marguerite Essossimna Gnakadè (« une tribune au vitriol » selon Jeune Afrique), de l’artiste Aamron de nom à l’état civil Narcisse Essowè Tchala et d’autres voix anonymes sur la gestion du Togo ont une chose en commun: elles viennent de ceux qui sont connus être, ou se réclament, de la mouvance présidentielle, des gens qui sont « à l’intérieur du système » qui régente le Togo depuis plus de 6 décennies.

Ces sorties dont l’objectif est visiblement de faire bouger les lignes ont toutes été abondamment relayées, commentées et applaudies. Cependant, elles ont un autre point commun: leur réceptivité par les responsables des partis d’opposition au régime a été faible, timide, voire largement inexistante. Pourtant, ce sont leurs réactions vis-à-vis de telles sorties qui sont importantes, qui sont les plus attendues.

J’ai voulu titrer cet article « Pourquoi la mayonnaise ne prend pas entre les opposants togolais et les dissidents du régime », mais je me suis ravisé. La raison est qu’on reproche aux activistes proches des opposants togolais de verser dans des « analyses » qui relèvent les manquements sans proposer de solutions. Le titre initial m’aurait orienté principalement sur les problèmes ; le titre actuel, je l’espère, fera la part belle aux solutions concrètes.

En général lorsqu’une voix au sein du régime dénonce la gestion catastrophique du pays, les premiers à réagir sont les soutiens du régime, qu’ils soient journalistes, activistes, relais communautaires, résidents dans la diaspora etc. Leur mode opératoire est simple: minimiser cette voix critique pour la faire taire, la diaboliser en relevant sa proximité avec tel ou tel pilier ou « baron » du régime, présenter la sortie comme venant d’une personne déçue par les choix du pouvoir ou d’un frustré qui règle ses comptes pour la perte d’un privilège ou d’un poste.

Mais le pire n’est pas que les soutiens du régime réagissent les premiers pour noyer le messager et son message ; le pire est qu’ils arrivent à faire adopter leur narratif par leurs adversaires qui se présentent comme les soutiens de l’opposition. Bref, avant que les activistes de l’opposition ne se saisissent de la sortie pour la présenter sous un angle positif et exploitable, les soutiens du régime ont déjà mis le vers dans le fruit, semant le doute sur les motivations de l’auteur de la critique issu du système.

Logiquement, du fait de ce doute très tôt planté dans les esprits des opposants (dont la majorité s’en tient généralement aux premières interprétations), l’on aboutit à une théorie du complot qu’on peut résumer ainsi sur la base des réactions qui circulent sur les réseaux sociaux:

La liste des questions propres à la théorie du complot est longue, et ni Madame Gnakadè, ni Aamron n’y échappent. Au point où un Togolais a eu à poster sur sa page Facebook: « c’est à croire que ceux qui ont eu à servir un régime n’ont pas le droit d’en dire du mal… Le tombeur du président Alpha Condé qui est aujourd’hui son successeur était son aide de camp. Le tombeur du gabonais Ali Bongo, aujourd’hui président était le responsable de la garde présidentielle. Cessez de croire qu’on ne peut retourner sa veste et demander du changement. »

Les frappes préventives du système RPT-UNIR contre ses dissidents audacieux et la théorie du complot qui en naît et prend des proportions parmi les opposants ont une seule origine: la faible organisation des opposants du Togo ; d’autres diraient la « qualité du leadership ».

Il est utile de rappeler que lorsqu’une voix divergente au sein du système RPT-UNIR se fait entendre publiquement, elle parle au système afin qu’il se ressaisisse, mais elle est aussi une perche tendue aux opposants. Pour la saisir, les opposants doivent avoir un mécanisme de capitalisation d’une telle opportunité. Mais depuis toujours, les opposants togolais n’ont visiblement pas un tel mécanisme, ni collectivement, ni individuellement au niveau des chapelles politiques, ce qui fait que personne ne saisit la perche tendue par les dissidents du régime, et les dissidents « retournent à la maison » avec toutes les conséquences.

L’on remarquera qu’à l’opposé, lorsqu’un acteur de l’opposition (toutes tendances confondues) dénonce les travers de son propre camp ou même de son parti, ou qu’il fait des clins d’œil au camp présidentiel, le régime saisit la perche généralement de manière subtile jusqu’à la récupération complète de cet acteur.

La récupération d’un dissident du régime RPT-UNIR vaut autant qu’un financement de la diaspora. Ce n’est pas seulement une question de moyens ou de ressources (quoique cela joue un grand rôle au Togo); c’est beaucoup une question d’organisation car, même avec un millionième des ressources du pouvoir, l’opposition plurielle ou « les opposants » peuvent récupérer les dissidents du régime et capitaliser sur leurs connaissances des failles qui feront s’effondrer la dictature.

La perche que les dissidents du régime tendent aux opposants, c’est un peu comme un bien public ou une propriété communautaire sous nos cieux: elle est sensée appartenir « à tout le monde », mais personne ne s’en occupe comme on s’occuperait d’une propriété personnelle. Sauf s’il y a un comité de gestion de ce bien public avec des rôles et responsabilités précis.

C’est donc pour dire que le fait de n’avoir pas jusqu’ici saisi les opportunités que représentaient les dissidents du régime n’exclut pas la mise en place d’un mécanisme ou d’un « comité » discret pour la capitalisation de ces dissidents aujourd’hui et dans l’avenir. Ce ne serait pas gagné d’avance, mais ce serait un bon début d’autant plus qu’il faudra gérer un grand nombre de dissidents du régime: face à la gestion catastrophique du pays, plusieurs soutiens du régime vont s’en désolidariser.

De même, les représailles contre l’audace des dissidents du RPT-UNIR ne manqueront pas et seront tout aussi bruyantes que leurs sorties. Au moment où je finis cet article, j’apprends que le jeune rappeur togolais Aamron a été arrêté, créant une consternation générale dans le pays, une manière pour le régime de faire taire d’autres voix comme la sienne.

Le constat est décevant au Togo. Car en lieu et place d’une solidarité populaire de la classe politique, de la société civile et du peuple face à cette arrestation musclée et illégale de Aamron, c’est plutôt sa maman et sa fillette de moins de 10 ans, qui ont pris d’assaut les réseaux sociaux, pour expliquer les conditions de cette arrestation et demander secours.

La prison et les privations de liberté sont choses banales au Togo. Le plus récent avant Aamron n’est autre que le jeune Honoré Sitsopé Sokpor, connu sous le pseudonyme « Affectio », qui est détenu depuis le 12 janvier 2025. La justice togolaise l’accuse d’avoir incité à la désobéissance civile à travers ses publications en ligne via le poème intitulé « Fais ta part ». Pour cette phrase inspirée de Mgr feu Nicodème Barrigah-Benissan, « Affectio » a été inculpé pour « atteinte à la sécurité intérieure de l’État »

Comme je l’ai dit et répété plus haut, récupérer les dissidents du régime RPT-UNIR, c’est une question d’organisation, pas de ressources financières car celles-ci viennent accompagner l’organisation et parfois avec leurs propres moyens humains, matériels et financiers. On ne peut payer des billets en classe affaire aux dissidents du régime RPT-UNIR, on ne peut leur éviter la prison, mais valoriser continuellement leur apport est en soi-même une incitation non-négligeable. Et pour ceux qui douteraient de l’efficacité d’une telle approche, qu’ils se posent cette question: avons-nous jamais essayé cela au sein des oppositions togolaises

A. Ben Yaya

New York, 26 mai 2025

« TAMPA EXPRESS » numéro 0078 du 02 juin 2025

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