Africa-Press – Cameroun. Sur le continent, le morcellement du secteur fragilise les entreprises, souligne Didier Bréchemier, associé du cabinet Roland-Berger. S’il prévoit que le trafic devrait repartir en 2024, il n’est pas convaincu que de grands changements surviendront au cours de l’année.
L’aérien africain a mis du temps à sortir de la crise du Covid-19. En 2023 encore, alors que l’industrie renouait avec les bénéfices à l’échelle globale – de façon infime toutefois, avec 25,7 milliards dollars de marge nette, soit 5,45 dollars par passager en moyenne –, le continent est resté dans le rouge, selon les données de l’Association internationale des transporteurs aériens (Iata).
L’aérien africain a mis du temps à sortir de la crise du Covid-19. En 2023 encore, alors que l’industrie renouait avec les bénéfices à l’échelle globale – de façon infime toutefois, avec 25,7 milliards dollars de marge nette, soit 5,45 dollars par passager en moyenne –, le continent est resté dans le rouge, selon les données de l’Association internationale des transporteurs aériens (Iata).
La situation devrait changer en 2024, avec des performances financières qui s’annoncent comme très légèrement positives, notamment grâce au ralentissement de l’inflation et à l’amélioration du facteur de remplissage des avions. Nous nous sommes penchés sur les enjeux du secteur avec Didier Bréchemier, senior partner chargé des transports au sein du cabinet Roland-Berger.
Jeune Afrique: Comment le trafic évoluera-t-il évoluer sur le continent ?
Didier Bréchemier: En 2024, tout laisse à penser que le trafic aérien en Afrique devrait repartir, du moins en volumes. Une incertitude persiste néanmoins sur les prix: la tendance haussière constatée en 2023 (+30 % sur les trajets entre le continent et les États-Unis par rapport aux tarifs 2019 ; +10 à 15 % vers l’Europe) se poursuivra-t-elle ? Un tassement des prix serait une mauvaise nouvelle pour les compagnies, mais pas pour la connectivité et le trafic.
Tous les segments progresseront-ils au même rythme ?
Non, nous observons déjà eu une claire différenciation entre les échanges intra-africains, encore en dessous des niveaux pré-Covid, et les échanges avec le reste du monde, qui eux ont bien progressé. Les connexions intra-africaines sont appelées à évoluer au fur et à mesure que les échanges intra-continentaux progresseront. L’activité économique en Afrique étant de plus en plus liée à l’activité en Chine, il faudra aussi surveiller le réveil de cette économie.
Ensuite, comme dans le reste du monde, les flux touristiques, familiaux et commerciaux perdurent, mais les flux business se réduisent du fait de l’adoption de nouvelles pratiques de communication.
Pensez-vous qu’en cette année qui fêtera les 25 ans de la déclaration de Yamoussoukro pour la libéralisation du ciel africain, nous assisterons à de vrais progrès en ce sens ?
Je suis assez pessimiste sur ce point. Il y a un réel besoin – et sur le papier tout le monde est d’accord –, mais le mouvement apparaît très lent. Sur le continent, les perspectives sont extrêmement positives à moyen et long terme. La demande est là: la démographie dynamique, la présence de terres rares, notamment, créent de réels besoins. Je suis assez réservé sur le fait que nous assisterons à de vrais changements en 2024, il y a encore trop d’obstacles: la corruption, le manque d’accès au capital, l’immixtion des États dans la gestion des compagnies… Rien de tout cela n’est insurmontable, mais cela prend du temps.
Les États doivent-ils se désengager des compagnies aériennes ?
Chacun doit trouver sa place. L’implication des États, essentiellement financières, est nécessaire dans certains cas, notamment en cas de coup dur, et il est difficile de leur dire en retour d’avoir moins d’influence dans la gestion opérationnelle de la compagnie.
L’espace aérien du Soudan est toujours fermé, et le Niger a interdit le sien à Air France. Comment gérer ces questions ?
Ces fermetures ne sont jamais une bonne chose, mais les compagnies savent s’adapter. Elles font des détours qui ne sont bons ni pour l’environnement, ni pour les coûts d’exploitation, ce qui explique en partie les hausses de tarifs constatés, mais cela leur permet de faire face.
Souvent en proie à des difficultés économiques, les compagnies africaines pourront-elles entamer des démarches dans le sens de la décarbonation ?
Non seulement elles le peuvent, mais elles le doivent. Bien sûr, le sujet est davantage prégnant en Europe qu’en Afrique, où les compagnies reçoivent moins de pression politique sur le sujet: il n’y a pas de mobilisation populaire, pas d’alternative ferroviaire… Néanmoins, lorsque l’on discute avec les CEO des compagnies, tous sont conscients de l’enjeu.
Ils peuvent déjà implémenter certaines mesures, comme l’optimisation des trajectoires ou la coupure au roulage de l’un des deux moteurs. D’autres sont plus difficiles à mettre en place: le changement de flotte pour des appareils plus économes en carburant demande des moyens, et les volumes de SAF [carburant aérien durable] que les plus grandes compagnies se garantissent empêchent les plus modestes d’y avoir accès.
Reste qu’il y a sur ce dossier une vraie opportunité pour l’Afrique, qui concentre de vraies réserves de biomasse et un potentiel solaire inégalé. Le fléchage de financements verts vers ces dossiers permettrait d’envisager une production locale. Mais cela demande de l’investissement, une planification stratégique, et je doute qu’il soit possible de l’implémenter à l’échelle d’un seul pays.
Justement, le secteur aérien africain, très morcelé, se consolidera-t-il ? Ou assisterons-nous de plus en plus à des partenariats entre un acteur continental et un extra-continental, comme pour Rwandair et Qatar Airways ?
Le morcellement du secteur fragilise les compagnies, car il est difficile pour elles de parler à armes égales avec les loueurs, les constructeurs ou même des compagnies étrangères fortes de plusieurs centaines d’avions. Là encore, une planification stratégique est nécessaire pour qu’elles rejoignent des alliances, dégagent des synergies…
Je suis convaincu que le secteur se consolidera et qu’il y aura à terme trois ou quatre compagnies panafricaines, plus grosses et plus efficaces qu’elles ne le sont aujourd’hui, grâce à ce processus. Mais cette histoire prendra-t-elle 5, 10, 15 ou 20 ans à s’écrire ? Je ne saurais le dire. Pas plus que je ne saurais dire si ces compagnies seront purement africaines ou si elles viendront de l’extérieur du continent.
Source: JeuneAfrique
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