Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Cameroun. Il est nécessaire de souligner d’abord que les Etats-Unis ne se sont intéressé que tardivement à l’Afrique, car le continent est géographiquement très éloigné du centre de décision américain et occupait pendant longtemps, en matière d’échanges avec le pays, une place mineure.
C’est en fait pendant la guerre froide, et en particulier à partir de l’entame des décolonisations, qu’allait se dessiner la stratégie américaine à l’égard de l’Afrique. On peut même dire que l’intérêt des États-Unis pour le continent africain est de plus en plus ostensible. La stratégie pour l’Afrique de la Maison-Blanche de 2022 a souligné l’importance de celle-ci dans la conduite de la politique étrangère des États-Unis.
Néanmoins, les bouleversements géopolitiques n’ont fait qu’activer la redistribution des cartes sur le continent brun et de nouveaux acteurs, dont la Chine et la Russie, s’y sont installés durablement.
Si aujourd’hui le regard de Washington ne peut s’en détourner, l’Afrique n’a pas toujours suscité l’enthousiasme des administrations au pouvoir précédent.
• Points clés du « Liberty Development Corridor »
Le Liberty Development Corridor en Afrique de l’Ouest constitue une manifestation de la cristallisation d’un nouveau modèle américain de corridors de développement, à travers lequel « Washington cherche à rendre son modèle plus attractif pour les partenaires africains que le modèle chinois », en termes de dépendance au secteur privé, des partenariats régionaux multilatéraux, un développement global et un partage équitable des revenus.
De facto, il importe de souligner que les Etats-Unis n’ont pas l’intention de lâcher le Continent africain, ni de laisser les autres puissances y faire « cavaliers seuls ».
Selon les experts, le projet Liberty Development Corridor, conçu de manière à permettre aux Etats-Unis d’être un solide pilier en Afrique, s’articule autour de trois axes principaux:
1 -/- d’abord, exploiter la ligne ferroviaire déjà existante reliant la ville de Yekipa et le port de Buchanan sur l’Atlantique, qui s’étend sur 273 km de long, mais après avoir été modernisée, développée et augmentée son efficacité, en plus de l’étendre vers le nord pour une longueur de 2 km pour atteindre l’intérieur de la Guinée afin d’arriver jusqu’aux mines guinéennes de bauxite et de fer dans les régions de Zogota et Nimba.
2 -/- ensuite, le deuxième axe, qui représente l’ajout le plus important au projet, est la construction du nouveau port de Didia au Libéria, un port en eau profonde qui sera relié aux centres miniers du sud de la Guinée par une nouvelle ligne ferroviaire polyvalente. Grâce à la construction du nouveau port, le Libéria cherche à améliorer la compétitivité de ses ports maritimes pour suivre le rythme de l’essor rapide des ports du golfe de Guinée.
3 -/- et enfin, étendre les réseaux de transport d’énergie électrique issue des projets de production d’électricité depuis les barrages de Boyo et Soubé, à l’ouest de la Côte d’Ivoire, jusqu’à la région de Nimba, tant du côté guinéen que libérien, tout en améliorant les infrastructures existantes de transport et de production d’énergie dans la région frontalière entre les trois pays. En plus d’étendre un réseau de communications avancé basé sur des lignes de fibre optique par la société américaine « I-Pulse ».
Ces experts affirment que les chances de succès du projet Liberty Development Corridor restent élevées en raison du modèle différent présenté par le projet à la lumière de ses multiples dimensions et des pays impliqués, et de la tendance traditionnelle des gouvernements libériens à coopérer avec les États-Unis en tant que partenaire international privilégié.
Ce projet en Afrique de l’Ouest représente une manifestation de la cristallisation d’un nouveau modèle américain de corridors de développement, quelques mois après le lancement du projet Lobito Corridor dans le sud du continent.
• A propos du Lobito Corridor
Il consiste en une ligne ferroviaire de 1 300 km traversant l’Angola depuis l’océan Atlantique jusqu’aux frontières du pays avec la RDC et la Zambie. Le Corridor a connu un regain d’intérêt ces derniers mois, comme en témoigne la signature de protocoles d’accord et d’accords conclus, dont la plupart concernent le développement du Corridor et les activités liées aux technologies énergétiques vertes et propres, en particulier les produits de la chaîne de valeur des batteries pour véhicules électriques. Cependant, même si la motivation de cette attention est compréhensible, certains facteurs et dynamiques indiquent que la viabilité du Corridor pourrait être remise en question. L’UE et les États-Unis devront rester conscients de ces dynamiques défavorables et mettre en place des mesures appropriées pour y remédier.
• Retour au Liberty Development Corridor
Les États-Unis cherchent à rendre leur modèle plus attractif pour les partenaires africains que le modèle chinois, en termes de dépendance à l’égard du secteur privé, de partenariats régionaux multilatéraux, de développement global et de partage équitable des revenus des projets.
A dire vrai, ce projet vient confirmer le sérieux des intentions des États-Unis de s’engager fortement dans le domaine de la construction et de l’exploitation de corridors de développement en Afrique, alors que les premiers mois de 2024 ont été témoins d’évolutions rapides dans la conclusion des accords entre le gouvernement libérien et la société américaine « High Power Exploration (HPX) », et la société sud-africaine « Joma Africa » pour la construction d’un nouveau corridor de développement reliant les ports libériens de l’océan Atlantique aux centres miniers du sud de la Guinée.
• Lancement du projet Liberty Corridor et ses axes opérationnels
En effet, en février 2024, le président libérien Joseph Boakai a signé un accord avec la société américaine High Power Exploration et la société sud-africaine Joma Africa, afin d’établir un nouveau corridor de développement en Afrique de l’Ouest reliant le sud de la Guinée aux côtes portuaires du Libéria. Le nouveau corridor est appelé Liberty Development Corridor (voir carte ci-après). On s’attend à ce que des investissements soient injectés dans le projet, avec ses dimensions intégrées, estimés à environ 5 milliards de dollars.
• Le côté positif et les motivations dudit projet
Le succès de ce projet, notamment le Liberty Development Corridor, repose sur un certain nombre de facteurs motivant, comme énumérés ci-dessous:
1 -/- Le caractère régional du projet, qui s’est manifesté dans l’annonce par l’Organisation de l’Union du Fleuve Mano de son soutien au projet dès le premier jour, et sa volonté de le transformer en un pilier de l’intégration régionale entre les pays de l’Union, qui comprend quatre pays voisins, à savoir: le Libéria, la Guinée, la Côte d’Ivoire et la Sierra Leone.
2 -/- L’intégration entre les rôles du secteur privé et le soutien du gouvernement au projet, qui s’inscrit dans le cadre de l’initiative américaine lancée en 2022, baptisée « Partenariat mondial pour les infrastructures et l’investissement (PGII) ».
3 -/- La diversité des sous-projets associés au corridor de développement, tel qu’il ne se limite pas à un itinéraire de transport de matières premières vers les ports d’exportation, mais s’étend également au développement global des infrastructures des régions centrales du Libéria et des régions méridionales de la Guinée.
4 -/- La forte demande pour des moyens permettant de faciliter l’accès des importantes réserves guinéennes de minerai de bauxite (principal intrant de l’industrie de l’aluminium) au marché mondial, à l’heure où la Guinée détient le deuxième rang dans la liste des producteurs mondiaux de bauxite, avec une part de 22% de la production mondiale.
5 -/- L’avantage relatif des ports libériens dans l’exportation des minerais guinéens. Bien que le port guinéen de Kamsar soit l’un des ports les plus importants au monde pour l’exportation du minerai de bauxite, cependant, sa situation à l’embouchure du fleuve Nunez, à environ 17 kilomètres des eaux profondes de l’Atlantique, rend impossible l’accès des grands navires.
• Le côté négatif et les obstacles que peut rencontrer le projet
Comme toute idée et tout nouveau projet, le Liberty Development Corridor se heurte à deux obstacles importants, notamment les suivants:
A. Concurrence croissante entre les États-Unis, l’Europe et l’Inde sur le projet
High Power Exploration HPX a lancé sa première tentative sur le projet Liberty Development Corridor en 2019, en le présentant à l’ancien président George Weah, président de la république du Liberia de 2018 à 2024, ce qui a abouti à la signature d’un plan de travail préliminaire qui a été approuvé en 2021.
Après les tergiversations du gouvernement libérien, la mise en œuvre du projet est restée au point mort, sachant que cet échec est le résultat du rapprochement entre le président Weah et l’entreprise euro-indienne Arcelor-Mittal.
L’ancien président du Libéria: George Weah
Après que le candidat de l’opposition Joseph Boakai ait gagné avec une faible marge de voix face à l’ancien président Weah, le nouveau gouvernement a commencé à œuvrer pour réduire l’influence d’Arcelor-Mittal au Libéria.
B. La présence chinoise croissante dans le secteur minier guinéen
On s’attend à ce que la concurrence internationale pour le secteur minier guinéen s’intensifie après que le gouvernement guinéen ait annoncé en avril 2024 l’achèvement de la signature d’un nouvel accord garantissant l’injection d’investissements d’une valeur de 15 milliards de dollars pour développer les opérations d’extraction, de transformation et d’exportation du minerai de fer dans la mine de Simandou.
Cet accord prévoit la construction d’un nouveau port d’exportation à Moribaya, au sud de la capitale Conakry, sur la côte atlantique, relié aux mines de Simandou par une nouvelle ligne ferroviaire.
Le projet devrait entrer en service fin 2025.
• Deux autres scénarios non négligeables pointent à l’horizon futur
Il importe de noter que l’avenir du projet Liberty Development Corridor peut être anticipé à travers les deux scénarios suivants:
Premier scénario
La réussite du projet américain Liberty Corridor à se transformer en un nouveau modèle de partenariat international dans le domaine des corridors de développement africains. Ce scénario présente les chances les plus probables, pour les raisons suivantes:
X – Les grandes capacités d’investissement de l’alliance entre les entreprises américaines et sud-africaines impliquées dans le projet.
XX – Grand soutien au projet américain de la part du nouveau président libérien Boakai, assurant un soutien politique continu pendant les années de création du projet.
XXX – L’engagement officiel américain à soutenir les projets de corridors de développement en Afrique comme un mécanisme important pour freiner l’expansion chinoise.
Second scénario
Le projet peut échouer en raison de l’intensité accrue de la concurrence internationale, notamment à la lumière de la présence continue de l’entreprise euro-indienne Arcelor-Mittal dans les mines de la région de Nimba, et à la lumière des efforts de la Chine pour étendre sa présence dans le secteur minier guinéen au Libéria.
Cependant, les chances de réussite du projet Liberty Corridor restent élevées en raison du modèle différent que le projet présente à la lumière de ses multiples dimensions et des pays impliqués, et de la tendance traditionnelle des gouvernements libériens à coopérer avec les États-Unis en tant que partenaire privilégié.
Le Mot de la fin
Il faut admettre que la politique africaine des Etats-Unis s’est donc basée en premier lieu sur un intérêt stratégique, à savoir « tenir le continent en dehors de l’orbite de la Russie et de la Chine », et malgré l’accroissement du commerce entre les États-Unis et l’Afrique depuis une vingtaine d’années, les échanges restent relativement modestes.
Washington peine également à concurrencer Pékin sur des questions d’intérêt national comme l’approvisionnement en ressources stratégiques et leur politique militaire se trouve de plus en plus confrontée au développement de la politique sécuritaire russe.
Par ailleurs, la rivalité avec la Russie demeure plutôt d’ordre sécuritaire et entraine, par conséquent, des initiatives dans ce sens. Les États-Unis ont par exemple tenté récemment de favoriser l’implantation en Centrafrique d’une compagnie privée militaire américaine au détriment de Moscou.
D’autre-part, la concurrence avec la Chine est en revanche d’ordre économique ou concerne l’accès aux ressources minérales. La stratégie américaine pour l’Afrique est nettement plus influencée par son retard commercial sur la Chine que par ses antagonismes avec la Russie, un constat qui dépasse d’ailleurs le cadre africain et s’étend plus globalement à l’ensemble de la politique étrangère américaine.
Toutefois, les États-Unis sont, pour l’instant, très en retard sur la Chine en Afrique:
• les échanges avec Pékin y sont quatre fois plus importants qu’avec les États-Unis
• et les Chinois se sont beaucoup investis aux quatre coins du continent, dans la Corne de l’Afrique, en Guinée, en Zambie, et dans plusieurs autres pays dont la République démocratique du Congo où elle sécurise des accès prometteurs en lithium et possède une grande partie des mines de cobalt.
Pour tenter d’imposer son influence et favoriser son accès aux minerais, dans le cadre de cette concurrence, l’administration Biden continue de lancer en Afrique des initiatives comme celle du « Liberty Development Corridor ».
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