Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Cameroun. Nous avons appris ces derniers jours que le président du Cameroun, Paul Biya, 92 ans, considéré comme le doyen de tous les États du monde, a annoncé sa candidature à la présidence du pays, pour un huitième mandat, malgré que ses problèmes de santé ne sont pas passés inaperçus.
En effet, Paul Biya a déclaré sur son compte « X » (ex-Twitter) qu’il briguerait un nouveau mandat lors de l’élection présidentielle prévue le 12 octobre de l’année en cours. Il a ainsi justifié sa décision: « Je suis candidat à l’élection présidentielle. Soyez assurés que ma détermination à vous servir est à la hauteur des défis auxquels nous sommes confrontés ».
L’actuel président, certes, ne cache pas son envie de briguer un nouveau mandat qui pourrait le maintenir au pouvoir jusqu’à l’approche de son « 100e anniversaire », après avoir passé près d’un demi-siècle au pouvoir, il y a plus de quarante ans, lorsque son prédécesseur, Ahmadou Ahidjo, avait démissionné en 1982 pour des raisons de « conditions de santé ».
Néanmoins, son état de santé a fait l’objet de nombreuses spéculations, particulièrement au cours de l’année dernière, lorsqu’il avait disparu de la scène publique pendant 42 jours, et quand des rumeurs de sa mort avaient circulé en novembre 2024, à Genève.
Cependant, le gouvernement avait démenti ces rumeurs, environ deux semaines plus tard, en interdisant toute discussion sur la santé du président, estimant qu’il s’agissait d’une question de sécurité nationale.
Biya apparait rarement, déléguant souvent ses responsabilités à son puissant Directeur du Cabinet Civil de la présidence de la République, Samuel Mvondo Ayolo, quant à sa candidature à sa réélection en tant que président, qui était largement attendue, n’a été officiellement confirmée que par sa publication sur le réseau social « X », le dimanche 13 juillet.
Cependant, les partis d’opposition et certaines organisations de la société civile ont critiqué cette décision, affirmant que son règne prolongé avait freiné le développement économique ainsi que la démocratisation dans le pays, alors que depuis l’année dernière, des membres du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (MPD), le parti au pouvoir, et d’autres partisans également, ont publiquement appelé Biya à briguer un nouveau mandat.
Dans ce contexte, il importe de rappeler que Biya avait déjà modifié la Constitution en 2008, et aboli entre-autres la limitation du nombre de mandats présidentiels, lui permettant ainsi de se présenter indéfiniment.
Qui soutient Paul Biya et tente de le maintenir en poste le plus longtemps possible?
-/- Rôle de la France dans le soutien de Paul Biya au Cameroun
La France a historiquement joué un rôle important dans le soutien accordé au régime de Paul Biya au Cameroun, notamment à travers des relations politiques, économiques et militaires étroites.
Ci-après quelques aspects clés de ce soutien:
1. Soutien politique et diplomatique
Après l’indépendance du Cameroun en 1960, la France avait maintenu une forte influence à travers une panoplie d’accords de coopération. Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, a bénéficié de ce réseau diplomatique français, notamment au sein de l’ONU et dans d’autres instances internationales, où la France a souvent évité de critiquer ouvertement son régime.
Idem pour le silence affiché de la France sur les dérives autoritaires du président camerounais. Malgré les accusations de fraudes électorales, répression politique et violations des droits de l’homme, la France a longtemps adopté une position prudente, privilégiant la « stabilité » plutôt que la démocratisation.
2. Soutien économique et financier
Au niveau de l’aide publique au développement, la France a été un bailleur de fonds important pour le Cameroun, bien que certains fonds aient été critiqués pour avoir renforcé un système clientéliste.
Du point de vue « Investissements stratégiques », des entreprises françaises telles que « Total, Bolloré, Orange, etc. », sont très présentes dans les secteurs clés (énergie, transports, télécoms), ce qui a parfois consolidé l’élite au pouvoir.
3. Coopération militaire et sécuritaire
La France a fourni un appui logistique et des formations aux forces de sécurité camerounaises, y compris celles accusées d’exactions dans la lutte contre « Boko Haram » et dans les régions anglophones en crise.
C’est ainsi que, jusqu’en 2020, la France maintenait une base militaire à Douala dans le cadre d’accords de défense, renforçant ainsi la coopération sécuritaire.
4. Pressions accrues sur les droits de l’homme
Il faut dire que sous Macron, la France a légèrement durci son discours, évoquant des préoccupations sur la gouvernance, mais sans rupture nette.
Toutefois, une réduction progressive de l’influence française au Cameroun a été constatée, du fait que la Chine, la Russie et d’autres acteurs ont gagné du terrain, réduisant le monopole français. Cependant, les liens économiques et sécuritaires sont restés forts.
5. Accusations de complicité
Des ONG n’ont pas caché leur colère en dénonçant le rôle de la France dans la perpétuation d’un régime autoritaire, via son soutien indirect, faisant apparaître un mécontentement populaire. Effectivement, une partie de la jeunesse camerounaise rejette l’héritage « françafricain », perçu comme un obstacle à la démocratie.
Ces jeunes accusent la France de soutenir depuis longtemps Paul Biya pour des raisons géopolitiques et économiques, malgré les dérives autoritaires de son régime. Bien que son influence relative diminue, elle reste un partenaire clé du Cameroun, entre pragmatisme et critiques modérées.
-/- Rôle de l’occident dans le soutien du président camerounais et d’autres dirigeants africains
La question du soutien occidental aux dirigeants africains, comme Paul Biya au Cameroun, est souvent complexe et liée à des intérêts géopolitiques, économiques et sécuritaires.
Voici donc quelques éléments pour comprendre cette dynamique:
a) Contexte politique au Cameroun
Paul Biya, assis aux commandes présidentielles au Cameroun, depuis 1982, fût réélu plusieurs fois dans des scrutins contestés par l’opposition et par les observateurs internationaux. Son long règne de 43 ans exactement, est marqué par une stabilité relative, mais aussi par des accusations de corruption, de répression politique et de tensions, notamment dans les régions anglophones (crise du Nord-ouest et du Sud-ouest).
b) Position des pays occidentaux
Les pays occidentaux (États-Unis, France, Union européenne, etc.) soutiennent parfois des dirigeants controversés pour des raisons stratégiques
De facto, le soutien occidental dont Paul Biya est « nanti », n’est pas unanime ni inconditionnel, mais il reflète une « realpolitik » où les principes démocratiques passent parfois après les intérêts stratégiques. Cette situation alimente le cynisme envers la politique étrangère des pays occidentaux en Afrique.
Comprendre ces facteurs:
Stabilité régionale:
Le Cameroun étant un acteur clé dans la lutte contre l’organisation terroriste de Boko Haram et l’extrémisme en Afrique centrale.
Intérêts économiques:
Le Cameroun possède des ressources naturelles riches et variées, dont on peut citer le pétrole, le bois, et l’agriculture, ainsi que des partenariats avec des entreprises occidentales.
Influence géopolitique:
Il faut se mettre à l’évidence que, la France, notamment, entretient des relations historiques avec ses anciennes colonies, bien que cette influence soit de plus en plus critiquée.
En plus, officiellement, l’Occident prône la démocratie et les droits de l’homme, mais dans les faits, il peut fermer les yeux sur les dérives autoritaires pour préserver ses intérêts.
A ce propos, on doit noter que la France a souvent été accusée de soutenir Biya malgré les irrégularités électorales, tandis que les États-Unis adoptent parfois un discours plus critique.
c) Critiques et contradictions
Les ONG et les médias internationaux dénoncent régulièrement ce double discours, qui affaiblit la crédibilité des démocraties occidentales en Afrique, sachant que la jeunesse camerounaise et la diaspora sont de plus en plus mobilisées contre ce qu’elles perçoivent comme une ingérence ou une complicité étrangère.
d) Alternatives et pressions
Toujours dans le même contexte, certains pays occidentaux conditionnent leur aide à des réformes démocratiques, mais sans rupture radicale, alors que la Chine et la Russie, concurrentes des puissances occidentales en Afrique, proposent quant à elles des partenariats sans exigences politiques, ce qui complique la position de l’Occident.
L’Opposition camerounaise et son rôle à ce sujet
Après la démission de l’ancien président Ahmadou Ahidjo en 1982, et s’appuyant sur une disposition constitutionnelle accordant au Premier ministre le droit d’assumer la présidence en cas de vacance, Paul Biya avait continué à diriger le pays à travers différentes phases politiques, grâce à ses victoires consécutives à chaque élection présidentielle depuis son accession au pouvoir.
Le 26 avril 1991, Biya rétablit son poste de Premier ministre et décréta une amnistie générale le 30 avril de la même année, notamment en faveur de nombreux opposants politiques et prisonniers d’opinion. Cette amnistie visait à apaiser la population et à « créer un climat propice au dialogue national et à une transition pacifique vers un système multipartite ».
Cette amnistie s’inscrivait dans un contexte de pressions internes et externes, notamment une vague de protestations réclamant des réformes politiques et le multipartisme au début des années 1990, en pleine période de mouvement de libération politique qui balayait alors l’Afrique. Elle était également imposée par la pression de la France, dont Biya tenait à obtenir l’approbation et recherchait le soutien indéfectible.
Cependant, au cours de son mandat, il a dû faire face à des défis internes complexes, notamment le conflit qui a éclaté dans les régions du nord, majoritairement musulmanes et anglophones, lorsque les manifestations appelant à des réformes politiques en 2016 ont dégénéré en un conflit armé qui a fait des milliers de morts.
Dans cette nouvelle course à la présidentielle d’octobre 2025, Biya doit affronter plusieurs figures de l’opposition, dont son dauphin de 2018, Maurice Kamto, du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun, un avocat, universitaire et homme politique camerounais qui fût l’ancien ministre délégué à la Justice, Joshua Ossé, du Front Social Démocratique, et l’avocat Akere Muna, du Parti de la Réconciliation Nationale du Cameroun, également candidat à l’élection présidentielle camerounaise de 2018.
Paul Biya et les candidatures de personnalités de son entourage
Il convient de noter que plusieurs alliés de longue date de Paul Biya ont récemment fait défection pour annoncer leur candidature à la présidence, argumentant ainsi leur geste:
« Après plus de 40 ans au pouvoir, le pays a besoin d’un renouveau, et non d’une répétition. Le peuple camerounais mérite un changement démocratique et un leadership responsable ».
Parallèlement, la scène politique a connu une activité sans précédent fin juin 2025, suite à l’annonce de deux autres personnalités, affiliées au mouvement du président Biya, de leur candidature à la prochaine élection présidentielle.
a) L’ancien ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle et porte-parole du gouvernement, Issa Tchiroma Bakary, qui a annoncé sa candidature à l’élection présidentielle le 26 juin 2025, au nom du Front national pour le salut du Cameroun.
Cette annonce est intervenue seulement 24 heures après sa démission de ses fonctions gouvernementales, déclarant que « le peuple camerounais est confronté à une opportunité historique qu’il doit saisir pour le changement et pour surmonter les difficultés auxquelles les citoyens sont confrontés ».
b) Le ministre du Tourisme et des loisirs, Bello Bouba Maigari, a annoncé le 30 juin dernier avoir accepté d’être le candidat du parti de « l’Union nationale pour la démocratie et le progrès » pour se présentera à l’élection présidentielle de 2025.
Réactions du clan des opposants et des jeunes
Des spécialiste des affaires africaines ont laissé entendre qu’: « Il n’y a pas d’opposition au Cameroun, seulement une opposition symbolique, formelle et timide. Dans ce pays, de véritables opposants politiques ont été éliminés, exclus, emprisonnés ou ont fui à l’étranger. C’est le cas dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, comme le Tchad, la République démocratique du Congo, entre autres ».
« Bien qu’il existe une opposition significative au maintien au pouvoir de Paul Biya au Cameroun, même de la part du peuple lui-même, il n’existe pas de véritable opposition capable d’y mettre fin par des élections présidentielles ou par tout autre moyen », ont-ils expliqué.
En annonçant sa candidature à l’élection présidentielle camerounaise de 2025 à l’âge de 92 ans, Paul Biya ne pose pas seulement un acte politique local. Il inflige au continent africain une blessure morale, philosophique et historique.
Il s’agit là d’un geste qui n’est pas seulement inacceptable politiquement, il est destructeur symboliquement: il enterre un siècle d’efforts pour penser une Afrique digne, autonome, responsable et souveraine.
« C’est normal. Nous lui avons donné tous les pouvoirs. Pour moi, il est un roi, et un roi ne démissionne pas, il ne quitte jamais le trône », a confié l’un des habitants de la capitale, Yaoundé.
Ce n’est pas seulement le Cameroun qui est concerné: c’est toute l’Afrique qui est trahie.
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