L’Afrique et la Course vers les Centrales Nucléaires

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L'Afrique et la Course vers les Centrales Nucléaires
L'Afrique et la Course vers les Centrales Nucléaires

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Cameroun. Quand il s’agit d’énergie nucléaire, il faut bien insister sur le fait que « le rôle clef de l’énergie nucléaire est de parvenir à la neutralité carbone d’ici le milieu du siècle (soit vers 2050)».

Toutefois, faut-il que les gens comprennent d’abord ce qu’est la neutralité carbone !

Lorsqu’un pays souhaite « atteindre la neutralité carbone » (carbon neutrality en anglais), cela ne signifie pas « zéro émission de CO2 » pour 2050, car ce concept répond plutôt aux enjeux du réchauffement climatique. Donc, pour qu’un État atteint la neutralité carbone d’ici cette année-là, la Stratégie SNBC (Stratégie Nationale Bas-Carbone) doit désormais être prise en compte dans l’ensemble des politiques publiques.

C’est ainsi que lors de la COP 28, qui s’est déroulée du 30 novembre au 12 décembre 2023 à Dubaï, une vingtaine de pays, dont la France, les États-Unis, la Hongrie et les Émirats arabes unis, ont appelé à tripler les capacités de production d’énergie nucléaire d’ici 2050, et ce par rapport au niveau de 2020.

• Afrique: Une ruée tardive vers l’énergie nucléaire

Il importe de noter que le Continent africain a commencé à flirter avec le « nucléaire », précisément en Afrique du sud, encore sous l’emprise de l’Apartheid et avec un Nelson Mandela encore derrière les barreaux.

En effet, c’est sur le site de Koeberg que furent construits les deux premiers réacteurs en Afrique, soit deux de 900 MW, fournissant chacun 6 % de l’électricité du pays, et c’était la fierté de l’Afrique du Sud, et du continent brun lui-même. C’est aussi un pan de son histoire, sachant que son acte de naissance date de 1975, lorsque la France et l’Afrique du Sud signèrent un accord de coopération en matière d’énergie nucléaire, avec des travaux qui ont débuté un an plus tard…et depuis !

En revenant sur le point historique, considérée comme symbole de modernité et de richesse économique, l’énergie nucléaire n’était jusqu’à présent exploitée que par une minorité de pays, les plus aisés évidemment. Une grande partie du continent africain produisait son énergie grâce aux énergies fossiles, comme les centrales à charbon, plus lentes et beaucoup plus polluantes.

D’ailleurs on relève que dix pays africains ont clairement indiqué leur intention de construire des centrales nucléaires. Ils prennent la suite de l’Afrique du Sud, seul pays du continent à disposer d’une usine dotée de deux réacteurs: L’Algérie, le Maroc, la Tunisie, l’Égypte, le Ghana, le Kenya, l’Ouganda, la Zambie, le Niger, le Nigeria ou encore le Soudan.

• Ce qu’en pense l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (IAEA)

Suite à l’augmentation significative de sa population, le continent africain fait face à un véritable besoin de développement économique, industriel ou infrastructurel. Face à ce besoin croissant d’énergie, plusieurs pays d’Afrique ont fait part de leur souhait de développer l’énergie nucléaire pour garantir leurs besoins de s’approvisionner en électricité.

Selon l’Agence internationale de l’énergie atomique (IAEA), un tiers des pays qui se sont porté candidats à l’énergie nucléaire dans le monde, serait africain.

Dans ce sens, le Directeur général-adjoint et Chef du département de l’énergie nucléaire à l’AIEA depuis février 2015, le russe Mikhail Chudakov, a déclaré que: « L’Afrique a vraiment soif d’énergie et l’énergie nucléaire pourrait faire partie de la solution pour un nombre croissant de pays de ce continent ».

Et selon les prévisions, l’objectif au niveau continental serait d’atteindre une production de 160 GW en 2025, pour ensuite la faire croître proportionnellement à l’augmentation de la population qui devrait atteindre les deux milliards d’habitants d’ici 2050.

D’autres solutions de production énergétique plus respectueuses de l’environnement ont été envisagées, certes, comme l’énergie solaire, éolienne ou thermique, cependant, aucune de ces dernières ne serait en mesure de satisfaire les besoins liés la croissance démographique fulgurante du continent.

Néanmoins, ce qui est considéré comme un « casse-tête chinois », c’est qu’en Afrique subsaharienne par exemple, 57 % de la population sont privés d’électricité alors que le continent concentre « 20 % des réserves mondiales d’uranium ».

• 1ère Centrale nucléaire au Burkina Faso (prés de 50 ans après l’Afrique du sud)

Vladimir Poutine et Ibrahim Traoré

Le ministre de l’Energie, des Mines et des Carrières, Yacouba Zabré Gouba, et la société russe « Rosatom » ont signé, depuis le mercredi 5 juin 2024, à Saint-Pétersbourg, les documents officiels relatifs au protocole d’accord pour la construction d’une centrale nucléaire au Burkina Faso.

En préparation de cette signature, le Directeur Général de l’Energie, Dr Alidou Koutou, et le conseiller technique chargé du suivi de la politique de la Société Nationale d’Electricité du Burkina Faso, Souleymane Sawadogo, ont tenu ce jour-là une réunion avec Rosatom à Saint-Pétersbourg.

Au même moment, alors que l’accord était conclu à Saint-Pétersbourg, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov se trouvait à Ouagadougou, dans le cadre d’une tournée africaine dont la dernière escale s’est terminée le 6 juin 2024 au Burkina Faso.

Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, et son homologue burkinabè, Karamoko Jean-Marie Traoré, le 5 juin 2024 à Ouagadougou

Il faut rappeler que le Burkina Faso et la Russie, qui continuent de resserrer leurs liens, avaient déjà anticipé, depuis le vendredi 13 octobre 2023, avec la signature d’un accord pour la construction par Moscou d’une centrale nucléaire dans ce pays sahélien, où plus de 3⁄4 de la population n’ont pas accès à l’électricité.

Même si le pays est dirigé par un régime militaire, le Burkina Faso cherche à diversifier ses partenaires et s’est notamment trop rapproché de la Russie, et selon le mémorandum rendu public à l’occasion, la construction de cette centrale nucléaire a pour objectif de couvrir les besoins énergétiques de la population.

Selon la société russe Rosatom: « Le mémorandum, qui constitue le premier document dans le domaine de l’utilisation pacifique de l’énergie atomique entre la Russie et le Burkina Faso, vient concrétiser le souhait du président burkinabé, le capitaine Ibrahim Traoré, qu’il avait déjà exprimé lors du sommet Russie-Afrique, dans un entretien avec son homologue russe Vladimir Poutine ».

Dans ce contexte, il importe de revenir sur les statistiques officielles de la Banque africaine de développement (BAD), qui a confirmé que moins d’un quart des Burkinabè ont l’électricité, car jusqu’à la fin de 2020, seuls 22,5 % des Burkinabè (67,4 % en zone urbaine, 5,3 % en milieu rural) avaient accès à l’électricité.

C’est pourquoi les autorités du Burkina Faso ont exprimé le souhait de pouvoir construire des centrales nucléaires d’ici 2030, de façon à résoudre le problème du déficit énergétique.

« Notre défi est de doubler notre production d’électricité d’ici 2030, ce qui nous permettra de donner un coup de fouet à l’industrialisation de l’Afrique » a souligné le rapport de la BAD.

• Le projet du Burkina Faso constitue la 2e centrale nucléaire d’Afrique

Le continent africain ne compte pour l’heure qu’une seule centrale nucléaire, en Afrique du Sud, à Koeberg, près du Cap, et les difficultés vécues par la population burkinabé, a fait que le Burkina Faso importe une grande partie de ses besoins en électricité de la Côte d’Ivoire et du Ghana voisins, tout en produisant une autre partie localement, principalement par de l’énergie hydroélectrique ou solaire.

A noter que depuis son arrivée au pouvoir, le régime militaire du Burkina s’est éloigné de la France, partenaire historique et ancienne puissance coloniale, en obtenant notamment le départ des soldats français de son sol, en février dernier.

C’est pour cette raison que, dans sa recherche de nouveaux alliés, Ouagadougou s’est notamment rapproché de Moscou.

• Au tour du Mali de se doter d’une Centrale nucléaire

Vladimir Poutine et Assimi Goïta

La junte au pouvoir au Mali et la société nucléaire russe Rosatom, ont signé trois accords de coopération et discuté de nombreux projets futurs à réaliser, notamment la construction d’une centrale nucléaire de faible puissance de conception russe.

Il s’agit là d’un projet qui a vu le jour à l’issue d’une rencontre entre le chef de la junte militaire à Bamako, Assimi Goïta, et une délégation de la société russe Rosatom, qui s’est tenue les 2 et 3 juillet 2024.

A noter que deux autres centrales nucléaires seront construites par les russes dans deux ans.

Effectivement, la Russie va aider le Mali à mettre sur pied « un projet stratégique visant à construire une centrale nucléaire de faible puissance de conception russe dans ce pays du Sahel africain », ainsi que d’autres projets qui concernent la production d’énergie solaire et d’exploration géologique.

Il faut dire que la société russe Rosatom cherche depuis des années à renforcer sa position en Afrique en signant des accords de coopération avec des pays de tout le continent, en plus de renforcer les relations avec les conseils militaires au pouvoir dans la région du Sahel africain, qui se sont distanciés de leurs alliés occidentaux traditionnels après avoir accédé au pouvoir depuis 2020, suite à des coups d’Etat militaires, et ce en échange du développement de leurs relations avec la Russie, la Chine et l’Iran.

Rosatom: le constructeur russe de centrales nucléaires

L’agence, citant Grigory Nazarov, directeur général de NovaFend, filiale de Rosatom, indique que la production électrique au Mali devrait augmenter de 10% grâce à la construction de la centrale.

Il est à noter que la station solaire d’une capacité de 200 mégawatts couvrira une superficie de 314 hectares dans la ville de Sanankurubi, au sud-ouest du Mali, près de la capitale Bamako.

Nazarov a déclaré: « La construction de la centrale, qui coûtera 200 millions d’euros, prendra un an. La centrale solaire est conçue pour fonctionner de manière stable pendant 20 ans, et après 10 ans, elle sera sous le contrôle total du ministère des Finances de l’Énergie. “.

L’Agence France-Presse a également indiqué que deux autres centrales solaires seront construites près de Bamako les 28 mai et 1er juin, avec la contribution d’entreprises chinoises et émiraties.

• Que sait-on des centrales nucléaires construites en Europe ?

Nous devons admettre que le débat autour du nucléaire fait rage dans de nombreux pays situés à l’autre rive, notamment en Europe, et ce depuis plusieurs années, même si, dans ce débat, le nucléaire ne fait pas l’unanimité dans le monde entier.

Nous allons nous concentrer ici sur l’Europe, qui se situe à quelques kilomètres seulement du Continent africain, pour avoir une idée assez proche de la réalité quant aux centrales nucléaires existantes dans certains pays européens, même si certains comme l’Autriche, l’Italie et l’Allemagne ont décidé de s’éloigner du nucléaire civil destiné à la production de l’électricité.

Ainsi, nous revenons ci-après sur les pays avec le plus de réacteurs opérationnels en Europe à la date du mois de juillet 2024, comme indiqué par le « World Nuclear Industry Status Report ».

A- LES PAYS AVEC 56 RÉACTEURS NUCLÉAIRES OPÉRATIONNELS

Il n’y a que la France qui est en tête avec 56 réacteurs opérationnels.

B- LES PAYS AVEC 36 RÉACTEURS NUCLÉAIRES OPÉRATIONNELS

La Russie possède 36 réacteurs nucléaires opérationnels, ce qui la classe à la 2e position des pays avec le plus de réacteurs actuellement en Europe. Six nouveaux réacteurs sont actuellement en cours de construction.

C- LES PAYS AVEC 15 RÉACTEURS NUCLÉAIRES OPÉRATIONNELS

L’Ukraine, un pays en pleine guerre avec la Russie, possède 15 réacteurs nucléaires opérationnels, ce qui la classe à la 3e position des pays avec le plus de réacteurs actuellement en Europe.

D- LES PAYS AVEC 9 RÉACTEURS NUCLÉAIRES OPÉRATIONNELS

Le Royaume-Uni possède 9 réacteurs nucléaires opérationnels, ce qui le classe à la 4e position des pays avec le plus de réacteurs actuellement en Europe, sachant que deux nouveaux réacteurs sont actuellement en cours de construction.

E- LES PAYS AVEC 7 RÉACTEURS NUCLÉAIRES OPÉRATIONNELS

L’Espagne quant à elle a 7 réacteurs nucléaires opérationnels, ce qui la classe à la 5e position des pays avec le plus de réacteurs actuellement en Europe.

F- LES PAYS AVEC 6 RÉACTEURS NUCLÉAIRES OPÉRATIONNELS

La République tchèque et la Suède ont 6 réacteurs nucléaires opérationnels. Ces deux Etats se hissent à la 6e position des pays avec le plus de réacteurs actuellement en Europe.

G- LES PAYS AVEC 5 RÉACTEURS NUCLÉAIRES OPÉRATIONNELS

La Belgique et la Slovaquie ont 5 réacteurs nucléaires opérationnels, les plaçant à la 7e position des pays avec le plus de réacteurs actuellement en Europe. Un sixième réacteur est en construction en Slovaquie.

H- LES PAYS AVEC 4 RÉACTEURS NUCLÉAIRES OPÉRATIONNELS

La Suisse et la Hongrie ont 4 réacteurs nucléaires opérationnels chacune, ce qui les classent à la 8e position des pays avec le plus de réacteurs actuellement en Europe.

• Le Mot de la fin

On peut dire que les rêves « nucléaires africains » du continent sont en train de devenir petit à petit une « réalité ».

Sur la voie d’une transition énergétique juste dans le monde, le rêve africain de posséder des centrales de production d’énergie nucléaire sur le territoire des pays du continent brun émerge de plus en plus, ce qui accélère la transition vers un avenir propre et durable.

L’Afrique du Sud, qui exploite la seule centrale nucléaire actuelle du continent africain, cherche également à augmenter sa production de 2 500 mégawatts pour résoudre la crise des pannes d’électricité qui s’aggrave sur son territoire.

Par ailleurs, en partenariat avec la Russie, l’Égypte est en train de développer la centrale nucléaire d’El Dabaa, qui a vu en janvier 2024 le début du coulage du béton à la base de l’unité 4 en présence des présidents Abdel Fattah El-Sisi et Vladimir Poutine.

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