La Turquie et la Diplomatie des « Drones » dans les Pays du Sahel Africain

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La Turquie et la Diplomatie des « Drones » dans les Pays du Sahel Africain
La Turquie et la Diplomatie des « Drones » dans les Pays du Sahel Africain

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Cameroun. L’intérêt de la Turquie pour les pays africains du Sahel où ont eu lieu des coups d’État militaires s’est accru, et cela s’est clairement reflété dans les nombreuses visites mutuelles et la signature d’accords de coopération, dont certains concernent surtout l’exportation d’armes.

Ledit intérêt a débuté il y a de cela deux décennies, notamment à partir de 2005, lorsqu’Ankara, la Capitale de la Turquie, était devenue membre observateur de l’Union africaine et avait annoncé, la même année, la « Carte d’ouverture sur l’Afrique », ce qui incita la Turquie à s’efforcer d’étendre sa présence sur le continent africain qui, selon les estimations économiques, possède environ 65 % des ressources mondiales non exploitées.

C’est surtout à la suite de la vague de coups d’État survenus dans les pays du Sahel africain, amorcée en 2020 au Mali, et surtout au déclin de l’influence française et au rejet de sa présence en Afrique de l’Ouest, que la Turquie a décidé d’accroitre ses mouvements par les canaux de « l’armement et de la coopération économique » pour s’imposer en tant que partenaire fortement présent dans la région qui assiste à une course d’influence entre puissances mondiales.

Dans ce contexte, il importe de noter que la Turquie occupe la quatrième place parmi les pays les plus représentés diplomatiquement sur le continent africain, après les États-Unis, la Chine et la France, et les relations avec ses pays comptent parmi les principaux objectifs de la politique étrangère turque.

Cette dimension confirme l’intérêt de la Turquie pour la région du Sahel et l’Afrique de l’Ouest, ainsi que sa volonté de rivaliser pour une présence à la lumière du déclin de la présence militaire occidentale. Cependant, Ankara a un intérêt global dans les différents pays du continent, et la dimension militaire y est fortement présente. En effet, la Turquie dispose de deux bases militaires, la première en Somalie et comptant environ deux mille soldats, et la seconde en Libye, qui compte des dizaines de soldats en plus d’un certain nombre de drones armés et véhicules blindés.

• Des va-et-vient sans cesse pour consolider la nouvelle orientation turque

Le président turc recevant le PM nigérien Ali Mahamane Lamine Zeine

Parmi les visites les plus récentes rendues dans cette optique, on peut citer celle effectuée ces derniers jours par une importante délégation turque de haut rang comprenant les ministres des Affaires étrangères, de la Défense et de l’Énergie, en plus des chefs des services des Renseignements, et de l’Institution présidentielle des industries de défense, ainsi que du Ministre adjoint du commerce, à Niamey, et où les deux parties, la Turquie et le Niger, ont signé une « Déclaration d’intention de coopération dans le domaine du pétrole et du gaz naturel », stipulant « le soutien et l’encouragement des entreprises turques dans le développement des gisements de pétrole et de gaz naturel au Niger ».

Bien avant cela, précisément vers la fin juin 2024, le nouveau Chef d’Etat-major de l’Armée de Terre malienne, le général de Brigade Harouna Samake, s’était rendu en Turquie, à l’invitation officielle de son homologue, le général Selçuk Bayraktaroğlu.

De son côté, le ministre turc de la Défense, Hulusi Akar, avait également reçu son homologue malien, le colonel Sadio Camara, à Ankara. Les deux parties ont discuté du renforcement de la coopération dans le domaine des industries de défense.

Il importe de rappeler qu’en signe du renforcement des relations bilatérales turco-maliennes, Bamako avait obtenu en décembre 2022 des « drones Bayraktar TB2 de fabrication turque ».

De même, en avril 2024, le président de transition du Burkina Faso, le capitaine Ibrahim Traoré, qui avait auparavant honoré Haluk Bayraktar, directeur général du fabricant turc de drones Baykar, de la Médaille d’État (la plus haute distinction du pays), a réceptionné par le biais de son ministère de la Défense un certain nombre de drones Bayraktar, qu’il avait acquis en Turquie.

De facto, un certain nombre de responsables du régime Traoré se sont rendus en Turquie et ont signé des accords de coopération avec leurs homologues turcs dans divers domaines, sachant que la même démarche a été entreprise par le Niger, qui, selon certains rapports, a reçu quant à lui des drones de fabrication turque, en mai 2022, ainsi que plusieurs autres pays de la région.

• Une stratégie expansive turque comme une « vis sans fin »

Un drone turc en action

Comme un certain nombre de pays en compétition pour l’Afrique, la Turquie cherche à consolider ses relations sécuritaires et militaires avec les pays africains, afin de renforcer son influence.

Dans ce contexte, elle a commencé par signer des accords avec plus de vingt-cinq pays du continent dans les secteurs de la défense et de la sécurité, notamment le Sénégal, le Mali et le Nigéria, et a également organisé des formations en matière de sécurité dans plus de dix pays, dont la Gambie.

Ceci dit, on s’attend à ce que le rôle de la base militaire turque en Libye augmente dans la période à venir, compte tenu des frontières de la Libye avec le Niger, qui relèvent des intérêts d’Ankara depuis l’époque de l’ancien président civil Mahamadou Issoufou, et après lui, Mohamed Bazoum, tout en entretenant désormais le même intérêt sous le régime de transition actuel du général Abderrahmane Tiani.

C’est pour cette raison, que le Premier ministre du Niger, Ali Mahamane Lamine Zeine, s’était rendu en Turquie en février 2024, à l’invitation du président turc, Recep Tayyip Erdogan, et les médias nigériens ont parlé, à l’occasion de cette visite, des efforts d’Ankara pour établir une base militaire à Agadez, au nord du Niger, à proximité de la Libye, du Tchad et de l’Algérie.

A ce propos, outre sa situation stratégique, Agadez présente une autre dimension importante pour la Turquie, du fait que les États-Unis d’Amérique y disposent d’une base militaire, notamment la « Base aérienne 201 », dont la construction a coûté « 110 millions de dollars », et qu’ils s’apprêtent à la quitter, dans le cadre de leur retrait militaire global du Niger, qui devrait être achevé à la mi-septembre 2024.

• La « Ruée » vers les ressources naturelles

Il faut avouer que ces dernières années, la dimension militaire a constitué un champ de compétition majeur entre les grandes puissances de la région du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest, et l’un des points d’entrée importants pour y renforcer leur influence et bénéficier des ressources dont elle regorge:

1.1 Avec les ressources d’or, de coton, de zinc et de phosphate trouvées au Burkina Faso,

1.2 D’uranium, d’or, de gaz et de pétrole, dont la production devrait commencer au Niger,

1.3 Et d’or, de coton, d’engrais et de fer au Mali,

la dimension militaire constitue le principal point d’entrée pour dominer les licences permettant de les exploiter.

Néanmoins, le problème ne se limite pas à ces seuls pays, mais concerne également de nombreux autres pays, notamment:

1.4 La Côte d’Ivoire, qui possède du pétrole, du gaz, des diamants, du fer, du cuivre et de la bauxite,

1.5 Ou encore le Tchad, dont le pétrole brut est l’une de ses principales exportations. Vers la France, les États-Unis d’Amérique et la Chine comme principaux partenaires commerciaux.

Au fil du temps et de l’augmentation de la menace sécuritaire qui menaçait un certain nombre de pays de la région, plusieurs autres pays sont entrés par la porte militaire, établissant des bases et déployant des forces militaires étrangères. En échange, de nombreuses entreprises de ces pays ont bénéficié de licences pour explorer et exploiter des mines, et de grandes transactions commerciales et économiques.

Pour ainsi dire, la protection des intérêts et le renforcement du positionnement géostratégique sont ce qui explique la concurrence entre les puissances internationales pour pénétrer dans la région du Sahel à travers la sphère militaire, et certains indices indiquent que la carte de la concurrence s’étend et se propage vers les pays qui surplombent le golfe de Guinée, qui souffre de la propagation de la piraterie, et constitue une source vitale pour certaines de ces puissances pour obtenir une part importante pour ses besoins en pétrole et en gaz.

• Erdogan utilise les drones armés pour renforcer l’influence turque en Afrique

Il semble bien que le président turc, Recep Tayyip Erdogan, mise sur la « diplomatie du drone » pour étendre l’influence d’Ankara sur le continent, où les États-Unis et la Chine contrôlent l’essentiel du marché.

Soucieux de redonner à la Turquie sa place dans le monde, ainsi que d’aider le business turc à décrocher des marchés, le président Recep Tayyip Erdogan coordonne une vaste offensive diplomatico-économique en Afrique.

En effet, la Turquie a progressivement étendu son emprise en Afrique avec un réseau de 37 bureaux militaires sur le continent, pour accompagner l’objectif du président Erdogan de porter au plus haut niveau le volume commercial annuel des échanges avec le continent dans les années à venir.

C’est ainsi que depuis que les drones turcs ont été testés en conditions réelles en Libye, en 2019, Recep Tayyip Erdogan a fait de cette « diplomatie des drones » un axe stratégique pour asseoir son influence sur le continent, et nourrir ainsi ses rêves « néo-ottomans », au risque de faire monter la colère à Pékin, Washington et même Tel-Aviv, ses principaux concurrents sur ce marché de la guerre à distance.

Il importe de souligner que contrairement aux industries de défense des pays occidentaux, la Base industrielle et technologique de défense (BITD) turque a su développer simultanément avions et drones. Produit par l’entreprise Baykar Makina, sous la houlette de Selçuk Bayraktar, le très charismatique gendre du président Erdogan, le TB2 a déjà une version renforcée et aéronavale, le TB3. Avec le Kizilelma, premier drone de combat à réaction aux formes furtives développé par la Turquie, ces deux fleurons de l’écosystème turc équiperont le TCG Anadolu, à côté de l’avion de combat léger Hürjet.

Pour revenir au fameur Drone TB2 Bayraktar, il faut savoir qu’après son utilisation dans le Haut Karabagh et en Ukraine, ce type de drone est devenu le produit phare de l’industrie de défense turque.

Véritable porte-drapeau diplomatique d’Ankara, le drone Bayraktar devient un outil d’influence en Afrique et en Asie centrale. Après le Maroc, l’Éthiopie et le Niger, le Togo s’en est doté pour surveiller ses frontières.

• Les Etats-Unis soutiennent-ils la Turquie en Afrique pour effacer leur échec sur le continent ?

Joe Biden et Erdogan à l’OTAN

Beaucoup d’observateurs pensent que la raison de l’annonce par Washington du début d’une « nouvelle phase » dans ses relations avec Ankara était due à la volonté des centres de décision américains de faire de la Turquie un contrepoids à Washington face à la Russie et à la Chine, en Afrique.

Ces observateurs pensent également que les centres politiques à Washington examinent aujourd’hui comment la Turquie pourrait combler le vide qui apparaîtrait après le retrait des États-Unis de la région du Sahel africain, emboitant ainsi le pas à la France.

Nous avons l’impression que la Turquie commencera à jouer le rôle des États-Unis et deviendra un contrepoids contre les autres puissances mondiales concurrentes sur le continent brun.

D’un côté, il y a la politique de sécurité nationale dont la Turquie a besoin, et de l’autre, il y a la politique d’Ankara qui vise à harmoniser les relations avec les États-Unis.

D’ailleurs, le sous-secrétaire d’État aux Affaires politiques par intérim, John Bass, avait annoncé que la Turquie et les États-Unis étaient « à l’aube d’une nouvelle phase » dans leurs relations, qui commence par un retour aux fondamentaux, y compris la défense et les intérêts communs.

On peut également avancer qu’avec le printemps arabe, les dirigeants américains ont considérablement réévalué le rôle stratégique que pourrait jouer la Turquie tant en Afrique qu’au Moyen-Orient. Il reste évidemment à voir si Ankara saura saisir cette occasion et remplir ce rôle.

Il va sans dire que les dirigeants américains passent la quasi-totalité de leur temps à faire du « Crisis management ou encore du Damage control ». Ils font face, quotidiennement, à des impératifs laissant peu de place à une réflexion stratégique de long terme. C’est sans doute pour cette raison que la Turquie n’apparaît que rarement en tête de la liste des priorités américaines de politique étrangère, les diplomates ne l’identifiant presque jamais à une situation d’urgence ou de crise.

Pour analyser le rôle de la Turquie dans la vision américaine en Afrique, on doit adopter une approche globale: quelle vision stratégique les Américains ont-ils du Continent brun ?

Il est probablement certain que l’influence turque en Afrique baigne dans un « feu vert américain » pour combler le vide occidental et créer un équilibre avec les puissances concurrentes étrangères, comme la Russie.

A noter que pour la politique étrangère américaine, ce qui est urgent prime souvent sur ce qui est important.

• Un produit qui fait honneur à la technologie Turque

Selon les responsables de Baykar, le modèle de drone TB possède des caractéristiques uniques et de grandes capacités de combat, que nous énumérons ci-après:

-/- Il est l’avion le plus puissant doté des capacités de combat les plus élevées au monde parmi les avions de sa catégorie, puisqu’il continue de voler pendant une heure et 16 minutes.

-/- Son moteur aéronautique TB (2 x 750) a une puissance totale de 1 500 ch.

-/- Il a une longue endurance à haute altitude.

-/- Il est doté d’un radar développé par ASELSAN, des systèmes de communication Beyond Line of Sight et des systèmes de support électronique, et pourra collecter des informations en enregistrant les données qu’il reçoit des capteurs et des caméras de l’avion.

-/- Le nouveau modèle de ce drone dispose d’un système d’intelligence artificielle capable de détecter les angles d’inclinaison, de stationnement et de direction de l’avion sans avoir recours à des capteurs externes ou à un GPS.

-/- Il dispose aussi d’un système de sensibilisation à l’environnement et, grâce au système avancé d’intelligence artificielle, il a la capacité de prendre des décisions par lui-même en traitant les données qu’il obtient.

-/- Il peut détecter des cibles au sol très précises et les combattre plus efficacement.

Le mot de la fin: Le drone turc est un puissant outil d’influence d’Ankara en Afrique.

Selon les experts dans le domaine de l’armement, citant un rapport de la BBC, l’un des derniers champs de bataille où cette arme turque a été utilisée était la guerre en Ukraine, car bien avant l’arrivée de l’artillerie lourde et des lance-roquettes occidentaux, il existait une arme sur laquelle le gouvernement de Kiev pouvait réellement compter, celle du drone « Bayraktar TB2 ».

Cette arme de fabrication turque s’est avérée « efficace » pour aider l’Azerbaïdjan à vaincre les forces blindées arméniennes et à reconquérir de vastes territoires lors de la guerre du Haut-Karabagh de 2020.

C’est pour cette raison que le nombre d’acquéreurs de ce type de drone armé s’est étendu à l’Afrique, avec la livraison ces dernières années d’un grand nombre de cargaisons de « Bayraktar TB2 » à plusieurs pays africains, dont le Togo, le Burkina Faso, le Niger, le Mali.

Parmi les autres clients africains figurent l’Éthiopie, le Maroc et la Tunisie, tandis que l’Angola a également exprimé son intérêt pour l’achat de drones.

Dans ce contexte, on constate que pour les acheteurs africains, en particulier les pays pauvres, les drones offrent la possibilité de développer une force aérienne significative sans le coût prohibitif de l’équipement et les années d’entraînement d’élite nécessaires au développement d’une force d’attaque aérienne conventionnelle avec équipage.

Il faut donc avouer, entre-autres, que du point de vue d’Ankara, la « diplomatie de Drone » et le partenariat militaire, sont devenus un outil important dans la politique d’accès aux régions subsahariennes du président Recep Tayyip Erdogan, complétant des atouts à plus long terme tels que la construction d’aéroports et d’autres éléments d’infrastructure.

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