Africa-Press – Togo. Dans une Interview accordée à France 24, l’artiste engagé Aamron revient sur son arrestation musclée, son internement forcé en hôpital psychiatrique et les sévices qu’il a subis. Il raconte en détail les circonstances de s adétention, les pressions psychologiques, sa volonté d’apaisement et surtout, son engagement indéfectible en faveur des droits humains et de la liberté d’expression. Malgré les épreuves, il affirme plus que jamais rester une voix critique contre l’injustice et annonce une plainte pour torture et violation de ses droits…
France 24: Bonjour Aamron, comment allez-vous depuis votre libération?
Aamron: Je vais de mieux en mieux, dans le meilleur des mondes.
Est-ce que vous avez été surpris par l’ampleur de la mobilisation citoyenne? Est-ce que vous attendiez à une telle mobilisation?
Pour être honnête, je m’étais lancé dans cette opération en mode kamikaze. J’ai voulu m’offrir en sacrifice pour créer un électrochoc, un déclic pour libérer la parole. Mais dire que je ne m’attendais pas à l’ampleur que cela a pris, ce serait mentir. Je suis très honoré et content que les gens aient pu prendre sur eux de faire comme moi. Il est vraiment important que les choses bougent dans notre pays.
Aamron, racontez-nous comment s’est passée votre arrestation le 26 mai dernier?
Je me souviens encore comme si c’était hier. Le 26 mai, dans la nuit, aux alentours de 21h, j’ai été alerté par ma femme qu’un groupe de militaires ou de personnes armées étaient rentrés chez nous à la maison. Je lui ai demandé de ne pas s’inquiéter, qu’ils étaient venus pour moi. J’avais déjà été alerté la veille par une tante qu’il y avait un groupe d’officiers zélés du village de mon père qui planifiaient de me faire arrêter et de m’interner dans un asile de fou à cause de mes dénonciations. Donc, je n’étais pas totalement surpris. J’étais allé rencontrer les militaires dehors et je leur ai demandé s’ils étaient venus pour moi. Ils ont dit en effet et se sont présentés sans mandat. Ensuite, j’ai été auditionné par un groupe de 4 à 5 officiers à propos de mes dénonciations et ils m’ont demandé si je savais ce que je risquais. Je leur ai dit que pour avoir commis un outrage envers l’autorité, je serai forcément présenté devant le procureur de la République et déféré en prison. Il y avait devant eux le livre du code pénal. Ils m’ont demandé si je savais pertinemment ce que je risquais. J’ai dit que nous sommes dans un état de droit et si un citoyen est déviant, s’il vole les lois, il va répondre devant la justice.
J’ai précisé qu’en le faisant, j’espère qu’après mon interpellation, toutes les personnes qui sont mentionnées dans les différents rapports, qui détournent les fonds publics, qui commettent des crimes et qui bénéficient de l’impunité totale, devaient eux aussi être interpellées parce que mon interpellation prouvait que la justice fonctionnait encore dans le pays. Là où j’ai été surpris, c’est qu’au bout de 10 minutes, ils sont revenus en me demandant de les suivre. Je les ai suivis sans opposer de résistance. Ils m’ont fait monter dans une voiture et ils m’ont déplacé vers un autre endroit, toujours à l’intérieur du Service Central de Recherche et d’Investigation Criminelle (SCRIC). Il y avait près de 5 à 7 hommes en civil. Je crois bien que ce sont des gendarmes ou une milice. Ils me demandent si je sais pourquoi ils m’ont amené ici. J’ai que je ne sais pas.
Ils m’ont dit que j’ai insulté leur papa, le Chef de l’Etat et qu’ils allaient me le faire payer cash et après, s’il le fallait, ils répondraient devant la loi. Ils ont demandé ensuite que je sois menotté par l’arrière. Ils m’ont fait asseoir sur le sol. Ils m’ont placé des pneus au niveau des pieds et le commandant qui m’avait auditionné auparavant, a donné l’ordre à ses éléments de me rouer de coups au niveau de la plante des pieds. Ils ont passé du temps à me passer à tabac. J’avais les pieds enflés. Les nerfs de la plante des pieds avaient éclaté. A ce jour, je garde encore des stigmates. Ensuite, ils m’ont fait déshabiller et m’ont mis dans une cellule. J’ai passé la nuit là-bas. Aux alentours de 7h-8h, ils m’ont fait sortir de ma cellule pour me faire signer un PV. J’ai demandé à voir un avocat. Ils ont refusé. Ensuite, ils m’ont mis une cagoule et m’ont conduit vers une destination inconnue. Arrivés, ils m’ont fait monter à l’étage. Je le sais parce que je me suis rendu compte que je gravissais les escaliers. J’étais menotté sur une chaise. Quelques temps après, je vois l’aide du camp du Président rentrer dans la salle. Il a demandé qu’on fasse venir un coiffeur, qui me rase la tête et la barbe.
Juste après cela, ils m’ont de nouveau remis la cagoule. Puis, ils m’ont conduit vers une ers une destination inconnue. Lorsqu’ils m’ont enlevé la cagoule et les menottes, je me suis rendu compte que nous étions au centre psychiatrique de Zébé.
Comment avez-vous vécu cet internement en psychiatrie?
C’était une expérience douloureuse, mais aussi une phase de grand enseignement parce que j’ai été admis dans cet hôpital contre ma volonté. Les deux premiers jours, je recevais des injections puis on me mettait aussi sous sérum. On me faisait prendre des comprimés également. J’avais perdu un peu le sens de la réalité. J’avais du mal à m’exprimer comme je le voulais. Entre mes pensées et ce que je devrais dire, il y avait un déphasage. Dès le troisième jour, ils ont stoppé les injections ainsi que les sérums. Ils ont modifié les comprimés que je prenais. À partir de ce moment, les traitements ont commencé à être un peu plus soft.
On vous a vu apparaître dans une vidéo dans laquelle vous présentiez vos excuses. Vous parliez aussi de dépression aggravée. Est-ce qu’à ce moment-là, vous étiez libre de vous exprimer?
Oui, je peux dire que j’étais libre en partie, mais pas totalement. Durant mon internement, il y avait des personnes qui venaient me voir et qui m’informaient de ce qui se passait dehors, que j’en étais responsable. Ils m’ont dit que j’avais appelé à manifester pour le 6 juin et que les gens voulaient se servir de cette date pour créer du désordre. De façon indirecte, on voulait me faire porter le chapeau en disant que j’ai initié un mouvement qui a été suivi par les jeunes. Et puis on m’a dit que ma fille, après mon interpellation, avait fait une vidéo où elle a insulté le chef de l’État et qu’elle risquait d’être gardée dans une brigade pour mineurs. Pour essayer de désamorcer la situation, j’ai proposé de faire une vidéo pour présenter mes excuses au Président du Conseil pour les insultes proférées par ma fille. Bien avant, j’ai demandé qu’on puisse me libérer et que je puisse rentrer chez moi, afin de mener des démarches nécessaires pour apaiser les tensions, pour qu’il n’y ait pas de violences, puisqu’on m’imputait la responsabilité. Mais ils ont refusé et ont insisté que je le fasse la vidéo dans ces conditions-là.
Alors on le sait, vous êtes un artiste engagé, et après ce que vous avez vécu, est-ce que vous resterez une voix critique?
Bien entendu, je resterai un artiste engagé pour la cause générale. Et aujourd’hui, plus que jamais, après mon interpellation, après les événements du 6 juin et ceux des 26, 27 et 28 juin, et les violations des droits humains, je ne peux et je ne saurai garder le silence. Cela serait une grande trahison.
Il y a beaucoup de choses qu’on peut reprocher aux uns et aux autres. Nous pouvons faire tout pour que nos revendications restent dans une logique pacifique. Nous voulons tous travailler pour l’apaisement. C’est bien possible encore aujourd’hui, mais il faut que tout le monde se ressaisisse. On ne peut pas violer les droit humains, on ne peut pas empêcher les gens qui veulent manifester pacifiquement, exprimer leur mécontentement, et leur demander de se taire éternellement en opposant la violence.
Vous nous avez parlé des mauvais traitements que vous avez subis. Est-ce que vous avez porté plainte?
Oui. Dans un premier temps, après ma sortie, dans un souci d’apaisement, j’avais voulu ne plus remettre l’huile sur le feu ou me focaliser sur ma petite personne. Je me suis dit que le plus important était de réveiller le peuple plutôt que de perdre l’énergie à vouloir avoir satisfaction ou justice pour moi.
Au-delà de ma personne, d’autres citoyens ont vu leurs droits bafoués, et après, on nous parle de fake news ou d’Intelligence Artificielle qui aurait généré les images et les vidéos de la répression. Il faut faire en sorte les citoyens qui veulent manifester, que leurs droits soient respectés. Et donc s’il faut enclencher une procédure judiciaire, je le ferai pour que ceux qui ont été torturés, puissent aussi avoir gain de cause. Actuellement, nous engageons des avocats dans ce sens. Je tiens à le préciser, ce n’est pas le Président du Conseil qui a donné l’ordre que je sois interpellé. Ce n’est pas lui qui a donné l’ordre que je sois torturé. Ce sont des zélés qui sont dans l’excès, parce qu’ils sont détenteurs d’une parcelle de pouvoir. On ne peut pas être dépositaire du pouvoir public et se servir de ce pouvoir pour brimer les faibles en disant que rien ne se passera. Il est temps que ce genre d’attitude prenne fin dans notre pays. Oui, une procédure judiciaire va être enclenchée et je compte porter plainte pour torture et violation de mes droits.
Source: France 24
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