Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Cameroun. Pour des raisons géographiques évidentes, l’Allemagne a eu peu de contacts avec l’Afrique pendant longtemps. Ce phénomène a été redécouvert ces dernières années, car le continent est en train de jouer un rôle géopolitique de plus en plus important, tant en termes de migration qu’en nouvelles relations économiques avec le continent, importantes pour l’Europe dans son ensemble. Voilà pourquoi, depuis les années 2000, la réconciliation avec l’Afrique a commencé à s’établir à l’ombre d’une grande partie du « passé colonial » refoulé.
Bien que cette question concerne son sombre passé, et qu’il existe également des questions sans réponse sur son avenir, et que la redécouverte de son passé colonial s’inscrit dans une stratégie globale, l’Allemagne s’est décidée finalement à investir à nouveau sur le territoire africain pour des raisons plutôt géopolitiques.
D’après certains experts, ce changement progressif de l’opinion publique allemande s’est produit en plusieurs étapes, impliquant une prise de conscience croissante parmi la majorité des masses éclairées et un certain rejet parmi les sections les moins favorisées. C’est particulièrement vrai à l’Est, où l’expérience de l’immigration a été bien trop brève. La prise de conscience de la chancelière « Angela Merkel » de l’importance de l’Afrique a été alimentée par la couverture de la crise des réfugiés par la télévision allemande, mais aussi par l’idée d’une Union pour la Méditerranée proposée par le président français « Nicolas Sarkozy » en 2008. Elle voulait trouver quelque chose qui pourrait contrer la grande puissance de l’Allemagne sur le continent européen.
Même si cet événement n’a pas été immédiatement perçu comme fondamental par les acteurs de la société allemande, il a mis en évidence la faiblesse, voire l’absence, d’une stratégie allemande dans les relations avec l’Afrique et a appelé à l’urgence de définir une stratégie qui soit adéquate.
• L’Allemagne tournant son attention vers l’Afrique sous l’ombrelle du « respect mutuel »
Dans ce contexte, et dans un document publié le 8 janvier 2025 par le ministère fédéral des Affaires étrangères, on relève que le gouvernement allemand a exposé les principales caractéristiques de sa politique africaine, soulignant que Berlin souhaite renforcer son influence sur le continent brun, où il suscite déjà beaucoup d’attention, et miser sur la coopération face aux nouveaux défis mondiaux.
La même source rapportait que le gouvernement de la RFA avait publié de nouvelles « orientations de la politique africaine », placées précisément sous le thème « Construire des partenariats dans un monde en mutation ».
Ce thème reflète plusieurs évolutions de la politique africaine de Berlin, où l’on peut lire que: L’Allemagne a défini ses intérêts communs avec ses partenaires africains et a déclaré qu’elle souhaitait relever avec eux les défis mondiaux sur la base d’un « respect mutuel ».
Le commissaire du gouvernement fédéral pour l’Afrique, auprès du Réseau national d’information (RND), Christoph Retzlaff, s’est même demandé si:
-/- L’idée fondamentale derrière ces lignes directrices n’est pas: « Que pouvons-nous faire pour l’Afrique ?
-/- Mais plutôt: « Que pouvons-nous faire en Afrique ? »
• L’Afrique « continent étranger à l’Allemagne » pendant longtemps
Il importe de rappeler que la présence allemande dans plusieurs régions d’Afrique a vécu des transformations radicales ces dernières années, la dernière en date étant la demande du gouvernement tchadien de voir l’ambassadeur allemand Jan-Christian Gordon Kricke quitter le pays, poste qu’il occupait depuis 2021.
La raison de son renvoi de N’Djamena était son manque de respect pour les pratiques diplomatiques et de son ingérence excessive dans la gestion des affaires du pays.
Le ministère allemand des Affaires étrangères a confirmé que les raisons de l’expulsion de l’ambassadeur n’étaient pas claires, soulignant qu’il tentait de résoudre les problèmes avec le gouvernement tchadien. Cet événement survenu en avril 2023 constitue l’un des liens directs influant sur l’influence allemande sur le continent africain, qui a commencé à se cristalliser progressivement depuis la fin de la guerre froide au début des années 1990.
L’Allemagne a tenté à plusieurs reprises de relancer et d’activer ses relations avec les pays africains en profitant de la présence limitée de son ancienne présence coloniale sur le continent par rapport à d’autres puissances occidentales, notamment la France et la Grande-Bretagne. Le rythme des avancées allemandes vers l’Afrique s’est considérablement accéléré, surtout après le début de la guerre russo-ukrainienne, comme d’autres puissances occidentales.
Il s’agit d’une tentative de réduire les dommages causés par cette guerre, notamment ceux liés à la pénurie d’approvisionnement en énergie à l’échelle mondiale. Le rôle de l’Allemagne en Afrique est déterminé par un certain nombre de facteurs de motivation, s’articule autour de nombreuses dimensions qui le régissent, et fait face à de nombreux défis croissants qui l’affectent.
• Facteurs de motivation du rôle de l’Allemagne en Afrique
Le rôle de l’Allemagne sur le continent africain ces dernières années aurait été motivé par un certain nombre de facteurs de motivation clés, dont on peut citer ce qui suit:
1) Bénéficier du poids des votes africains
L’Allemagne, comme d’autres puissances internationales, cherche à bénéficier du poids relatif élevé du bloc de vote africain dans les forums internationaux, notamment aux Nations Unies, surtout que l’Afrique dispose de 54 voix au sein de son cadre, ce qui constitue un facteur influent pour soutenir les questions et les politiques allemandes également au niveau international et régional.
La RFA aurait récemment tenté d’obtenir le soutien de l’Afrique auprès des Nations Unies. Cela se fait en soutenant la présence d’une représentation africaine permanente au Conseil de sécurité de l’ONU, et c’est peut-être ce qu’a exprimé l’actuelle ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock, en soutenant l’Afrique pour obtenir deux sièges permanents au Conseil de sécurité.
Il s’agirait là d’une orientation vers laquelle se sont récemment orientées également de nombreuses puissances internationales.
2) Maximiser les bénéfices tirés des ressources et du marché de consommation
En réalité, l’Allemagne souhaite tirer profit de l’immense richesse et de la base de ressources naturelles que possède l’Afrique pour conforter son système d’objectifs et d’intérêts économiques, car l’Afrique possède environ 30 % des réserves mondiales de richesses minérales, environ 40 % de l’or mondial et jusqu’à environ 90 % du chrome et du platine.
Le continent possède également les plus grandes réserves de cobalt, de diamants, de platine et d’uranium au monde. En plus de posséder environ (65 %) des terres arables et environ (10 %) des ressources mondiales en eau douce renouvelables, le continent africain possède également le deuxième plus grand marché de consommation au monde, sachant que sa population est de plus de (1,5) milliard de personnes, et ce nombre devrait doubler pour atteindre (2,5) milliards de personnes d’ici 2050.
3) Trouver une alternative à la pénurie d’approvisionnement énergétique
L’Allemagne – comme de nombreuses puissances occidentales – cherche à bénéficier de la base de ressources énergétiques dont l’Afrique dispose en grande quantité, notamment depuis le déclenchement de la guerre russo-ukrainienne en fin février 2022, qui s’est accompagnée d’un arrêt des approvisionnements énergétiques russes en Europe en raison des sanctions occidentales imposées. Cela a entraîné l’arrêt du flux continu de gaz russe à travers le gazoduc Nord Stream, qui passe sous la mer Baltique et mesure environ (1200) kilomètres de long, et transporte jusqu’à (55) milliards de mètres cubes de gaz par an. Il était prévu de garantir l’approvisionnement énergétique de l’Europe pour les 50 prochaines années.
L’Afrique peut répondre aux besoins énergétiques de l’Allemagne et des pays de l’Union européenne, d’autant plus qu’elle possède environ 8 % des réserves mondiales de gaz naturel. En 2021, les réserves totales de gaz naturel en Afrique s’élevaient à plus de (620) billions de pieds-cubes. En outre, au niveau du pétrole, l’Afrique peut contribuer également à répondre aux besoins de l’Europe, du fait qu’elle possède 12 % des réserves mondiales de pétrole. En 2021, les réserves de pétrole brut du continent étaient estimées à environ (125,3) milliards de barils.
4) Réduire les menaces de l’immigration illégale
L’Allemagne souhaite s’attaquer régulièrement aux risques liés au phénomène de l’immigration clandestine, compte tenu de son impact direct sur la sécurité nationale de la RFA dans son sens le plus large. C’est d’ailleurs le plus grand contributeur au Fonds fiduciaire d’urgence européen pour l’Afrique (EUTF), créé en 2015, qui vise à contrôler l’immigration clandestine vers l’Europe, en y contribuant à hauteur d’environ un quart à son budget.
Cela se fait en allouant environ (316) millions d’euros sous forme de financement gouvernemental des ministères des Affaires étrangères et du Développement économique et de la Coopération internationale au cours de la période (2016-2021).
A noter que ce fonds visait à fournir environ (5) milliards d’euros pour financer des projets d’urgence, afin de s’attaquer aux causes profondes de la migration irrégulière dans les pays d’accueil des réfugiés.
D’ailleurs, l’Agence allemande de coopération internationale (GIZ), est l’acteur principal dans la mise en œuvre des projets de ce fonds, sachant qu’il a accordé un financement de plus de (800) millions d’euros. Ce financement est basé sur des projets liés principalement aux régions du Sahel et de l’Afrique du Nord.
• Dimensions gouvernantes, orientations et mouvements du pouvoir allemand à l’égard du continent africain
1) Élaboration d’une nouvelle stratégie pour l’Afrique
Le ministère fédéral allemand de la Coopération économique et du Développement avait annoncé cette stratégie depuis le 23 janvier 2023, dans laquelle il a proposé de se concentrer sur de nombreux domaines principaux de coopération avec les pays africains, notamment le développement économique durable, l’emploi, la prospérité, la pauvreté et la faim, et le renforcement de la protection sociale, la santé et la prévention des épidémies, la politique de développement des femmes et d’égalité des sexes, l’État de droit, la démocratie, les droits de l’homme et la bonne gouvernance, et enfin les questions de paix et de sécurité.
2) Renforcer les liens au niveau multilatéral
Cela a été cristallisé par le lancement par l’Allemagne d’un nouveau cadre appelé « Pacte du G20 avec l’Afrique » (CwA), considéré comme une initiative multilatérale et une plateforme de dialogue entre le G20 et les pays africains.
Douze pays ont rejoint l’initiative, à savoir: Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Egypte, Ethiopie, Ghana, Guinée, Maroc, Rwanda, Sénégal, Togo et Tunisie.
3) Renforcer les liens économiques à différents niveaux
Cela constitue l’un des points de l’action allemande envers l’Afrique. Au niveau des échanges inter-marchés, son volume a augmenté, et l’Allemagne est ainsi l’un des plus grands investisseurs du continent, même si elle investit encore deux fois moins que la France, qui est le plus grand investisseur de l’UE sur le continent africain.
C’est pourquoi l’Allemagne cherche à augmenter le volume de ses investissements en Afrique au cours de la période à venir, et cela a été annoncé par le chancelier allemand Olaf Scholz, qui a souligné qu’il est prévu d’investir environ (20) milliards d’euros par an en Afrique pour créer des incitations aux investissements privés, sachant que l’Allemagne entretient des liens économiques étroits avec de nombreux pays africains.
4) Fournir de nombreuses aides au développement
Il importer de souligner que le gouvernement allemand a étendu son aide humanitaire en Afrique au cours des dernières années, et a fourni environ (564) millions d’euros à l’Afrique en 2021, et a fourni (20) millions d’euros à l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) depuis fin 2020 ; Cette aide visait à garantir que les personnes et les animaux dans les zones particulièrement exposées au risque de faim en Afrique de l’Est reçoivent une assistance rapide. Cette subvention a permis de fournir à plus de (50) mille personnes le fourrage nécessaire à l’élevage du bétail et de verser des transferts d’argent à environ (15) des milliers de familles au Kenya.
De plus, l’Allemagne est considérée généralement le deuxième pays donateur mondial dans le domaine de la coopération au développement. La valeur de cette aide s’est élevée à (32,2) milliards de dollars, ce qui équivaut à environ (0,7%) de son revenu national brut, derrière les États-Unis (42,3 milliards de dollars), selon les statistiques de l’Organisation de coopération et de développement économiques, précédant le Japon (17,6 milliards de dollars) et le Royaume-Uni (15,8 milliards de dollars).
Cette aide est destinée principalement aux pays africains dans des domaines tels que les réfugiés, l’aide humanitaire, l’éducation, l’énergie, la gouvernance, la société civile, l’agriculture, la santé, l’eau, la paix et la sécurité, l’industrie et l’exploitation minière, ainsi que le commerce et le soutien au budget public.
5) Soutenir les efforts de maintien de la paix en Afrique surtout dans les pays du Sahel
L’Allemagne a participé à trois missions de maintien de la paix de l’ONU, principalement en Afrique. Il s’agit de:
-/- la Mission des Nations Unies au Sahara occidental (MINURSO) avec (3) éléments,
-/- la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) avec (601) éléments,
-/- et la Mission des Nations Unies au Soudan du Sud (MINUSS) avec (11) éléments,
-/- en plus de sa participation dans le cadre de la Mission d’assistance des Nations Unies en Somalie (UNSOM) avec une seule composante.
-/- l’Allemagne participe également au cadre de la « Mission de formation de l’Union européenne au Mali et au Niger » (EUTM), mais elle a réduit sa participation d’environ (600) éléments à (300) éléments après que l’Union européenne a décidé de réduire le nombre d’éléments clés participer à des formations et à un renforcement des capacités de manière temporaire et progressive.
• Quand l’Allemagne s’engage en Afrique
Le gouvernement de la République fédérale d’Allemagne s’est récemment engagé à fournir 95 millions d’euros entre 2023 et 2027 pour renforcer la résilience socio-économique de huit millions de femmes, d’hommes et d’enfants dans cinq pays sahéliens d’Afrique de l’Ouest. Ce don permettra à l’Agence allemande de coopération internationale (GIZ), au Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) et au Programme alimentaire mondial (PAM) de partager et d’élargir leurs efforts et leur expertise. Elles se complètent dans la mise en œuvre de l’Initiative « Sahel ». Le Partenariat pour la résilience (2023-2027) ciblera ainsi les personnes les plus vulnérables et les plus touchées par le climat au « Burkina Faso, au Tchad, au Mali, en Mauritanie et au Niger ».
La région du Sahel reste l’une des régions structurellement les plus fragiles du continent africain. Elle est affectée par des phénomènes météorologiques extrêmes tels que les sécheresses et les inondations, et se caractérise également par des disparités économiques croissantes, une instabilité politique et des conflits violents. La crise climatique contribue donc à accélérer la désertification et l’érosion des sols, et ces vulnérabilités se traduisent par des crises alimentaires récurrentes dont l’ampleur et la gravité continuent de croître.
S’appuyant sur les résultats du programme de résilience financé par l’Allemagne, le BMZ, la GIZ, le PAM et l’UNICEF établiront un partenariat stratégique pour renforcer la résilience dans la région du Sahel dans le cadre de l’initiative conjointe de l’Alliance du Sahel.
« L’aide humanitaire ne peut jamais être une entreprise à long terme. Nous devons nous concentrer sur le développement et préparer rapidement l’avenir.
« C’est notre conviction », a déclaré Petra Warneke, Directrice générale du département Afrique de la GIZ.
En résumé, le rôle futur de l’Allemagne en Afrique sera probablement influencé par l’influence croissante de la Russie et de la Chine dans de nombreuses sphères d’influence occidentales, en particulier compte tenu de l’intensification de la concurrence internationale sur le continent.
Les conséquences persistantes de la guerre entre la Russie et l’Ukraine pourraient forcer l’Allemagne à mettre en œuvre les termes d’une nouvelle stratégie, déjà annoncée plus tôt, et il s’agira notamment de renforcer la coopération avec les institutions africaines, de soutenir les initiatives continentales, notamment la Zone de libre-échange continentale africaine, de former de nouvelles alliances stratégiques avec les pays africains et de développer des instruments de financement innovants, en renforçant la participation du secteur privé et en établissant et en élargissant des partenariats multilatéraux avec diverses parties prenantes, notamment la société civile.
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