Africa-Press – Togo. Entre répression de rue et mise sous surveillance des voix dissidentes, le régime verrouille l’espace civique et tente d’éteindre la contestation.
Prévues pour le 30 septembre dernier, les manifestations contre la vie chère, la hausse du tarif de l’électricité et le basculement du Togo vers un régime parlementaire bicaméral institué par un Sénat et une Assemblée nationale ont été empêchées par tous les moyens. Ces appels à manifester étaient lancés par le mouvement citoyen M66, né dans la diaspora et rendu célèbre après les rassemblements du 6 juin, déclenchés par l’arrestation du rappeur contestataire Narcisse Essowè Tchalla, alias Aamron. Les autorités accusent régulièrement le mouvement d’être une manœuvre de déstabilisation orchestrée depuis l’étranger. Malgré la répression meurtrière des 26, 27 et 28 juillet, « les cyberopposants » ne s’avouent pas vaincus. Le mouvement gagne même en notoriété, au point d’attirer des figures de l’opposition. Brigitte Adjamagbo Johnson, parlementaire et figure de proue de l’opposition togolaise, a elle aussi appelé à rejoindre la contestation, « pour réclamer plus de dignité pour les populations ». Les autorités, de leur côté, invoquent toujours le non-respect des procédures d’organisation pour interdire ces manifestations, arguant des troubles causés à la circulation. Cette fois, les organisateurs avaient pourtant opté pour une marche pacifique en file indienne sur les trottoirs de la capitale.
Des opposants assignés à résidence
Malgré cette stratégie d’apaisement, nombre de personnalités ont été empêchées de manifester. Marguerite Gnakade, ex-ministre des Armées devenue critique du pouvoir, a été bloquée chez elle par les forces de l’ordre. Brigitte Adjamagbo Johnson a connu le même sort. Au petit matin du 30 septembre, elle a découvert une trentaine de gendarmes encerclant sa maison à Agbalepedo. « Ils ne m’ont pas permis d’aller au-delà du barrage. Le commissaire m’a dit: “Madame, on a reçu des instructions de la hiérarchie. Vous ne devez pas bouger.” C’était une résidence surveillée de fait », dénonce-t-elle, estimant que « les libertés individuelles et publiques sont bafouées au Togo ». Le rappeur Aamron raconte aussi avoir été intercepté. « Quand j’ai commencé à marcher en file indienne, une vingtaine d’agents nous ont ordonné de nous disperser. Ils m’ont demandé de rentrer chez moi et que les personnes qui m’accompagnaient mais qui ne résidaient pas dans le quartier rentrent également », confie-t-il. Pour les organisations de la société civile, cette interdiction systématique constitue une violation grave des droits humains, pourtant garantis par la Constitution. « La situation actuelle illustre l’état d’esprit des dirigeants: ils pensent pouvoir gouverner sans les populations, mus par la seule soif du pouvoir », regrette Kao Atcholli, président de l’ASSIVITO, l’association des victimes de torture du Togo.
La loi Bodjona de nouveau contestée
L’organisation des manifestations publiques est encadrée par une loi adoptée en mai 2011, dite « loi Bodjona », du nom de Pascal Bodjona, ancien ministre de l’Administration et aujourd’hui conseiller politique de Faure Gnassingbé. Présentée comme un outil de régulation, elle a été profondément révisée en 2019, après les mobilisations meurtrières contre le troisième mandat présidentiel. Dix articles ont été modifiés (3, 6, 9, 10, 12, 13, 17, 19, 20, 21), imposant désormais un délai de cinq jours de notification et des contraintes supplémentaires sur les itinéraires et les horaires. Le gouvernement assure vouloir « garantir un meilleur encadrement des manifestations et la sécurité des riverains ». Mais pour les partis politiques et la société civile, cette révision a fait régresser le pays en matière de droits humains. « La loi Bodjona avait été une avancée démocratique. Sa révision en 2019 a bridé la liberté de manifester. Désormais, certains itinéraires sont interdits, les horaires limités », déplore le pasteur Edoh Komi, du Mouvement Martin Luther King.
Les observateurs dénoncent un musellement de l’espace civique. « Les libertés sont étouffées. La loi sur les manifestations n’en vaut aucune. Même l’ONU a recommandé de la revoir, car elle est liberticide, mais les autorités font la sourde oreille », souligne Me Célestin Agbogan, avocat du rappeur Aamron et président de la Ligue togolaise des droits de l’homme. Face aux contestations grandissantes, plusieurs organisations exigent désormais l’abrogation pure et simple de ces lois jugées restrictives.
Source: lepoint.fr/afrique
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