Faux et Usurpation de Nom au Tribunal de Sokodé

1
Faux et Usurpation de Nom au Tribunal de Sokodé
Faux et Usurpation de Nom au Tribunal de Sokodé

Africa-Press – Togo. Thomas Jefferson disait préférer des journaux sans gouvernement à un gouvernement sans journaux. Au tribunal de grande instance de Sokodé, une situation ubuesque a fait sortir le président dudit tribunal de ses gonds lorsqu’il a appris que le journal Liberté s’est adressé à un de ses collègues dans la quête de la vérité. Il s’agit d’une situation dans laquelle Kokoroko Koku Dzifa, magistrat et président du tribunal de Sokodé, aurait fait du faux et usurpation de nom pour rendre deux jugements. Or, ce n’était pas un jour d’audience. « Foutez-moi le camp », nous a-t-il jeté à la figure avant de nous raccrocher au nez. Du pur langage châtié ! Bientôt un an sans réponse appropriée.

Sokodé. Au commencement était une affaire banale en apparence. Mais il a suffi que le juge des enfants à qui nous avons envoyé un message, mette au parfum le président du tribunal de Sokodé, pour que notre attention soit vraiment portée sur le courrier adressé par un juge au Garde des sceaux, ministre de la justice et de la législation.

Dans ce courrier daté du 21 septembre 2024, le juge s’est plaint de ce que son nom a été apposé en bas de deux décisions de justice alors qu’il ne faisait point partie du collège des juges « ayant siégé » un jour où il n’y avait pas d’audience. Celui-ci a surtout justifié sa démarche au vu d’une tentative d’accusation de faux par le passé.

« En effet, ces dossiers sont passés régulièrement à l’audience publique ordinaire du 03 avril 2024. Après débats, le dossier Ministère public contre WOROGO Amissou a été renvoyé au 08 mai 2024 pour les parties et citation de la partie civile OURO-KPASSOUA Idrissou (deuxième partie civile dans le dossier) qui n’avait pas comparu, car n’ayant pas été cité à comparaitre à l’audience. Le dossier Ministère public contre TCHADJOBO Abdou-Rakibou quant à lui, était initialement mis en délibéré pour être vidé le 03 avril 2024, mais le délibéré a été rabattu ce jour et le dossier renvoyé au 08 mai 2024 pour réouverture des débats. Aucun jugement n’a été rendu dans ces deux dossiers à l’audience publique ordinaire du 03 avril 2024 », dit le courrier. Jusque-là, tout baigne. Mais la suite est moins banale.

« Curieusement, nous découvrons le 05 avril 2024 que les jugements avant-dire-droit N°034/FD/2024 et N°035/FD/2024 ont été rendus dans les deux dossiers, lesquels jugements ordonnaient la mise en liberté provisoire des prévenus WOROGO Amissou et TCHADJOBO Abdou-Rakibou. Plus grave, nous constatons qu’il est dit sur les extraits de ces jugements qu’ils ont été rendus à l’audience publique ordinaire du 03 avril 2024 et que nos noms et prénoms y figurent comme faisant partie des Magistrats ayant siégés collégialement pour rendre ces jugements. Surpris de le constater, nous avons voulu comprendre ce qui s’est passé. C’est ainsi qu’il nous a été dit que c’est après avoir tenu l’audience civile du 04 avril 2024, que le Président du Tribunal, monsieur KOKOROKO Koku Dzifa, a demandé au greffier audiencier, Maître KOULOUMA Martin de lui apporter les deux dossiers en cause en cabinet, où il a rendu sans nous, ces deux jugements. Après avoir rendu ces jugements, il a demandé au greffier audiencier d’antidater ces jugements en les enregistrant et les répertoriant sous l’audience correctionnelle du 03 avril 2024, tout comme s’ils ont été rendus à l’audience publique ordinaire du 03 avril 2024, et non à la vraie date qui est le 04 avril 2024, laquelle date n’était pas celle de l’audience correctionnelle, mais plutôt celle de l’audience civile », a constaté le juge Gnandi Baba.

Or, ce juge a fait l’objet d’une procédure judiciaire devant le conseil supérieur de la magistrature pour faux et usage de faux, puis de corruption. C’était en 2021, apprenons-nous dans le courrier. « En 2021, nous avons été insulté et diffamé par voie de presse (Forum de la semaine), sur les chaines de radio (Canal FM et Taxi FM), chaîne de télévision (NEW WORLD) et sur les réseaux sociaux (WhatsApp et YouTube), où nous avons été décrit comme étant un faussaire et un corrompu, poussant ainsi l’ancien Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et de la Législation, à initier une procédure disciplinaire contre notre personne », a rappelé le juge.

Malheureusement, depuis le 14 octobre 2022, date du non-lieu de l’inspection générale et de la relaxe par le CSM, « personne n’est plus retourné sur ces chaînes de radios ou de télévision ou dans la presse ou sur les réseaux sociaux pour redire aux citoyens togolais que les accusations qu’ils avaient portées sur notre personne, étaient fausses, laissant ainsi subsister l’opprobre sur notre personne », a regretté Gnandi Baba. On comprend alors sa démarche depuis. Un proverbe africain ne dit-il pas « lorsque vous avez été mordu par un serpent, même un ver de terre vous fait peur »?

Alors, rappelant au ministre sa demande d’explications adressée au président Kokoroko Koku Dzifa, le juge énumère:

– « Avez-vous effectivement rendu les jugements avant-dire-droit N°034/FD/2024 et N°035/FD/2024 en cabinet, le 04 avril 2024 et ce, à notre insu au mépris des dispositions de la nouvelle organisation judiciaire qui prescrit la formation collégiale pour les audiences correctionnelles en première instance?

– Avez-vous instruit le greffier audiencier, Maître KOULOUMA Martin de faire enregistrer et répertorier les deux jugements en cause sous l’audience du 03 avril 2024 et non leur vraie date qui est normalement le 04 avril 2024?

– Avez-vous instruit le greffier audiencier, Maître KOULOUMA Martin de mentionner nos noms et prénoms (GNANDI BABA Nabou) comme faisant partie des Magistrats ayant siégé, statué et rendu collégialement ces deux jugements?

– Nous avez-vous informé, nous GNANDI BABA Nabou, juge au Tribunal de Grande Instance de Sokodé, de la tenue éventuelle d’une quelconque audience correctionnelle soit en cabinet, soit publiquement dans la salle d’audience du Tribunal de ce siège, audience lors de laquelle ces jugements ont été rendus le 04 avril 2024?

– Depuis la date du 04 avril 2024, date du rendu de ces jugements jusqu’à ce jour le 27 juin 2024 que nous vous écrivons la présente, nous avez-vous informé, soit oralement, soit par écrit, de ce que vous avez rendu ces jugements à notre insu »?

Même si elle est dure, même si elle doit s’appliquer à des connaissances, la loi demeure la loi et dans toute sa rigueur, elle doit s’appliquer. Selon le courrier adressé au ministre, les actes posés par le président du tribunal et président de CELI, violent les articles 48, 49 et 72 de la loi N°2019-015 du 30 octobre 2019 portant code de l’organisation judiciaire. Puisque selon l’Article 48, « En matière pénale, la formation collégiale est de droit. Les décisions sont prises à la majorité des voix ». L’Article 49 précise que « Les actes juridictionnels contiennent les noms du ou des magistrats du siège ayant participé à la décision. Ils sont revêtus de la signature du président, du greffier et du rapporteur le cas échéant ». Et l’Article 72 est formel: « En matières correctionnelle et administrative, le tribunal de grande instance siège en formation collégiale de trois (03) magistrats. Peuvent participer à la formation collégiale, le juge des enfants, le juge d’instruction qui n’a pas connu de l’affaire et le juge de l’application des peines ».

Non convaincu, nous avons écrit au président Kokoroko Dzifa qui nous a rappelé et donné sa version, nous assurant que c’est ensemble avec le procureur et le juge des enfants qu’il a siégé ; donc sans le juge Gnandi. Il a assuré que ce n’est rien et que ce sujet aurait été réglé. Il était 10h 31mn. Une vingtaine de minutes plus tard, il nous rassure par un message: « C’est en réprimandant le collègue pour ses dérives, qu’il a écrit des histoires. Je suis le président et c’est moi qui organise les compositions pour les audiences publiques correctionnelles ou civiles ».

Or, conformément à l’article 48 du code de l’organisation judiciaire, le tribunal n’est pas au complet pour tenir une audience et prendre des décisions valables, puisque cet article exige la présence de trois magistrats du siège en matière pénale. Le procureur étant un parquetier, le quorum ne permet pas de siéger. Que poursuivait tant le président pour outrepasser cette exigence?

Toutefois, nous avons joint le juge des enfants par le message pour avoir des informations au sujet de deux ADD 034 et 035 rendus le 3 avril 2024 par le tribunal correctionnel de Sokodé ». Il sonnait 14h 17.

A 17h 31mn, notre téléphone sonne. C’était le président Kokoroko, le ton utilisé a fait monter les décibels, nous demandant pourquoi nous avons cherché à obtenir une autre réponse d’un juge après ce qu’il nous a servi dans la matinée. Le temps de lui faire comprendre que nous n’étions pas convaincus par ses réponses et trouvions curieux que le juge des enfants lui rapporte notre message plutôt que de nous répondre, le président nous balance: « foutez-moi le camp » ! Avant de nous raccrocher au nez. Il enverra par la suite un message dans lequel il nous demande de « continuer par chercher et à comprendre comment fonctionne une juridiction et les pouvoirs du président d’une juridiction ! Je vous ne rends pas compte de l’organisation de mon Tribunal ». Avant de nous balancer le numéro du ministre de la justice en nous demandant de nous adresser au destinataire du courrier, « comme vous êtes à la recherche de la vérité » !

Nous pensions en avoir eu pour notre compte chez lui. Mais plus tard dans la soirée, à 21h 04, il nous envoie le message suivant: « A l’entame de mes 25 ans de fonction, venez m’apprendre à diriger une juridiction ! Toute autorité judiciaire et de surcroît, administrative à une hiérarchie et à la justice, il y a non seulement Hiérarchie mais également organe d’appel. De quoi vous vous mêlez? Allez chercher vos œufs pourris ailleurs » ! Est-ce digne un magistrat, qui plus est, président de tribunal?

Il est quand même triste que pendant que des juges triment à redorer le blason terni de la justice togolaise aux yeux des justiciables, d’autres magistrats bénéficient de promotions alors qu’ils ne sont pas des parangons de vertu.

Godson K.

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Togo, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here