
Africa-Press – Cameroun. Au Moyen Âge, les maîtres verriers fabriquaient des vitraux en faisant fondre en mélange de sable et de cendres végétales. Puis ils ajoutaient de petites quantités de métaux comme du cobalt, du nickel ou du manganèse, qui absorbent certaines longueurs d’onde du spectre lumineux et produisent ainsi une palette de verres colorés illuminant les cathédrales.
La cuvée 2023 du Nobel de chimie honore trois chercheurs qui ont largement contribué à renouveler la science des couleurs – engendrées cette fois par des phénomènes quantiques à une échelle un million de fois plus petite qu’une tête d’épingle. Primés pour “la découverte et la synthèse des boîtes quantiques”, les procédés et théories qu’ils ont élaborés sont utilisés aujourd’hui pour une variété d’applications industrielles. Les écrans de télévision et d’ordinateurs QLED en particulier, le “Q” se rapportant à la nature quantique du système d’affichage.
Une troisième dimension au tableau périodique des éléments
A quoi correspondent donc ces “boîtes quantiques” (quantum dots, en anglais) ? Il s’agit de cristaux de semi-conducteurs d’une taille infime, composés typiquement de quelques centaines d’atomes, soit un diamètre de quelques milliardièmes de mètre (nanomètres). Si petits que les effets quantiques qui se manifestent alors déterminent les propriétés physiques de ces cristaux. Les électrons qui s’y trouvent piégés modifient notamment les couleurs émises.
Mais ce qui est particulièrement intéressant est que ces couleurs dépendent directement de la taille des nanostructures, quel que soit l’élément chimique qui les compose. C’est comme si “le tableau périodique gagnait soudainement une troisième dimension, explique le comité Nobel. Les propriétés d’un élément ne sont plus dictées uniquement par leurs couches électroniques et le nombre d’électrons présents en périphérie. Car au niveau quantique, la taille compte également. Un chimiste souhaitant développer un nouveau matériau dispose ainsi d’un autre paramètre pour intervenir.”
Plus les cristaux sont petits, plus ils absorbent la couleur bleue
Alexei Ekimov, l’un des trois lauréats du Nobel de chimie, a été le premier, à la fin des années 1970, à fabriquer ce qu’on nommera par la suite des boîtes quantiques. Il travaille alors à l’Institut d’optique d’Etat Vavilov de Leningrad dans l’ex-URSS. Et s’intéresse, comme les maîtres verriers du Moyen Âge, aux verres teintés par des sels métalliques – en l’occurrence du chlorure de cuivre. Après avoir chauffé ces verres à différentes températures (entre 500 et 700°C), il constate que ceux-ci n’absorbent plus la lumière de la même façon. Un phénomène imputable à la taille variable des cristaux de chlorure de cuivre, conclut le chercheur grâce à des examens aux rayons-X, dont les diamètres peuvent fluctuer de 2 à 30 nanomètres. Plus leurs dimensions sont petites, plus ces nanocristaux tendent à absorber la couleur bleue. Publiés en 1981 dans une revue scientifique soviétique, les travaux pionniers d’Alexei Ekimov (78 ans actuellement) passent toutefois inaperçus pour les chercheurs situés de l’autre côté du rideau de fer.
Une découverte fortuite et indépendante
Notamment l’Américain Louis Brus (âgé aujourd’hui de 80 ans) des Laboratoires Bell dans le New Jersey, second lauréat du Nobel, qui de manière fortuite, travaillant en 1983 sur l’énergie solaire, met en évidence le même phénomène. Il utilise toutefois, pour sa part, des cristaux de sulfure de cadmium. Et ces particules sont intégrées non pas dans une matrice solide, mais en suspension dans un liquide. Par la suite, Louis Brus et son équipe chercheront à identifier d’autres nanostructures de ce type. Mais leurs travaux buttent à chaque fois sur les mêmes écueils : les cristaux n’ont pas une qualité homogène, présentent de nombreux défauts, et pire encore, ne possèdent pas toujours la même taille, engendrant ce faisant des couleurs différentes.
Un procédé révolutionnaire
C’est là que le troisième lauréat, Moungi Bawendi (62 ans aujourd’hui, de nationalité tunisienne, française et américaine), entre en scène. En 1993, cet ancien étudiant de Louis Brus ayant obtenu un poste au Massachusetts Institute of Technology invente un procédé relativement simple qui révolutionne le domaine. En saturant une solution en séléniure de cadmium et en jouant sur la température, il parvient à contrôler très finement la croissance des nanocristaux. Ceux-ci possèdent tous, désormais, les dimensions souhaitées. Et sont également de très bonne qualité, sans défaut !
De nouvelles applications à venir
Les recherches se développent ensuite à grands pas, permettant de produire des couleurs à la fois très pures et selon des procédés bon marché, moins polluants et peu gourmands en énergie. Outre les écrans d’affichages pour les télévisions et ordinateurs, les boîtes quantiques sont utilisées actuellement dans les lampes électroluminescentes, les panneaux solaires ou en chirurgie afin de détecter les tumeurs. Elles s’apprêtent à envahir aussi nos écrans de smartphones. Et pourraient être utilisées, à terme, pour le tri des déchets, la catalyse chimique, l’assistance à la conduite ou encore les calculateurs quantiques.
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