à Bamenda, le spectre de « la sale guerre »

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Cameroun : à Bamenda, le spectre de « la sale guerre »
Cameroun : à Bamenda, le spectre de « la sale guerre »

Africa-PressCameroun. La plus grande ville du Cameroun anglophone a été l’épicentre du mouvement de contestation, fin 2016. Mais au fil des années, le rêve s’est transformé en cauchemar et Bamenda est depuis prise en étau entre les Ambaboys et les forces de sécurité.

L’assaut était soigneusement préparé et n’a duré que quelques minutes. Il est environ 13 heures, ce samedi 30 janvier. Un 4×4 Land cruiser blindé aux couleurs de la police camerounaise roule sur l’axe Bali-Bamenda lorsqu’un engin explosif improvisé stoppe net sa progression. L’attaque porte la marque des milices ambazoniennes.

« Le choc de l’explosion m’a fait perdre connaissance, raconte l’un des rescapés. Nous avons ensuite été la cible d’un tir de lance-roquette. Heureusement pour nous, la déflagration nous avait tous projetés à l’extérieur du véhicule. »

Tirs nourris
Pris par surprise et essuyant les tirs nourris de kalachnikovs, les policiers camerounais se replient en brousse. Ils sont une dizaine et vont parcourir huit kilomètres à pied, désarmés et poursuivis par leurs assaillants. Il est près de 15 heures lorsqu’ils arrivent enfin à l’entrée de Bamenda et y trouvent du renfort.

L’attaque a été filmée. Quelques heures plus tard, elle est diffusée sur la toile. Pour les assaillants, que l’on entend prononcer des injures alliant français et pidgin, la mise en déroute des forces de l’ordre camerounaises est une victoire. À les en croire, ils ont agi en représailles à la mort quelques jours plus tôt de deux Ambazoniens.

Malgré l’insécurité qui perdure, les autorités camerounaises affichent un certain optimisme. Dans son discours à la jeunesse prononcé le 10 février dernier, le président Paul Biya explique que les groupes armés ne sont plus une menace qu’à « certains endroits du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ». Le ministre de l’Administration territoriale, Paul Atanga Nji, va plus loin et célèbre la « victoire du chef de l’État ». « La sécession a échoué […]. Le président de la République a gagné cette guerre contre les sécessionnistes », lance-t-il sur les antennes de la télévision nationale.

De fait ces dernières semaines, l’opération « Bamenda Clean » menée par le général de brigade Valère Nka, commandant de la 5e région militaire inter-armées, a baissé en intensité. Lancée le 8 septembre, dans le but de neutraliser les groupes séparatistes basés à Bamenda et dans ses environs, elle a permis l’arrestation de près de 200 individus. Plusieurs de leurs chefs ont également été neutralisés. Parmi eux, des figures du mouvement sécessionniste, à l’instar des « généraux » Mad Dog et Bush Rambo.

« Les Ambaboys sont partout »
Mais les Ambaboys ne s’avouent pas vaincus. Miliciens et généraux autoproclamés ont essaimé dans les collines verdoyantes et la menace est loin d’avoir disparu. Selon un décompte fait par les médias locaux, près d’une cinquantaine de personnes ont été tuées depuis le début de l’année 2021 : au moins 12 soldats, une quinzaine de séparatistes et autant de civils. Une source sécuritaire ajoute qu’au sein des groupes armés, de nombreux décès ne sont pas répertoriés et que le bilan pourrait donc être encore plus lourd.

Bamenda est l’un des principaux théâtres de cette crise qui déchire le Cameroun depuis la fin de l’année 2016. La plus grande ville du Cameroun anglophone a longtemps été le terreau idéologique du mouvement sécessionniste. C’est ici que, le 1er octobre 2017, des manifestants non armés ont pour la première fois brandi le drapeau bleu et blanc de l’Ambazonie. Depuis, le conflit a métastasé et les rêves d’indépendance se sont transformés en cauchemar. Aujourd’hui, Bamenda vit dans la peur des « Ambaboys » et des kidnappings avec demande de rançon.

« The boys are everywhere, prévient Sylvanus, un habitant de la ville. Ils sont partout ! » Le 3 février, comme beaucoup, Sylvanus a suivi dans un bar de la populaire Commercial Avenue la demi-finale du Championnat d’Afrique des nations (CHAN). Les Lions indomptables affrontaient le Maroc mais, dans l’assistance, chacun a veillé à demeurer silencieux. À Bamenda, l’expression d’un trop vif enthousiasme peut vous valoir la colère des séparatistes, explique Sylvanus, « parce qu’ils rejettent tout ce qu’ils associent à la République. » Fussent les joueurs de l’équipe nationale.

Sans uniformes scolaires
Depuis cinq ans, les journées « ville-morte » imposées par les Ambaboys sont scrupuleusement respectées. Et comme ils ne veulent pas entendre parler des écoles, qu’ils assimilent au pouvoir central, les écoliers ont pris l’habitude d’aller en classe sans uniformes ni cartables.

La crainte qu’inspirent les Ambazoniens n’a pourtant pas suffi à réconcilier les populations avec Yaoundé. Les violences et abus attribués aux forces de défense et de sécurité camerounaises continuent d’entretenir la défiance des Anglophones à l’égard du pouvoir central. Le 23 janvier dernier, les militaires ont été accusés d’avoir sommairement exécuté quatre jeunes dans le quartier de Meta Quarters. L’armée camerounaise s’est défendue, affirmant qu’il s’agissait de séparatistes, mais cette version n’a pas convaincu les populations en colère. « C’est pareil à chaque fois, gronde un témoin de la scène. Si l’armée vous prend, ils diront que vous êtes Amba. Si les Ambaboys vous prennent, ils vous accuseront de collaborer avec l’armée. »

« Cela va continuer ainsi pendant de longues années encore », prévient Ignatius Nkeng Tifuh. Avocat basé à Bamenda, il explique que « toute une économie s’est développée autour de la guerre. » « Les Ambaboys gagnent beaucoup d’argent avec leurs opérations terroristes. Et en face, la situation est assez similaire, puisque le budget [alloué à la Défense] ne cesse d’augmenter. Si chaque camp y trouve son intérêt, comment cela pourrait-il s’arrêter ?» Les habitants de Bamenda, eux, n’ont pas fini de subir les affres de ce que les soldats camerounais appellent désormais « la sale guerre ».

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