Africa-Press – Togo. « Au début, même un effort minime comme me doucher ou faire la vaisselle déclenchait un malaise post-effort et m’obligeait à m’allonger juste après », raconte Ariane, 65 ans, sur la page de France Assos Santé. Comme environ 250.000 personnes en France, elle souffre du syndrome de fatigue chronique, aussi appelé encéphalomyélite myalgique, dont les symptômes apparaissent souvent après une infection virale et dont l’origine était jusque-là très mal comprise. Il s’agirait en réalité d’un effondrement des interactions normales entre l’intestin, le système immunitaire et le métabolisme, conclut une nouvelle étude publiée dans la revue Nature Medicine. « Cette rupture peut alimenter des symptômes tels que la fatigue, la douleur ou les troubles du sommeil », explique Julia Oh, microbiologiste à l’université de Duke (Etats-Unis) et qui a dirigé ces travaux.
Une désynchronisation des voies de régulation de l’immunité et du métabolisme
Bactéries intestinales, activité des cellules immunitaires, métabolites sanguins, analyses cliniques et enquêtes sur les symptômes, toutes ces données récoltées sur 259 personnes sur plusieurs années ont pour la première fois été combinées dans un modèle intégré. « Nous avons utilisé un système d’apprentissage en profondeur appelé BioMapAI, capable d’analyser des schémas complexes à travers toutes ces couches biologiques pour identifier des biomarqueurs généraux et spécifiques aux symptômes », explique Julia Oh. « Il s’agit de l’un des ensembles de données les plus complets jamais constitués pour cette maladie. »
Ces analyses montrent comment les interactions normales entre l’intestin, le système immunitaire et le métabolisme semblent s’effondrer chez les patients. « Chez les personnes en bonne santé, par exemple, les molécules produites par les bactéries telles que les acides gras saturés et les métabolites du tryptophane contribuent à réguler l’inflammation et à soutenir la production de neurotransmetteurs. Dans le cas du syndrome de fatigue chronique, ces mêmes voies sont désynchronisées, ce qui entraîne une activation immunitaire excessive, une signalisation cérébrale perturbée et, en fin de compte, l’ensemble des symptômes complexes qui définissent la maladie », détaille Julia Oh.
Des perturbations liées aux symptômes gastro-intestinaux et émotionnels, fatigue et douleurs
Le microbiote intestinal des malades est donc déséquilibré, avec une augmentation du nombre de certaines bactéries peu utiles et la réduction des bactéries potentiellement bénéfiques telles que Faecalibacterium prausnitzii, connue pour ses propriétés anti-inflammatoires. Or, cette bactérie produit du butyrate, qui permet la régulation de l’activité du système immunitaire. Ajouté à d’autres perturbations des niveaux de métabolites régulateurs par le microbiote intestinal, cela produit chez les malades une hyperactivation du système immunitaire notamment caractérisé par des réponses pro-inflammatoires accrues. « Ces perturbations ont également été liées à des symptômes spécifiques. Par exemple, les marqueurs du microbiote intestinal étaient plus étroitement liés aux problèmes gastro-intestinaux et aux symptômes émotionnels, tandis que les marqueurs immunitaires étaient plus prédictifs de la fatigue et de la douleur », détaille Julia Oh.
COVID LONG. Ces travaux éclairent du même coup les mécanismes probablement en jeu derrière le mystérieux Covid long, qui affecte les malades des mois, voire des années après un épisode d’infection par le Covid-19. « Le syndrome de fatigue chronique et le Covid long partagent de nombreux symptômes et probablement une biologie sous-jacente », confirme Julia Oh.
Vers des traitements contre le syndrome de fatigue chronique
Si ces découvertes sont essentielles pour les malades, c’est d’abord pour que leur souffrance soit comprise et prise au sérieux par les médecins. « Comme pour beaucoup de malades, durant les bilans d’éliminations diagnostiques, il a été évoqué la thèse psychiatrique, or je n’étais pas déprimée », témoigne Ariane. Une expérience malheureusement fréquente tant la maladie – y compris le Covid long – est mal saisie par les soignants. « En raison de l’absence de clairs marqueurs biologiques mesurables en laboratoire, certains médecins doutent de la réalité de la maladie et l’attribuent à des facteurs psychologiques », explique l’immunologiste Derya Unutmaz, co-auteur de l’étude. En réalité, cette nouvelle étude révèle que les malades souffrent de la perturbation de nombreux mécanismes de régulation de l’organisme comme la communication intestin-immunité ou intestin-cerveau.
Une maladie mieux comprise, c’est aussi une maladie mieux soignée. « À l’heure actuelle, le traitement du syndrome de fatigue chronique repose essentiellement sur les symptômes. Il n’existe pas de médicament approuvé par la FDA (autorités de santé américaines, ndlr), et les patients doivent souvent gérer leurs symptômes par le biais d’une stimulation, de médicaments contre la douleur ou le sommeil, et d’ajustements de leur mode de vie », constate Julia Oh, espérant que ces travaux ouvriront la voie à des soins plus personnalisés.
En France non plus, aucun traitement n’est indiqué contre le syndrome de fatigue chronique. Si cette étude ne permet pas formellement d’établir que le déséquilibre du microbiote intestinal et du métabolisme sont à l’origine de tout ou partie des symptômes, les chercheurs sont enclins à le penser. « Nombre de ces marqueurs sont biologiquement plausibles et potentiellement modifiables », appuie Julia Oh. De nouvelles stratégies thérapeutiques pourraient par exemple permettre de rétablir la production de butyrate en ciblant le microbiote ou l’alimentation, ou bien d’atténuer la réponse immunitaire et notamment l’activation de certains lymphocytes T (globules blancs) clés.
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