Africa-Press – Cameroun. 1. AppsTech
Sa notoriété, Rebecca Enonchong, 54 ans, la doit avant tout à son implication en faveur du développement des start-up africaines. Sur Twitter, elle compte plus de 158 000 followers. Cofondatrice du réseau AfriLabs, qui fédère aujourd’hui 347 hubs dans 52 pays du continent, mais aussi de l’incubateur camerounais ActiveSpaces, elle participe à de nombreux événements internationaux. Elle sera notamment présente à VivaTech, rendez-vous annuel de la tech mondial, organisé mi-juin à Paris, au cours duquel elle débattra en compagnie de Makhtar Diop, directeur général d’IFC, et du philanthrope anglo-soudanais Mo Ibrahim.
Les activités de son entreprise AppsTech sont, elles, moins connues. À partir de 1999, AppsTech devient l’un des distributeurs des solutions Oracle et opère aussi bien en Amérique du Nord qu’en Europe. L’entreprise profite notamment de la confiance du groupe France Télécom (devenu Orange). Au plus fort de son développement, AppsTech emploiera 200 salariés.
Depuis trois ans, Rebecca Enonchong développe à partir de Douala un système de gestion basé sur l’intelligence artificielle. D’ici à quelques semaines, l’entrepreneuse commercialisera, d’abord à destination des PME nord-américaines, une application capable de fournir des états financiers à partir de simples commandes vocales.
2. Un père précurseur
Rebecca Enonchong est la fille de feu Henry Ndifor Abi Enonchong, chef traditionnel du village de Besong Abang, situé dans la région du Sud-Ouest, non loin de la frontière avec le Nigeria. À la fin des années 1960, son père est le premier avocat camerounais à s’installer à Douala, après avoir attaqué en justice une disposition qui obligeait jusque-là à être inscrit au barreau de Paris. Quelques années plus tard, Henry N. Enonchong sera l’un des cofondateurs du barreau du Cameroun.
3. Crise anglophone
Dès son enfance, Rebecca Enonchong baigne dans les revendications autonomistes des populations du Sud-Ouest. Son père est l’un des fondateurs du Cameroon Anglophone Movement, ce qui lui vaudra d’être longtemps mis sous surveillance policière par le pouvoir.
Contrairement à ses frères et sœurs, elle fréquente néanmoins l’école française. Cette double culture lui permet de mieux comprendre l’origine de la crise. Depuis 2016, l’entrepreneuse n’a de cesse de dénoncer sur les réseaux sociaux les dégâts humains résultant du conflit entre les séparatistes et Douala. « Je sais ce que l’on disait à la maison et ce que l’on nous enseignait en classe. Et ce n’était pas la même lecture de l’histoire, le même vécu de la colonisation et de la décolonisation », explique-t-elle.
4. Maryland
Parti effectuer ses études aux États-Unis, le père de Rebecca Enonchong rencontre sa mère, blanche, originaire de Floride, dans l’État du Maryland. Lorsqu’ils se marient, en juin 1967, c’est le premier couple mixte à pouvoir le faire dans cet État, après la levée de l’interdiction des unions interraciales autorisées par la Cour suprême dans le cadre de l’arrêt Loving contre l’État de Virginie. Une semaine auparavant, Henry Enonchong obtenait son doctorat en droit de l’Université de Georgetown. Au début des années 1980, Rebecca Enonchong s’installera elle aussi dans l’Etat du Maryland avec sa mère. Cette dernière, bien que séparée de son père, est restée proche de la communauté camerounaise et hébergera pendant un an l’avocat Fongum Gorji Dinka, créateur du concept d’Ambazonie.
5. Coworking
Établie une partie du temps aux États-Unis, Rebecca Enonchong a ouvert il y a cinq ans à Silverspring, dans la banlieue de Washington, un espace de coworking dans un immeuble de quatre étages. Elle y accueille notamment les entrepreneurs et les artistes de la communauté africaine et afro-américaine. Le district de Columbia et le Maryland voisin comptent, depuis les années 1980, parmi les principaux points de chute des Camerounais outre-Atlantique. C’est par exemple à l’université Howard de Washington qu’Edith Kahbang Walla, cheffe d’entreprise et femme politique, a obtenu une licence en zoologie, puis un MBA. Sans compter ceux qui, comme Vera Songwe, sont passés par la Banque mondiale ou le FMI. Dix mille Camerounais vivraient à Washington et dans ses alentours.
6. Nationalité
Née à Yaoundé d’un père Camerounais, Rebecca Enonchong ne possède pourtant pas formellement la nationalité camerounaise, en vertu d’une loi qui empêche les citoyens du pays de détenir plusieurs nationalités. « Enfant, j’ai d’abord eu un passeport américain pour pouvoir visiter la famille de ma mère aux États-Unis. Depuis, on m’a proposé mille fois de m’aider à obtenir des papiers camerounais, mais je ne veux pas en faire la demande tant que la législation n’aura pas changé. Même si je trouve cette situation ridicule, finalement elle me protège des attaques de ceux qui disent que je pense à me lancer en politique », explique l’entrepreneuse.
7. Politique
Le pouvoir a bien essayé de l’attirer dans les rangs des partisans du chef de l’État en lui proposant, au milieu des années 2000, la direction d’une agence gouvernementale, mais Rebecca Enonchong a décliné. Depuis, sa liberté de ton l’a éloignée du parti présidentiel. Ses prises de position ne l’empêchent pas de travailler étroitement et depuis longtemps, au sein d’AppsTech, avec Éric Niat – le fils du président du Sénat–, lui aussi engagé au sein du RDPC (au pouvoir) et maire depuis 2021 de la commune de Bangangté, chef-lieu du département du Ndé dans la région de l’Ouest.
8. France
La liberté de ton de Rebecca Enonchong, Paris aussi en a fait les frais. Engagée dans l’aventure Digital Africa, la Camerounaise a claqué la porte avec fracas quand elle a réalisé que les Africains n’auraient guère voix au chapitre au sein de cette association dévolue aux start-up africaines créée sur instruction de l’Elysée. « Je ne suis pas hostile à la France, mais je la juge sur ses actes. Je la considère comme un partenaire comme un autre », insiste-t-elle. Elle salue d’ailleurs volontiers le soutien de l’Agence française de développement (AFD) à Afrilabs dans le cadre de la création de son académie. Elle reconnaît aussi avoir été touchée par la mobilisation des officiels français lors de sa mise en garde à vue de trois jours pour outrage à magistrat, l’an dernier, à Douala.
9. En conflit avec MTN
L’affaire n’est pas très connue, mais Rebecca Enonchong est en conflit avec le géant des télécoms MTN depuis 2004. Entre novembre 2002 et novembre 2003, son entreprise AppsTech a travaillé à la mise en place du système d’information de la filiale camerounaise du groupe panafricain, mais n’a pas réussi à se faire payer intégralement.
En 2005, la patronne a obtenu gain de cause en justice mais ne parvient pas, depuis, à faire exécuter la décision de justice qui ordonne à l’opérateur de lui payer encore 1,2 milliard de F CFA ( 2,75 millions d’euros). Il y a deux ans, des discussions ont laissé penser que les deux parties étaient prêtes à liquider ce vieux litige, mais MTN, qui estime être victime d’une escroquerie, a finalement décidé de porter plainte contre Rebecca Enonchong au pénal.
10. Djibouti Telecom
L’aventure n’aura duré qu’un peu plus d’un an. À la recherche d’une personnalité africaine médiatique pour accompagner sa transformation, l’opérateur djiboutien a recruté la Camerounaise, à la fin de 2020, par l’intermédiaire de Lionel Zinsou, ancien Premier ministre du Bénin et fondateur de la banque d’affaires Southbridge, dans son conseil d’administration. Curieuse de suivre de l’intérieur le projet d’ouverture du capital de Djibouti Telecom, l’entrepreneuse accepte la proposition. Mais, très vite, elle déchante. Personne n’entend écouter ce qu’elle a dire sur le fonctionnement de l’entreprise, dont la gouvernance ne répond pas forcément aux règles de l’art. Fin 2021, elle met à son initiative un terme à la mission, pour laquelle l’opérateur n’a à ce jour pas jugé bon de la rémunérer.
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