Crise diplomatique Tchad / Cameroun : Est-ce « une bombe à retardement ou un ballon dégonflé » ?

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Crise diplomatique Tchad / Cameroun : Est-ce « une bombe à retardement ou un ballon dégonflé » ?
Crise diplomatique Tchad / Cameroun : Est-ce « une bombe à retardement ou un ballon dégonflé » ?

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Cameroun. Une brusque crise diplomatique entre le Tchad et le Cameroun a eu lieu durant la quatrième semaine du mois d’avril 2023, provoquée semble-t-il par les compagnies pétrolières « Savannah Energy » et « ExxonMobil », ayant incité le gouvernement tchadien à rappeler d’urgence son ambassadeur Ahmat Mahamat Karambal, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire accrédité à Yaoundé, au Cameroun.

Le rappel du diplomate tchadien a été confirmé par Gali Ngothe Gatta, ministre d’État et secrétaire général à présidence tchadienne, et selon les informations recueillies auprès de certains médias, « des responsables camerounais auraient fourré leur nez dans les affaires intérieures du Tchad ».

Ainsi, il semble que la société britannique Savannah Energy et l’américain Exxon Mobil auraient donc provoqué cette crise diplomatique entre les deux pays voisins, en raison d’un accord d’acquisition controversé entre les entreprises et les responsables des deux pays.

Selon une version officielle, le secrétaire général de la présidence de la République au Tchad, Ferdinand Ngoh Ngoh, a accusé des personnalités camerounaises, qu’il n’a pas nommées, d’affluer vers la société Savannah Energy, actuellement impliquée dans un différend avec son pays, selon ce qui a été rapporté par le site Energy Voice, une plate-forme spécialisée en énergie.

Il faut se mettre à l’évidence que ladite crise est intervenue tout juste un mois seulement après la tenue à Yaoundé de la dernière session de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la « Cemac » (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale) en marge de laquelle l’on a vu le général Mahamat Idriss Deby Itno tout sourire avec son homologue camerounis Paul Biya qu’il considère comme un père. Yaoundé n’a toujours pas réagi officiellement depuis le déclenchement de cette crise, mais sa réaction ne devrait pas tarder.

Il est à noter également que le Tchad est un allié de poids du Cameroun, notamment dans la lutte contre « Boko Haram ». Une brouille systémique entre les deux voisins pourrait être préjudiciable à la poursuite de cette collaboration sécuritaire.

Par ailleurs, sur le plan purement économique, le Tchad, au-delà de son pétrole produit à Doba qui passe par le Cameroun à travers le Pipeline Tchad-Cameroun et qui génère en moyenne 20 milliards de Fcfa au trésor camerounais par semestre, fait transiter environ 900.000 tonnes de marchandises par le Cameroun à travers le corridor Douala-N’Djamena.

Les conséquences, si les deux pays venaient à raidir leurs positions ou à sur réagir relativement aux dissensions sur ce dossier, pourraient être lourdes pour le Tchad

Pourquoi donc les relations ont-elles été si tendues ?

La décision de rappeler l’ambassadeur serait intervenue après que la Société nationale camerounaise du pétrole et du gaz “SNH” ait annoncé un accord avec Savannah Energy pour acheter 10% de l’oléoduc d’exportation de pétrole qui s’étend du Tchad au Cameroun.

D’après nos sources, les deux sociétés ont signé un accord bilatéral le 20 avril 2023 pour transférer cette participation dans « Cameron Oil Transportation » pour 44,9 millions de dollars, incitant le gouvernement tchadien à envoyer une objection écrite officielle le même jour, dans laquelle le Tchad a protesté contre cet accord qui contredit les accords de fondation et d’organisation de la société « Cameron Oil Transportation » (COTCO), propriétaire de l’oléoduc d’exportation de pétrole qui traverse les deux pays.

Le dilemme du pays enclavé qu’est le Tchad

L’oléoduc en question s’étend sur plus de 1.000 kilomètres entre le Tchad et le Cameroun, et c’est une ligne très vitale pour un pays géographiquement enclavé comme c’est le cas du Tchad, car il utilise l’oléoduc pour transporter son pétrole brut vers la côte du golfe de Guinée et de là vers les marchés européens et autres.

Les pays pétroliers, qui sont privés de côtes maritimes, souffrent du dilemme du trafic, qui les oblige à utiliser le territoire et les côtes des autres, pour pouvoir exporter leurs produits à l’étranger, ainsi qu’à importer leurs besoins en produits, ce qui les place dans une situation presque dépendant du pays de transit.

Il importe de noter que ce n’est pas seulement le Tchad qui souffre du dilemme de l’enclavement en Afrique, mais 14 autres pays africains partagent le même sort, dont on peut citer notamment : le Burkina Faso, l’Éthiopie, le Mali, le Niger, le Rwanda, le Soudan du Sud, l’Ouganda, la Zambie, le Zimbabwe.

C’est d’ailleurs pour cette raison, que le Tchad craint l’intensification du contrôle des parties extérieures sur un pipeline qui lui est très vital, et tente de négocier avec les entreprises ayant l’intention de s’en aller, pour acheter leurs actions à la place des autres.

Quel est ce problème du « Contrôle des pipelines » ?

A ce propos, il faut savoir que le Cameroun cherchait depuis des années à augmenter sa part dans l’oléoduc, dans le but d’en resserrer le contrôle, et la société britannique Savannah Energy poursuit le même objectif, ce qui a provoqué la colère des responsables tchadiens.

En faisant un pas en arrière, précisément en 2021, on constate que la société britannique Savannah Energy avait proposé de racheter 21% de la participation de la Société nationale camerounaise du pétrole et du gaz « SNH » dans le pipeline, et ce, pour 275 millions de dollars.

Par ailleurs, l’année d’après (2022), le gouvernement camerounais a tenté de mener des négociations avec le Tchad pour augmenter sa part dans le pipeline, à travers des visites de délégations officielles de haut niveau en avril et novembre de la même année, mais les délégations dépêchées n’ont pas réussi à s’emparer d’une plus grande part du pipeline, selon Energy Voice.

La goutte qui aurait fait déborder le vase

Les relations entre les gouvernements des deux pays se sont tendues après que la société américaine Exxon Mobil, actionnaire du pipeline, a annoncé la vente de ses actifs au Tchad et au Cameroun à la société britannique Savannah Energy en décembre 2022, pour 407 millions de dollars.

Néanmoins, le Tchad s’est opposé à cet accord de manière stricte, en nationalisant les actifs d’ExxonMobil dans le pays, le 23 mars 2023, ce qui a contribué à alimenter le conflit avec les grandes compagnies pétrolières et gazières internationales.

En fait, le gouvernement tchadien a protesté contre cet accord, car ses conditions définitives, violent les obligations contractuelles avec la société américaine ExxonMobil, selon ce qui a été rapporté par les médias spécialisés du secteur énergétique.

Et en d’autres termes, la décision de nationalisation prévoyait la confiscation de tous les actifs, droits de concession et permis d’exploration accordés à « Esso Exploration and Production Chad », filiale de l’américain Exxon Mobil Corporation.

On a la sensation que l’avenir d’Esso Tchad fait l’objet depuis plusieurs mois d’un bras de fer entre le gouvernement tchadien et une compagnie britannique, notamment la Savannah Energy, et dans ce contexte, le gouvernement a confirmé qu’il avait pris des mesures pour garantir tous ses intérêts, y compris le recours aux tribunaux internationaux, pour arrêter la vente et le transfert d’actions entre les sociétés américaines et britanniques, sachant qu’Exxon Mobil détient 40% de l’oléoduc d’exportation de pétrole entre le Tchad et le Cameroun, en plus de 40% du projet pétrolier de Doba au Tchad, qui a une capacité de production d’environ 28.000 barils par jour.

Les autorités tchadiennes s’estiment désormais propriétaires des actifs d’Esso Tchad, dont sa participation au capital de « Cameroon Oil Transportation Company (COTCO) ». Or, c’est cette COTCO, dont 41% du capital était détenu par Esso Tchad, qui gère l’oléoduc entre les champs pétroliers tchadiens et le port autonome camerounais de Kribi.

C’est ainsi que Ndjamena avait appris avec colère, ce 20 avril 2023, que Savannah avait cédé 10% du capital de COTCO à un autre actionnaire, la compagnie publique camerounaise du secteur, la Société nationale des hydrocarbures (SNH) pour près de 27 milliards de francs CFA (près de 41 millions d’euros).

Coup d’œil sur le marché pétrolier-gazier du Tchad

Le marché tchadien du pétrole et du gaz est prévu d’enregistrer un taux de croissance annuel composé de plus de 0,54 % au cours de la période de prévision de 2020 à 2025.

Des facteurs tels que l’augmentation des investissements et l’augmentation de la production de gaz dans le pays devraient stimuler la demande du marché du pétrole et du gaz au Tchad au cours de la période de prévision. Cependant, des problèmes tels que l’instabilité politique et le terrorisme dans le pays entravent la croissance du secteur pétrolier et gazier.

Le segment intermédiaire au Tchad devrait connaître quant à lui une croissance significative au cours de la période de prévision. L’investissement dans les infrastructures intermédiaires devrait stimuler le secteur intermédiaire du pays dans les années à venir.

A noter que, des investissements sont réalisés dans l’exploration et la production de réserves de pétrole dans le pays, et l’investissement devrait se poursuivre au cours de la période de prévision. Il est susceptible d’être une opportunité pour les acteurs du raffinage et de la pétrochimie sur le marché pétrolier et gazier du pays.

La baisse de la production pétrolière devrait limiter et entraver la croissance du marché pétrolier et gazier tchadien. De faibles réserves prouvées de pétrole devraient également agir comme un obstacle à la croissance de ce secteur.

La crise diplomatique entre le Tchad et le Cameroun résolue ?

«Toutes les questions ont été abordées et certaines incompréhensions ont à cette occasion été dissipées», a confié à la presse le Secrétaire général de la Présidence de la République du Cameroun, Ferdinand Ngoh Ngoh, à sa sortie d’audience avec le chef de l’État du Tchad, Mahamat Idriss Deby.

Pour rappel, la mission de Ferdinand Ngoh Ngoh à N’Djamena intervient après le rappel « pour consultation » par les autorités tchadiennes de son ambassadeur à Yaoundé. Elle est venue atténuer au maximum les tensions entre les deux pays amis et voisins, en rapport avec le contrôle du pipeline Tchad-Cameroun, long de 1.070 km, dont plus de 900 km se trouvent sur le territoire camerounais.

Il est à préciser que c’est la première fois que le Tchad et le Cameroun sont confrontés à une crise diplomatique de cette envergure.

En cas de développements négatifs entre les deux pays, nous y reviendrons avec du nouveau.

Appui médiatique :
Vidéo 1 : https://www.youtube.com/watch?v=Q2HAB070xvk

Vidéo 2 : https://www.youtube.com/watch?v=MXJDP4gFH00

Vidéo 3 : https://www.youtube.com/watch?v=oLO4f-ZH1qc

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